Comment je vois le
monde
Les défis imminents de l'Algérie
La transition énergétique sans délai
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Lundi 21 avril 2014
«On ne
va jusqu'à l'espérance qu'à travers la
vérité, au prix de grands efforts. Pour
rencontrer l'espérance, quand on va
jusqu'au bout de la nuit, on rencontre
une autre aurore».
Georges
Bernanos
A bien des égards, la situation
énergétique de l'Algérie n'a pas fait
l'objet d'une sollicitude particulière.
Tout au plus, nous avons géré la
production, fait quelques prospections
et lié notre sort aux promesses de notre
sous-sol qui, selon les Américains est
un eldorado. Nous préférons croire que
l'Algérie peut vivre ad vitam aeternam
d'une façon paresseuse en misant sur une
hypothétique nouvelle rente du gaz de
schiste dont les réserves mirifiques
sont plus incertaines que jamais, la
technologie plus dangereuse que jamais,
et la rentabilité plus problématique que
jamais. Dans ce qui suit nous allons
faire un exposé sans concession- il
s'agit de l'avenir de nos enfants- sur
la réalité du monde en pointant du doigt
deux défis; celui des changements
climatiques qui vont impacter l'Algérie
à la fois sur le plan agricole, le plan
social et le plan sanitaire sans parler
naturellement, des ressources hydriques
qui seront de plus en plus rares. Nous
parlerons aussi des gaz de schiste et du
danger de croire que ce sont eux qui
vont régler le développement du pays.
Nous insisterons sur la transition
énergétique seule défense immunitaire
quand la rente ne sera plus qu'un
lointain souvenir.
La catastrophe annoncée des
changements climatiques
Dans un rapport alarmant publié il y a
trois semaines, le Giec - dans le
troisième volet de son cinquième rapport
général consacré à «l'atténuation du
changement climatique mettait en garde
contre les conséquences néfastes du
changement climatique. «Pour Béatrice
Héraud c'est une révolution, pas moins,
de notre modèle de développement
économique que nous devons effectuer dès
maintenant pour éviter un emballement du
changement climatique. «Limiter la
hausse de la température mondiale à 2 °C
c'est encore possible. Mais les
gouvernements et les acteurs économiques
doivent agir dès maintenant. Pour ce
faire, il faudra réduire les émissions
mondiales de gaz à effet de serre de 40
à 70% par rapport à 2010 d'ici 40 ans et
les éliminer presque totalement d'ici la
fin du siècle. En dépit des alertes
publiées régulièrement par les
scientifiques depuis 25 ans, les
émissions de gaz à effet de serre ont
augmenté de plus en plus vite. Elles ont
crû de 2,2% par an entre 2000 et 2010
contre 0,4% en moyenne depuis 30 ans.»
(1).
Pour l'instant, la Terre s'est
réchauffée de 0,85 °C depuis l'époque
pré-industrielle, A ce rythme, le seuil
des 2 °C supplémentaires, qui est
l'objectif international réitéré lors
des conférences successives des Nations
unies sur le climat, sera franchi dès
2030. Les experts s'attendent également
à ce que le réchauffement climatique
provoque des événements météorologiques
extrêmes plus intenses, tels que les
sécheresses, pluies diluviennes et -
cela est encore débattu - des ouragans
plus fréquents. «Les vagues de chaleur
vont très probablement se produire plus
fréquemment et durer plus longtemps.
Avec le réchauffement, nous nous
attendons à voir les régions humides
recevoir plus de pluies et les régions
les plus sèches à en recevoir moins,
même s'il va y avoir des exceptions.»
(2)
«La tendance actuelle doit donc être
inversée et le temps presse pour agir.
Connie Hedegaard, commissaire européenne
somme les grands pollueurs à s'engager
immédiatement à réduire leurs émissions
de GES. Le rapport du Giec est clair: il
n'y a pas de plan B. Il n'y a qu'un plan
A, celui d'une action collective pour
réduire les émissions dès maintenant».»
(3)
Découpler croissance économique
et consommation d'énergie: le renouveau
du nucléaire?
Où serait la solution? Depuis plusieurs
années, des scientifiques proposent de
découpler l'économie de l'énergie. En
effet, pour stabiliser la concentration
de gaz à effet de serre dans
l'atmosphère, il faudrait réduire les
émissions dans les transports, les
bâtiments, l'industrie, l'agriculture,
mais aussi travailler sur le gaspillage,
le recyclage, l'urbanisme et la
reforestation, etc. Les Etats doivent
lancer une véritable révolution
économique, selon le nouveau rapport du
Giec du 13 avril. Ces changements
d'approche doivent intervenir dans tous
les secteurs dont, en premier lieu,
celui de l'énergie qui représente 35%
des émissions mondiales. Pour cela,
prônent les experts du climat, le
recours aux énergies peu carbonées
(renouvelables, nucléaire) va devoir
tripler, voire quadrupler d'ici à 2050,
et des techniques de captage et de
stockage du CO2 être développées. Où en
est-on dans ces différents domaines? (4)
Les solutions: le nucléaire et
ou les énergies renouvelables
L'atome est-il une piste d'avenir pour
lutter contre le changement climatique?
Selon l'Agence internationale de
l'énergie (AIE), sa part 18% en 1996,
est tombée à 10,9% en 2012. Cette
filière reste notamment marginale en
Chine (2% de son électricité), alors que
ce pays pèse désormais pour 20% dans la
production électrique globale. En outre,
même en valeur absolue, la quantité
d'électricité d'origine nucléaire
régresse depuis plusieurs années au
niveau mondial. En 2011, le mix
électrique de la planète était formé à
41% de charbon, 21,9% de gaz naturel et
4,8% de pétrole. La part des
renouvelables s'élevait à 20% (en
incluant l'hydraulique), deux fois plus
que le nucléaire. Dans une étude publiée
en mars, le cabinet de consultants
Roland Berger précise que 72 tranches
sont actuellement en chantier, un volume
sans précédent depuis un quart de
siècle. Selon les scénarios prospectifs,
l'Asie est le marché le plus porteur,
avec 56 unités en Chine et 14 en Inde à
l'horizon 2030. (4)
Les énergies renouvelables
progressent-elles au rythme recommandé
par le Giec? L'an passé, 254 milliards
de dollars (184 milliards d'euros) ont
été investis dans des projets d'énergies
propres dans le monde. Ils ont ainsi été
multipliés par cinq entre 2004 et 2010,
passant de 55 milliards de dollars à 262
milliards. «Les investissements dans les
renouvelables vont rester forts, mais se
déplacer vers les pays en
développement», poursuit Cédric
Philibert. En Europe, les
investissements peuvent encore
progresser malgré la crise économique
qui touche de plein fouet le secteur à
condition, indique l'expert, «de ne pas
démanteler toutes les politiques
actuelles de soutien aux énergies
renouvelables».(4)
La réalité des gaz de schiste
Le deuxième point important pour
l'Algérie concerne le gaz de schiste.
Avoir et exploiter le gaz de schiste
est-ce l'eldorado tant vanté? Il semble
que non. Pour William Engdhal «la
révolution du gaz de schiste» aux
Etats-Unis a échoué. L'accroissement
considérable de la production de gaz par
«fracturation hydraulique» a été
interrompu par les principales
compagnies comme Shell et BP par manque
de rentabilité. Shell vient juste
d'annoncer une importante réduction de
son activité de production de gaz de
schiste. Shell vend son droit
d'exploitation sur environ 300.000 ha de
terrain dans les principaux gisements de
gaz de schiste du Texas, de
Pennsylvanie, du Colorado et du Kansas
et annonce qu'il sera peut-être obligé
d'en vendre encore plus pour stopper ses
pertes dans ce domaine. (...) «David
Hughes, un analyste dont la compétence
en matière de gaz de schiste est
reconnue, a très bien résumé l'illusion
du gaz de schiste dans une étude portant
sur plusieurs années d'extraction aux
Etats-Unis: «La production de gaz de
schiste a explosé jusqu'à constituer
presque 40% de la production du gaz
naturel des Etats-Unis. Cependant, la
production plafonne depuis décembre
2011. L'importance du déclin des puits
exige de continuels apports de capitaux
- 42 milliards de dollars par an pour
forer plus de 7000 nouveaux puits - afin
de maintenir la production. En
comparaison, le montant en dollars du
gaz de schiste produit en 2012
atteignait tout juste 32,5 milliards».
(5)
Il semble que les puits s'épuisent très
vite. «C'est dans le Sud des Etats-Unis
que le boom des gaz de schiste a
commencé. C'est là aussi que le déclin
semble s'amorcer. Les champs de Barnett
et de Haynesville, dans le Sud des
Etat-Unis, ont franchi leur pic de
production respectivement en novembre et
décembre 2011. Les puits de Barnett et
Haynesville ont fourni jusqu'ici près de
la moitié de la production américaine de
gaz de schiste. (...) La fracturation de
la roche ne permet de libérer ces gaz
que dans un périmètre restreint autour
de la zone fracturée. Par conséquent, la
production d'un puits d'hydrocarbures de
schiste atteint en général sa production
record dès son ouverture, et décline
ensuite très rapidement, souvent dès les
premiers mois d'exploitation. Pour
maintenir une production élevée, il est
nécessaire de forer sans cesse de
nouveaux puits, de dix à cent fois plus
que pour du pétrole conventionnel,
d'après la direction du groupe Total.
(6)
Louis Allstadt, ancien vice-président
exécutif de Mobil Oil, déclare: «Le gaz
de schiste est pire que le charbon.» Il
explique son opposition radicale aux
forages de gaz et d'huile de schiste. Il
pointe les pollutions massives, l'impact
important sur le climat, les ressources
limitées et appelle à sortir des
énergies fossiles: «La fracturation
hydraulique utilise de 50 à 100 fois
plus d'eau et de produits chimiques que
les anciens forages conventionnels. Son
infrastructure industrielle est aussi
beaucoup plus importante. Le problème
des déchets est majeur: il faut environ
20 millions de litres d'eau et environ
200 000 litres de produits chimiques
pour fracturer. Un tiers environ de ces
liquides ressort du puits chargé de
métaux lourds. Ce sont des déchets
toxiques et pour une part radioactifs.
Le lien a été fait entre leur stockage
sous pression, dans les puits
d'injection, et des tremblements de
terre à proximité. La moindre fuite crée
un sérieux problème aux réserves d'eau
potable.» (7)
L'ancien vice-président de Mobil Oil
poursuit: «Les riverains de forages par
fracturation hydraulique sont victimes
de nuisances importantes. Cette
technologie ne peut pas être utilisée
sans dommage, en particulier à proximité
de là où des gens vivent et travaillent.
(...) Au départ, les entreprises
gazières prétendaient que là où il y a
du gaz de schiste, vous pouvez bâtir un
puits et en extraire du gaz.. Ce qu'on a
découvert, c'est que ce gaz n'est pas
présent partout dans le sous-sol, mais
seulement en quelques endroits d'un
potentiel gisement, ce qu'on appelle des
«sweet spots», des «parties tendres».
Par ailleurs, les premières estimations
de l'étendue des réserves gazières ont
été très surestimées. Au départ, il se
disait que les États-Unis pouvaient
avoir dans leur sous-sol l'équivalent de
cent ans de consommation de gaz.
Maintenant, on ne parle plus que de
vingt ans ou moins. (...) Les puits de
pétrole et de gaz de schiste s'épuisent
très vite. En un an, la rentabilité peut
décliner de 60%, alors que les gisements
conventionnels de gaz déclinent
lentement et peuvent rester productifs
40 ans après le début du forage. (...)
Les hydrocarbures faciles et bon marché
ont déjà été exploités. Notre
approvisionnement énergétique doit
changer. Nous devons remplacer les
énergies fossiles aussi vite que
possible par les renouvelables.» (7)
Enfin, une preuve indirecte s'il en est;
de la dangerosité des gaz de schiste
nous est donnée par Rex Tillerson,
président-directeur général de la
compagnie pétrolière américaine Exxon
Mobil en 2006, qui a investi massivement
dans le gaz de schiste: 31 milliards de
dollars (22,5 Md euros). Mais quand un
nouveau château d'eau permettant
l'extraction du précieux gaz veut
s'installer près de son ranch du Texas,
rien ne va plus. Il monte alors au
créneau. En gros, si les gaz de schiste
font la fortune du groupe pétrolier, Rex
Tillerson ne veut pas que ce soit à côté
de chez lui. (8) «Not In My Back Yard»,
NIMBY «pas dans mon arrière-cour».
Les conséquences sanitaires et
autres de l'exploitation des gaz de
schiste
Que sait-on des effets sanitaires de
l'exploitation du gaz de schiste? Le
manque de recul fait que nous avons de
plus en plus de surprise: «Trois
chercheurs américains ont tenté de
répondre à cette question en passant au
crible l'ensemble des travaux publiés
ces dernières années sur le sujet. Le
résultat de cette synthèse, publiée
mercredi 16 avril dans Environmental
Health Perspectives (EHP), dresse un
état des lieux paradoxal: «Il y a des
preuves de risques potentiels pour la
santé publique dus au développement du
gaz de schiste», écrivent Seth Shonkoff
(université de Californie à Berkeley) en
notant un manque criant d'études
épidémiologiques qui permettraient de
sortir du doute sur leur réalité et
l'ampleur de ces risques potentiels.(9)
De même, des géologues de l'État de
l'Ohio établissent pour la première fois
dans leur région un lien entre
fracturation hydraulique et activité
sismique, provoquant le durcissement des
conditions d'autorisation de forage dans
cet État. Une enquête révèle que la
pression exercée par l'injection de
sable et d'eau menée lors de la
fracturation hydraulique pourrait être
responsable de l'augmentation de la
pression exercée sur une faille. Cette
enquête fait suite à cinq légères
secousses, peu ressenties par la
population et issues du même évènement
sismique, qui ont eu lieu pendant le
mois de mars. (10)
Que devons-nous faire avant
qu'il ne soit trop tard?
Au vue de la réalité du monde et des
techniques, l'Algérie ne doit pas miser,
s'en remettre uniquement d'une façon
résignée aux gaz de schiste D'ailleurs,
lors de la 18e Journée de l'énergie sur
la transition énergétique et le
développement durable, organisée par
l'Ecole polytechnique, la nécessité de
la mise en place d'un modèle de
consommation de 2030-2050 pour freiner
la consommation des énergies fossiles a
été affirmée avec force par les élèves
ingénieurs, futurs citoyens de 2030.
A cet effet, une feuille de route «pour
un passage en douceur du fossile aux
énergies douces à l'horizon 2040, en
misant sur une rente utilisée
rationnellement». Seule une transition
énergétique permettra de tourner le dos
aux énergies fossiles et développer les
gisements d'énergie verte, mais aussi le
moment venu d'exploiter les gaz de
schiste quand la technologie sera
mature. Il faut expliquer aux citoyens
la nécessité de freiner le gaspillage,
de ne pas vivre sur un train de vie qui
n'est pas celui de l'effort et du
mérite.
Le temps nous est compté. Place à la
compétence et aux nouvelles légitimités.
Notre pays devra faire preuve
d'imagination, de compétence et de
prudence pour optimiser ce qui reste de
ses réserves en les consacrant aux
générations futures. Le recours massif
aux énergies renouvelables et aux
économies d'énergie est inéluctable.
Tout a un prix. Nous ne pouvons pas nous
projeter dans le XXIe siècle avec une
mentalité du siècle dernier.
1.http://www.novethic.fr/empreinte-terre/climat/isr-rse/changement-climatique-repenser-notre-modele-de-developpement-142453.html
2. Audrey Garric
http://www.fr/planete/article/2014/04/14/
rechauffement-les-dix-points-marquants-du-rapport-du-giec_4399907_3244.html
3. Réchauffement climatique: «Il n'y a
pas de plan B» et il y a urgence à agir
Le nouvel Obs. 13 04 2014
4.http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/04/14/climat-ou-en-est-la-revolution-energetique-pronee-par-le-giec_4401024_3244.html
5.http://www.legrandsoir.info/la-maison-blanche-ment-a-l-union-europeenne-sur-la-fourniture-de-gaz-etasunien-nsnbc.html
6.http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/10/01/gaz-de-schiste-premiers-declins-aux-etats-unis/
7.Http://www.mediapart.fr/journal/economie/150414/un-ancien-de-mobil-oil-le-gaz-de-schiste-est-pire-que-le-charbon16
avril 2014
8.http://geopolis.francetvinfo.fr/le-patron-dexxonmobil-dit-oui-au-gaz-de-schiste-mais-pas-chez-lui-31155
9.http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/04/17/gaz-de-schiste-quelles-consequences-sanitaires_4403545_3244.html
10.http://www.goodplanet.info/actualite/2014/04/14/gaz-de-schiste-letat-de-lohio-etablit-lien-activite-sismique-fracturation-hydraulique/?
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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