Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Michel Rocard nous a quittés :
Parler vrai, honneur et dignité en
politique
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 12 juillet 2016
Avec la disparition de Michel Rocard,
la France perd un homme de cœur et de
raison, l'Algérie un ami fidèle,
l'humanité un être d'exception. Homme de
lucidité, de courage et d'engagement, il
aura été de ceux qui ont précisément
compris que la grandeur de la France
allait se mesurer à la capacité de ses
dirigeants d'inscrire leur attitude dans
la cohérence de l'Histoire en allant à
la rencontre d'une indépendance que
l'Algérie avait gagnée de haute lutte,
avant de contribuer à bâtir des
relations bilatérales frappées du sceau
du respect mutuel.»
Lettre de condoléances du Président
Abdelaziz Bouteflika
L'ancien Premier
ministre Michel Rocard s'est éteint ce
samedi 2 juillet 2016 dans l'après-midi
à Paris. Un concert unanime de louanges
a plu sur la mémoire de l'ancien Premier
ministre, venant de tous les bords de la
classe politique française et notamment
de Jacques Chirac qui, lui, parle
d'amitié. «Né le 23 août 1930, camarade
de promotion de Jacques Chirac et de
Bernard Stasi, Michel Rocard a été
pendant plusieurs décennies un leader
socialiste qui aurait pu atteindre le
sommet si François Mitterrand n'avait
pas tout fait pour l'en empêcher. (...)
Pendant les trois ans à la tête du
gouvernement, Michel Rocard a joui d'une
grande popularité grâce à sa méthode de
concertation qui fit le succès d'une
pacification de la Nouvelle-Calédonie et
qui permit l'adoption du RMI. Finalement
limogé «comme un domestique» le 15 mai
1991 par un François Mitterrand qui ne
comprenait pas la persistance de la
popularité insolente de son Premier
ministre/(...) Ayant renoncé à toute
ambition présidentielle, il continua à
se nourrir de la politique sans réelle
influence, comme député européen.» (1)
Le Michel Rocard néolibéral
On reproche souvent
à Michel Rocard d'avoir été celui qui a
aidé le PS à vendre la France et les
Français aux banksters européens! Il
n'avait pas compris que la
mondialisation était un outil de
soumission des peuples, au bénéfice de
la finance et des multinationales
américaines pour la plupart. « En
s'opposant aux «nationalisations à
outrance» et en acceptant l'économie de
marché, le rocardisme semble être à
l'opposé des positions défendues par le
Parti communiste dans les négociations
du Programme commun. Les rocardiens se
réclament souvent de la pensée de Pierre
Mendès-France lorsqu'ils prônent une
politique économique «réaliste» et une
culture de gouvernement. Il est nommé
Premier ministre, le 10 mai 1988, au
début du second septennat de François
Mitterrand. Dans un article du Monde, en
1996, puis au 70e anniversaire de la
Cimade, en 2009, Michel Rocard se
plaignit de ce que les médias et les
politiques tronquaient, en la citant
sous la forme «La France ne peut
accueillir toute la misère du monde»,
une phrase de lui dont la teneur exacte
était, selon lui: «La France ne peut
accueillir toute la misère du monde,
mais elle doit en prendre fidèlement sa
part». (2)
«Les Atlantistes
écrit Bruno Guigue, philosophe, ancien
haut fonctionnaire, viennent de perdre
un de leur plus grand représentant en
France. Michel Rocard fit en sorte de
ramener une grande partie des
«révolutionnaires»
post-soixante-huitards dans le giron du
Parti socialiste. (...) Depuis son
ralliement au parti mitterrandien
(1974), l'inventeur de la «deuxième
gauche» fut l'artisan inlassable de la
conversion du PS au social-libéralisme.
Avec une remarquable constance, il est
de tous les combats pour aligner la
gauche française sur les standards
libéraux. En 1983, il plaide contre
Chevènement pour le funeste tournant de
la rigueur, matrice originelle des
politiques d'austérité. Premier
ministre, il prépare la signature du
traité de Maastricht (1992), pièce
maîtresse du carcan européen.
L'instauration forcée de l'hypermarché
communautaire n'a jamais manqué
d'avocats, et Michel Rocard fut l'un des
meilleurs. Difficile, en fait, de le
prendre en défaut d'incohérence.
Européiste convaincu, Rocard était aussi
un fervent atlantiste». Lors de la crise
franco-américaine de 2003, il se rend
auprès de l'ambassadeur US à Paris pour
le rassurer (...) Tandis que Mitterrand,
alors garde des Sceaux, expédie à la
guillotine les militants nationalistes,
Rocard contribue à saper la légitimité
d'une guerre perdue d'avance. Avec le
PSU, il combattra courageusement en
faveur de l'indépendance algérienne,
bravant les injures et les calomnies du
parti colonial. Tel est le Rocard dont
on se souviendra.»(3)
Pour Rocard «Mitterrand est un
assassin» pour refus de gracier des
combattants
François Mitterrand et Michel Rocard,
pourtant tous deux socialistes, se sont
affrontés sans faiblir tout au long de
leur vie politique. Au machiavélisme du
premier s'est dressé un homme intègre
qui avait opté pour des bonnes causes.
Michel Rocard a traité d'assassin en
1956, le garde des Sceaux de l'époque,
François Mitterrand, lorsque ce dernier
refusait, en pleine guerre d'Algérie, de
gracier des condamnés algériens. Peu
avant sa nomination à Matignon, ce
dernier avait déclaré à Ambroise Roux:
«Je vais le nommer puisque les Français
semblent en vouloir. Mais vous verrez,
au bout de dix-huit mois, on verra au
travers.»
«En même temps,
écrit Richard Labévière Rocard fut sans
doute aussi l'homme d'Etat le plus
paradoxal alliant la spontanéité de son
cher «parler vrai» (...) Cette exigence
de rigueur l'amenait à déclarer trois
semaines avant d'être limogé de
Matignon: «La politique est dégueulasse,
parce que les hommes qui la font la
rendent dégueulasse.» (...) En novembre
1998, Michel Rocard dit de son meilleur
ennemi à la Revue de droit public: «Ce
n'était pas un honnête homme.» (...)
Mitterrand m'avait nommé pour que je
m'effondre.»
L'engagement pour l'indépendance de
l'Algérie
Rocard restera pour
la conscience humaine celui qui à sa
façon a dit non à la guerre d'Algérie.
«Alors que se déclare la guerre
d'Algérie, il rejoint les socialistes en
rupture avec Guy Mollet à propos de la
politique algérienne» Il écrit: «Pendant
plus d'un siècle, la France a prétendu
mener en Algérie la politique dite de
l'assimilation, qui seule justifiait
l'intégration de l'Algérie dans le
territoire de la République. En fait,
cette politique fut proclamée et jamais
appliquée [...] L'égalité des devoirs
existait, et notamment l'impôt du sang,
mais point d'égalité des droits.» Il
relève «une mentalité proche de la
ségrégation raciale. Il rédige pour la
Sfio un rapport dénonçant les camps de
regroupement dans lesquels seraient
'parqués'' deux millions de paysans»,
soit la moitié de la population
algérienne rurale. Envoyé sur place en
1958 comme inspecteur des finances, il
aurait découvert que des milliers de
personnes étaient menacées de famine
dans l'ignorance de la population et
l'indifférence apparente des autorités
civiles et militaires. Accueilli à Alger
par son ami le sous-lieutenant Jacques
Bugnicourt, il le met au courant que
l'armée française procéderait, dans le
plus grand secret, à des déplacements
massifs de population afin d'empêcher le
FLN de s'enraciner sur place, de le
priver de son ravitaillement et
permettre à l'aviation le bombardement
au napalm.» (2)
Michel Rocard se voit confier
officieusement une enquête sur les camps
de regroupement jusque-là passés sous
silence. Cette enquête a lieu de
septembre à novembre 1958. Il sillonne
l'Algérie dans un rayon de 500 km autour
d'Alger et visite notamment des douars
et mechtas Il estime à 200 000 les morts
de faim. Le 17 février 1959, Michel
Rocard rend son rapport à Paul
Delouvrier. Le rapport est publié le 17
avril 1959 dans France Observateur, puis
le lendemain dans Le Monde. (2)
On sait que Rocard
avait contre l'air du temps pris sur lui
de dire la vérité sur la guerre
d'Algérie. A partir de 1957, les
autorités françaises en Algérie décident
de lutter contre la guérilla menée par
le FLN en créant des camps pour parquer
des centaines de milliers d'hommes,
femmes, vieillards, enfants sans aucun
moyen de subsistance, sans hygiène, sans
écoles...Bref une prison à ciel ouvert
avec le froid, la faim et les maladies.
Pour Karim Amellal:
«Michel Rocard a concrètement oeuvré
contre la colonisation. Dans son Rapport
il y évoquait, pour la première fois, le
problème des déplacements de population
effectués par l'armée française en
Algérie 'sans aucune espèce de
précaution'', si bien qu'ils
occasionnaient pour la population
algérienne, rurale surtout, des
bouleversements terribles, dont la
famine. Selon Michel Rocard, 200 000
personnes seraient mortes de faim à
cause des camps de regroupement. C'est à
partir de 1957 que dans les zones
rurales l'armée française a commencé à
regrouper des personnes, principalement
des paysans, afin qu'ils 'échappent'' à
l'influence du FLN. (...) 'Les fellahs''
regroupés étaient en vérité isolés de la
population par des fils barbelés et des
miradors. Les camps de regroupement
étaient de véritables prisons à ciel
ouvert.
« Les Algériens
étaient ainsi enfermés chez eux. (...)
Atteints dans leurs revenus, les fellahs
le sont aussi dans leur dignité; ils
sont placés vis-à-vis du commandement et
du chef de SAS dans un état de
dépendance totale'', écrit-il par
exemple. Analysant méthodiquement
l'habitat, les conditions sanitaires à
l'intérieur des camps, les conséquences
dramatiques, pour les familles, de ces
regroupements, Michel Rocard dresse un
implacable réquisitoire contre la guerre
d'Algérie. (...) Il a fallu attendre
2003 pour que son rapport soit publié.
Il surprit alors de nombreuses
personnes, à gauche, qui n'en
connaissait pas l'existence et ne
soupçonnait pas cette dimension
essentielle de son engagement.» (4)
Anne Guérin-Castell
abonde dans le même sens. Elle écrit:
«Bien que les premiers camps de
regroupement aient été organisés dès
1955 dans les Aurès, ce n'est que le 12
mars 1959 que leur existence fut révélée
par un article du Monde (...) Combien de
personnes furent-elles ainsi déportées
et enfermées dans leur propre pays? Dans
son rapport, Michel Rocard entre dans le
détail des différentes appellations
alors en vigueur (..) Il évalue le
nombre de personnes concernées à un
million. Selon Charles-Robert Ageron, il
y avait 936 centres au 1er janvier 1959.
Pour Michel Cornaton, 1.750.000
personnes ont été enfermées dans des
camps de regroupement. Ce qui, en
estimant qu'à chaque «regroupé»
correspondent un «resserré» et un
«recasé», fait un total de 3.250.000
personnes. En ajoutant les prisons, les
camps d'internement, les centres
spéciaux et les assignations à
résidence, on arrive à ce résultat
accablant: 40% de la population
algérienne, enfants et vieillards
compris, a été, d'une manière ou d'une
autre, enfermée.(...) Enfermement de
presque la moitié de ses habitants,
destruction d'une organisation familiale
et d'un tissu social, néantisation d'une
économie fondée sur la connaissance du
milieu naturel et l'observation des
cycles climatiques... Comment ne pas
penser que ce déracinement a été lourd
de conséquences dans l'Algérie
indépendante?»(5)
L'entrée de la Turquie dans l'Union
européenne
Michel Rocard est
un fervent défenseur de l'entrée de la
Turquie dans l'Union européenne. Selon
lui, «la Turquie est un enjeu
stratégique» et «une vraie chance pour
l'Europe». Il met en avant les arguments
liés à l'accès aux routes énergétiques,
une plate-forme de paix dans le Caucase,
les Balkans et le Proche-Orient, une
économie de marché en plein essor et une
nation démocratique et laïque: «La
Turquie représente une démocratie
chrétienne à la mode musulmane à la fois
économiquement libérale et conservatrice
sur le plan des moeurs.» (2)
Michel Rocard et la cause
palestinienne
On sait qu’en 2005,
il conduit la délégation d'observateurs
européens pour assurer le bon
déroulement de l'élection présidentielle
en Palestine. Michel Rocard a toujours
affiché avec constance son soutien aux
droits nationaux du peuple palestinien
contrairement aux positions ambigües des
socialistes et de François Mitterrand
Nous lisons: «Le PSU entretient des
relations régulières avec le Fatah de
Yasser Arafat, (...) Le contraste est
différent. Mitterrand, Premier
secrétaire du Parti socialiste en 1971
choisit comme responsable international
Robert Pontillon, qui occupait déjà ce
poste au sein de la Sfio de 1948 à 1969.
Les rapports avec le parti frère
israélien, au pouvoir depuis la
déclaration d'indépendance de 1948, sont
si étroits que Mitterrand répond dès
mars 1972 à l'invitation du chef de
gouvernement Golda Meir. Par la suite,
Mitterrand endosse sans réserve le plan
Allon, soit une formule de règlement
entre Israël et la Jordanie qui
formaliserait l'annexion d'une partie de
la Cisjordanie et exclut toute
reconnaissance des droits palestiniens.
(...) »
Dès le départ ,
Rocard a marqué sa différence sans
détour ou circonvolution, la Palestine
doit recouvrer ses droits historique .
Ainsi : « La tiédeur de Rocard envers la
paix israélo-égyptienne de mars 1979,
dont le volet palestinien est mort-né,
contraste cependant avec le soutien
chaleureux de Mitterrand à ce processus.
En juillet 1980, Rocard accuse le
gouvernement israélien de constituer le
«vrai blocage» à la paix par les
implantations de colonies juives dans
les territoires occupés. Huit ans plus
tard, Rocard est devenu le Premier
ministre du président Mitterrand lorsque
celui-ci prend l'initiative audacieuse
d'inviter Arafat à Paris. Cette visite
des 2 et 3 mai 1989 est marquée par la
réception du chef de l'OLP à l'Elysée.
Mais Arafat est aussi reçu à Matignon
par Rocard. Comme on le sait Mitterrand
a toujours parlé de territoires disputés
et non occupés. Quant à Rocard, il
déclarait lors d'un colloque à la
Bibliothèque d'Alexandrie: «La promesse
Balfour accordant le droit aux juifs de
créer leur État en Palestine était une
erreur historique...» (6)
Que dire en
définitive du sacerdoce de Rocard pour
la dignité humaine ? Nous avons vu
comment il s’en est sorti du guêpier de
la nouvelle Calédonie ,Mitterrand l’a
laissé ne première ligne, au cas où ça
tournerait cours. Naturellement
Mitterrand a récupéré
politiquement l’opération à son profit
Pour Tassadit
Yacine, «le rapport de Rocard[sur les
regroupements]est révolutionnaire (..),
il attire l'attention des pouvoirs
publics et de la communauté
internationale sur la menace quotidienne
qui pèse surtout sur les enfants, il en
mourait plus de 500 par jour. Modèle de
courage politique et d'intégrité, le
livre de Michel Rocard est d'un apport
essentiel à la connaissance de la guerre
d'Algérie telle qu'elle a été vécue par
les populations les plus démunies, (..)
On peut, dès lors, comprendre comment
une probité intellectuelle et un courage
politique sans nuance, qui ont de tout
temps caractérisé la pensée et l'action
de Rocard, peuvent effacer les
meurtrissures des victimes de cette
guerre et aider à renouer avec les
politiques intègres d'une certaine
gauche, vraiment de gauche, pour
pasticher Bourdieu». (6)
Comme tout être humain, Michel Rocard
n'était pas un saint! Cependant son
cheminement fut une politique de
l'honneur et de la dignité. Les mots
d'André Malraux «Etre un homme c'est
réduire la part de la comédie», par son
sacerdoce Rocard a réduit sa part de
comédie.
1.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/michel-rocard-l-incarnation-de-la-182509
2.Michel Rocard Encyclopédie Wikipédia
3.Bruno Guigue
http://arretsurinfo.ch/le-michel-rocard-dont-on-se-souviendra/
4.Karim Amellal
http://www.chouf-chouf.com/histoire/michel-rocard-lanticolonialiste-qui-a-revele-latrocite-des-camps-de-regroupement/
3 July 2015
5.Anne Guerin –Castell
http://ldh-toulon.net/les-camps-de-regroupement-de-la.html
13/08/12
6.
http://filiu.blog.lemonde.fr/2016/07/03/michel-rocard-francois-mitterrand-et-la-palestine/?utm_source=dlvr.it&utm_medium=gplus
7. Tassadit Yacine: «Révélations sur les
camps de la guerre» Le Monde
diplomatique , février 2004
Article de
référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/245133-parler-vrai-honneur-et-dignite-en-politique.html
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 13 juillet
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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