Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Pour en Finir avec l'histoire des
harkis :
Dépasser les manipulations
actuelles
Chems Eddine Chitour
© Chems
Eddine Chitour
Samedi 11 août 2018
«Lorsqu'on voit
ce que l'occupation allemande a fait
comme ravage dans l'esprit français, on
peut deviner ce que l'occupation
française a pu faire en cent trente ans
en Algérie.»
Jean Daniel «Le temps qui
reste»(1)
Un dossier
récurrent; celui des harkis, ces
citoyens français qui font d'une façon
récurrente l'objet «d'abcès de fixation»
aussi bien d'un côté comme de l'autre de
la Méditerranée. En honnête courtier
nous allons rapporter ce que nous
connaissons des fait, rien que des
faits, sans extrapolation tendancieuse
mais avec un réel souci de comprendre,
pour être en phase avec la belle
citation de Baruch Spinoza dans
Traité Politique : «J'ai pris grand
soin de ne pas tourner en dérision les
actions humaines. Ne pas les déplorer ni
les maudire mais de les comprendre. Ne
pas juger, ne pas blâmer mais
comprendre»
Il fut une époque
où les harkis constituaient au moment
des échéances électorales un réservoir
de voix à la disposition des hommes
politiques qui promettent Mais, comme le
dit le président Chirac, «les promesses
n'engagent que ceux qui y croient». De
ce côté de la Méditerranée c'est aussi
un hold-up de la famille révolutionnaire
qui a pétrifié la doxa à un récit
historique monolithique avec à la fois
des vérités indéniables et des oukases
de la chape de plomb pour ne pas savoir
ce qui s'est réellement passé. C'est
dire pourquoi comment des Algériens
brimés pendant 124 ans décident de se
battre contre d'autres Algériens alors
qu'ils ont subi une colonisation
inhumaine. La phrase de Jean Daniel
résume admirablement cette époque de
déni des droits les plus élémentaires:
«(...) Lorsqu'on voit ce que
l'occupation allemande a fait comme
ravage en quatre ans dans l'esprit
français, on peut deviner ce que
l'occupation française a pu faire en
cent trente ans.»(1)
Les vaincus
toujours du mauvais côté de l'histoire
Dans l'histoire
toutes les guerres ont leur lot de
vaincus et de personnes qui ont été du
mauvais côté de l'histoire. La phrase de
Jean Daniel prend toute sa signification
pour exprimer entre autres le ressenti
des citoyens d'un pays ayant souffert de
la guerre, notamment à cause des
vengeances de ceux qui ont collaboré
avec l'ennemi. Ce sera le cas des
Français à la libération. Ce sera le cas
des Algériens à l'indépendance. Il est
de ce fait «courant» qu'il y ait
épuration dans une ambiance
incontrôlable entre un Etat qui se met
en place, des résistants de la
vingt-cinquième heure, des seigneurs de
la guerre et ce qu'on appelle en Algérie
des «marsiens» ces hyper-patriotes qui
en rajoutent pour se légitimer en
prévision d'une nouvelle échelle sociale
post indépendance.
Sans faire dans la
concurrence victimaire et renier la
réalité de meurtres de façon isolée, il
est bon, cependant, de rappeler ce que
fut l'après-1945 en France. Nous lisons
sur l'Encyclopédie Wikipédia «La
collaboration d'État est l'aide apportée
à l'Allemagne nazie par le gouvernement
de Vichy et l'administration
française.() le fardeau de l'Occupation
ne cessant de s'alourdir jusqu'au bout.
() Le collaborationnisme ne se contente
pas de pratiquer la collaboration, mais
de l'encourager, de la promouvoir, d'en
faire un thème politique. () Ces
serviteurs pourtant ostensibles de
l'ennemi n'hésitaient pas à se qualifier
de «nationaux()». Les «collabos» n'étant
qu'une poignée d'hommes et de femmes
isolés et méprisés par la masse du pays
(environ 2 % de la population) (.)» (2)
Comme il fallait s'y attendre dans cette
atmosphère trouble à des degrés divers
et pour diverses raisons les citoyens se
sont fait justice eux-mêmes.
«L'épuration à la libération en France
visait les personnes ayant collaboré
avec les autorités d'occupation nazies.
À la libération, avant que les cours de
justice et chambres civiques ne soient
créées et installées, et à la faveur des
mouvements de foules où la joie, le
désir de vengeance et les règlements de
comptes se mêlent, résistants et
populations s'en prennent aux
collaborateurs, ou considérés comme
tels. L'épuration extra-judiciaire
entraîna la mort d'environ 9.000
personnes dont un tiers par des
résistants, notamment les FTP». (3)
La collaboration
féminine est souvent sanctionnée par la
tonte des cheveux des femmes jugées
coupables. Selon Dominique François, le
chiffre de 20.000 tondues n'est qu'une
estimation basse. (4.)
Il y eut même
l'épuration judiciaire à Alger. «Le 18
août 1943 l'ordonnance du Comité
français de Libération nationale (CFLN)
coprésidé par le général De Gaulle et le
général Henri Giraud institue une
commission d'épuration pour une durée de
trois mois. Des hauts fonctionnaires de
Vichy, et même un ancien ministre de
l'Intérieur, Pierre Pucheu, furent faits
prisonniers. Pierre Pucheu est exécuté
le 20 mars 1944. On apprend que même
après l'épuration les collabos étaient
déchus de leurs citoyenneté. «Pour
éviter que les collaborateurs ne
puissent occuper des postes à
responsabilités, il faut pouvoir en
limiter l'accès. La «nécessité d'une
purification de la patrie» oblige à
tenir compte alors de ce que l'on peut
appeler la collaboration «diffuse». La
vengeance ne toucha pas seulement les
collabos, mais aussi l'ennemi
prisonnier. «Des millions. Même
l'épiscopat et l'armée subirent une
épuration». (3)
Quel est le
bilan officiel de l'épuration officielle
?
L'épuration légale
concerne plus de 300.000 dossiers, dont
127.000 entraînent des jugements et
97.000 condamnations, les peines allant
de 5 ans de dégradation nationale à la
peine de mort. L'épuration touche tous
les secteurs d'activité et toutes les
couches de la société. (.) L'épuration
aurait donc fait au total entre 10.000
et 11.000 morts, l'essentiel des
exécutions sommaires ayant eu lieu
immédiatement après la libération (date
qui a varié selon les régions). La
Libération prend dans certaines régions
des allures d'émeute ou de guerre
civile. Il existe des territoires qui
sont dominés par des «seigneurs» de la
Résistance» (3)
«D'après le bilan
définitif officiel, au 31 janvier 1951,
le total des dossiers traités par les
cours de justice (y compris leur chambre
civique) est de 311.263 dossiers.
183.512 dossiers sont classés sans suite
(140.011 avant information, 43.511 après
information) 6.724 acquittements, 6.763
peines de mort, 2.853 prononcées en
présence de l'accusé, dont 767 exécutées
(le reste, soit 2.086 condamnations à
mort, est commué), et 3.910 contumaces,
13.339 peines de travaux forcés, dont
2.702 à perpétuité (454 en présence de
l'accusé, 2.248 contumaces), et 10.637 à
temps (1.773 en présence de l'accusé,
8.864 contumaces), 2.044 peines de
réclusion criminelle (1.956 en présence
de l'accusé, 88 contumaces), 22.883
peines de prison, 3.578 peines de
dégradation nationale, comme peine
principale (3.559 en présence de
l'accusé, 19 contumaces)» (3)
«Après la Seconde
Guerre mondiale, l'État travaille à la
réconciliation nationale. Soucieux de
réduire rapidement la fracture entre les
Français, le gouvernement de la
République française vote trois
amnisties pour les épurés, dès 1947,
puis en 1951 et 1953. C'est pourquoi
très vite des amnisties sont promulguées
envers les collaborateurs. L'amnistie
n'est pas une réhabilitation, ni une
revanche, pas plus qu'elle n'est une
critique contre ceux qui, au nom de la
nation, eurent la lourde tâche de juger
et de punir» (3)
Il faut cependant
relativiser, les vengeances et
épurations furent différentes selon les
pays qui sortaient de la guerre et qui
ont connus des situations semblables.
«Les pays d'Europe occidentale ont
modifié leur législation dans ce
contexte. La Norvège, le Danemark et les
Pays-Bas ont rétabli la peine de mort
pour l'occasion. Dans l'ensemble des
pays étudiés les lois édictées à la
Libération sont rétroactives. Le système
de l'«indignité nationale» fut adopté.
Ainsi, les condamnés pour collaboration
avec l'occupant allemand sont mis au ban
de la société. De plus, aux Pays-Bas,
60.000 personnes perdirent leur
nationalité néerlandaise. Si l'on
rapporte le nombre de peines de prison
prononcées en France à la population,
soit 38.000 peines pour 40 millions
d'habitants, il apparaît que 94 Français
pour 100.000 furent emprisonnés pour
faits de collaboration. La même
opération donne 374 Danois, 419
Néerlandais, 596 Belges et 633
Norvégiens pour 100.000 personnes». (3)
Les causes de l'engagement des
harkis
On peut
s'interroger par symétrie, pourquoi des
Algériens ont collaboré avec l'armée
française. Il est indéniable en effet
qu'il y eut des harkis qui se sont
engagés et ont participé sans états
d'âme à toutes les expéditions sinistres
macabres et à la torture des Algériens.
Mais il y eut aussi des cas de
conscience d'Algériens pris entre deux
feux et même de ceux qui gardaient le
contact avec la Révolution et il est
malhonnête d'affirmer que tous les
harkis étaient des tortionnaires.
Deux exemples nous
montrent combien la situation était
difficile pour eux. Dalila Kerkouche,
fille de harki, dans un livre
pathétique, nous décrit le calvaire de
son père, en fait de tous les harkis qui
ont foulé le sol de France un matin de
juillet 1962. Elle décide de revenir en
Algérie pour comprendre ce qui s'est
passé. «()Algérie: Atterrissage à Alger.
Pour la première fois de ma vie, je vais
poser le pied en Algérie, la terre de
mes ancêtres [] «Est-ce que ton père t'a
raconté la guerre?», me demande mon
cousin Tayeb. «Ton père travaillait avec
le FLN» Les traîtres ne sont pas ceux
que l'on croit. Comme mon père, près de
40% des supplétifs, selon Michel Roux,
ont aidé les djounoud [les combattants].
[] Pourquoi tu n'as rien dit, papa?» «Je
passais déjà pour un traître aux yeux
des Algériens. Je n'allais pas encore
l'être pour les Français!». (5)
Ces exemples ne
sont pas uniques, ils montrent cependant
que la situation des citoyens algériens
était intenable et il serait inexact que
tout les harkis s'engagèrent par
conviction. Certes, il y eut parmi eux
des tortionnaires qui ont tué de façon
délibérée. Je pense notamment à ceux
embrigadés à Paris par le sinistre
préfet Papon qui, après avoir collaboré,
a pris curieusement du service et a
montré son talent, notamment le 17
octobre 1961. Une phrase résume
l'abjection de cet homme : «Avec Papon,
pas de ratons sous les ponts». Il ne
sera pas jugé pour ses méfaits contre
les Algériens, mais pour avoir été
fonctionnaire de Vichy !
Le docteur Mohamed Toumi qui deviendra
plus tard un éminent professeur de
cardiologie- maquisard de la première
heure, raconte le cas de supplétifs qui
désertèrent pour rejoindre l'Armée de
Libération Nationale. Il donne son avis
sur les raisons qui ont amené les
harkis, ces Algériens, à choisir le camp
de l'adversaire, avec une rare
objectivité, lui qui les a combattus et
en a souffert. Il écrit : «Le problème
est certes complexe et non insoluble.
Ces Algériens étant qualifiés de
collaborateurs en raison de leurs
engagements aux côtés de l'armée
coloniale. Il serait pourtant
raisonnable de reconsidérer notre
jugement hâtif les concernant. Nombreux
se sont engagés pour de multiples
raisons, éloignées de toute espèce
d'idéologie : pauvreté et misère
insupportables pour un chargé de
famille, confiné de surcroît dans un
camp de regroupement lui et sa
progéniture, en proie aux affres de la
promiscuité et de la faim, esprit aigu
de vengeance pour des actes subis dans
leur chair ou pour des actions
coercitives menées à l'encontre de leur
famille ou même de leur tribu, actions
souvent irréfléchies ou injustes
perpétrées sur ordre de responsables FLN
par trop zélés. Parfois cet engagement
fut purement dicté par des inimitiés
ancestrales intertribales. Telle tribu
ayant rejoint le FLN, la tribu ennemie,
par crainte de représailles, rejoignant
le camp adverse» (6)
Dans le même ordre d'idées, le docteur
rapporte le cas de harkis qui ont
déserté en sauvant un prisonnier :
l'évasion du moudjahid Ahmed Benabenni.
«() Nos deux braves supplétifs
parvinrent à récupérer les clefs afin de
libérer le prisonnier de ses chaînes,()
Du côté adverse () les recherches
poursuivies jusqu'à la nuit sont
demeurées vaines. Benabenni et ses deux
compagnons n'eurent ensuite aucune
difficulté pour rejoindre nos unités. Le
retour de Si Ahmed après son évasion
rocambolesque fut fêté comme il se
devait par les djounoud. Ceux qui l'ont
aidé dans cette périlleuse entreprise
furent félicités et honorés» (6)
Les harkis
rapatriés en France
La condition des
harkis parqués en France à leurs arrivée
est restée longtemps déplorable. Le 11
février 2006, Georges Frèche le maire
socialiste de Montpellier résume
l'affection de la France pour ceux qui
ont combattu pour elle.: « Vous êtes
allés avec les gaullistes (...) Ils ont
massacré les vôtres en Algérie (...).
Vous êtes des sous-hommes, vous êtes
sans honneur » Ces «anciens indigènes
algériens» qui ont cru à la grandeur de
la France au point de se battre contre
d'autres «indigènes» comme eux, ont été
ainsi récompensés par leur abandon puis
leur marginalisation en France.. Mais
c'est un fait. Leur dévouement ne fut
pas reconnu à sa juste valeur, obligés
pour beaucoup à s'engager par la force
ou à périr.
Selon Philippe
Denoix, «Louis Joxe, ministre d'État aux
Affaires algériennes, adressa à l'armée
une directive très secrète, le 12 mai
1962, menaçant de sanctions les
militaires français qui organisaient le
repli en Métropole de leurs alliés
musulmans en dehors du plan général de
rapatriement», La note dispose
notamment: «Les supplétifs débarqués en
Métropole en dehors du plan général de
rapatriement seront renvoyés en Algérie
[]. Les promoteurs et les complices de
rapatriements prématurés seront l'objet
de sanctions appropriées.» En fait, en
1962, il n'existe aucun plan
d'évacuation ni de protection des harkis
et de leurs familles. On estime à 15.000
ou 20.000 le nombre de familles de
harkis, soit 90.000 personnes, qui
purent s'établir de 1962 à 1968. (7)
Selon Guy Pervillé,
de Gaulle voulait que les harkis restent
en Algérie car, pour lui, les harkis
n'étaient en aucun cas de vrais
Français. «() Au Conseil des ministres
du 25 juillet 1962, peu après
l'indépendance de l'Algérie, lorsque
Pierre Messmer, ministre des Armées,
déclare : «Des harkis et des
fonctionnaires musulmans, les moghaznis,
se disent menacés, d'où des demandes qui
viennent à la fois des autorités civiles
et militaires. Il faut prendre une
position de principe», De Gaulle répond
: «On ne peut pas accepter de replier
tous les musulmans qui viendraient à
déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec
leur gouvernement ! Le terme de
rapatriés ne s'applique évidemment pas
aux musulmans : ils ne retournent pas
dans la terre de leurs pères. Dans leur
cas, il ne saurait s'agir que de
réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir
en France comme tels que s'ils couraient
un danger !» (7)
Ce qui s'est
passé en Algérie pendant l'été 1962
C'est un fait qu'il
y eut des règlements de compte. Nous
sommes en juillet 1962, l'armée
française s'en va, la force locale se
met difficilement en place à Alger. A
l'intérieur du pays, les moudjahid
prennent graduellement le contrôle mais
ne peuvent empêcher les exactions qui,
si elles furent nombreuses, sont loin
des chiffres exagérées données par
différentes sources pour des raisons
connues visant à diaboliser le jeune
Etat algérien qui se met en place mais
qui n'est pas responsable des exactions.
Pour certains historiens il s’agirait
de plusieurs dizaines de milliers de
harkis qui auraient été tués.
Pierre Daum écrit
dans sa contribution : « (…) Pour tous
ces anciens harkis, la période la plus
difficile fut celle de l'été et de
l'automne 1962. Les héros de
l'indépendance s'entredéchirent alors
dans une lutte fratricide pour le
pouvoir.(…) Le 4 juin 1963, Ben Bella
déclare à Oran, où des harkis viennent
d'être assassinés : «Nous avons, en
Algérie, tourné la page. Nous avons cent
trente mille harkis et nous leur avons
pardonné. Les gens qui se posent en
justiciers commettent leurs assassinats,
avec l'excuse qu'il s'agit d'un harki,
simplement pour lui voler sa montre.
Tous les criminels ont été arrêtés. La
justice sera implacable et ces actes
criminels condamnés par l'exécution ()
Aucune loi, pourtant, n'interdit aux
anciens harkis ou à leurs enfants de
percevoir des allocations de l'Etat. Le
mot «harki» n'apparaît d'ailleurs nulle
part dans la législation algérienne.
(..) On trouve une seule allusion aux
harkis, dans la loi du 5 avril 1999
«relative au moudjahid et au chahid
[martyr] ». L'article 68 précise : «
Perdent leurs droits civiques et
politiques, conformément à la loi en
vigueur, les personnes dont les
positions pendant la révolution de
libération nationale ont été contraires
aux intérêts de la patrie et ayant eu un
comportement indigne». Or, jusqu'à
aujourd'hui, aucun décret d'application
ne permet la mise en pratique de cette
loi très générale, qui est donc restée
lettre morte» (8)
Pour aller dans le
même sens, selon maître Ali Haroun,
ancien membre du Conseil National de la
Révolution Algérienne (CNRA), «En tant
qu'Algériens, on n'a pas d'observation à
faire sur la manière dont les harkis ont
été accueillis en France dans des camps
d'internement, ce sont des rapports
franco-français. François Hollande
sous-entend que les harkis ont été
massacrés, là je dis que jamais
l'autorité du FLN, en juin, juillet et
août 1962, n'a autorisé ou invité les
Algériens ou l'ALN à se venger des
harkis. Au contraire. Jamais le FLN ou
le GPRA n'ont incité les Algériens à se
venger de ceux qui ont aidé le
colonisateur. Ces dépassements sont
spécifiques aux pays qui ont connu des
révolutions [comme] ces villageois
français qui s'en sont pris spontanément
aux anciens collaborateurs nazis.» (9)
Enquête sur ces
harkis restés en Algérie
Il ne faut pas
croire que tous les harkis partirent en
France. Beaucoup parmi eux ont préféré
rester en Algérie quitte à braver la
colère, voire la vengeance des citoyens.
Nous allons nous référer à quelques
extraits d'un article de Pierre Daum
qui, après avoir sillonné l'Algérie,
explique les raisons qui ont amené des
Algériens à devenir harkis : «(…) Depuis
cinquante ans, ces témoins d'une
histoire coloniale plus compliquée que
les schémas acceptés sur les deux rives
de la Méditerranée sont victimes d'une
relégation sociale quasi
institutionnalisée. () A 79 ans, M.
Abderrahmane Snoussi continue de vivre
de ses quelques chèvres, qu'il emmène
paître chaque matin sur le terrain
familial, dans les hauteurs. Harki de
1959 à 1962, le vieil homme accepte pour
la première fois de parler de son passé
avec un journaliste. «Les Français
avaient installé ici un poste très
important, avec au moins huit cents
soldats. Mon père, qui avait fait la
Seconde Guerre mondiale, leur servait
d'interprète. Le FLN [Front de
libération nationale] l'a assassiné en
1955, j'avais 19 ans. Quatre ans plus
tard, les soldats français sont venus
chez moi. Ils ont pris ma femme, et ils
m'ont dit de venir travailler avec eux,
sinon ils toucheraient à ma femme. C'est
comme ça que je suis devenu harki» (10)
«Parmi les soldats se trouvait le
sous-officier Pierre Couette, un appelé
originaire de la région parisienne. Dans
les nombreuses lettres qu'il envoya à
ses parents, le jeune homme,
profondément catholique, a décrit toutes
les «humiliations» et les « oppressions
inutiles » que subit la population
locale. () M. Snoussi a-t-il assisté,
voire participé, à ces séances de
torture ? « Non, jamais ! Avec mon
groupe, on nous envoyait en embuscade,
aux ratissages, etc. Quand on faisait un
prisonnier, on l'emmenait au deuxième
bureau. Mais je ne restais pas. » Le
jour du cessez-le-feu, le 19 mars 1962,
le commandant rassemble ses harkis : «
Celui qui veut partir en France, il peut
partir. Et celui qui veut rester, il
reste ! » M. Snoussi choisit de rester.
« Ma famille était ici. Ma mère, mon
frère, je ne pouvais pas les abandonner.
» (10)
«Tous les supplétifs n'ont pas eu la
possibilité d'un tel choix. A peine
l'armée française disparue, les
moudjahidin descendirent des montagnes.
« Ils nous ont emmenés dans la caserne
de Sidi Larbi, à trente kilomètres
d'ici, de l'autre côté de la montagne.
C'est une ancienne caserne de l'armée
française, que l'ALN [Armée de
libération nationale, la branche
militaire du FLN] a récupérée. » Il y
passe quinze jours, « en avril 1962 »,
au milieu de quatre cents autres harkis,
en provenance de toute la région. «
Ensuite, ils nous ont relâchés petit à
petit, et je suis rentré au
village ».(10)
« « A Beni Bahdel,
nous étions sept harkis. On vit tous
encore ici. » M. Snoussi fait partie de
cette grande majorité de harkis
-plusieurs centaines de milliers si on
prend le terme au sens large qui sont
restés en Algérie après l'indépendance,
et qui n'ont pas été tués. « Depuis
cinquante ans, nous sommes restés
bloqués sur cette seule alternative
concernant les harkis : soit ils se sont
échappés en France, soit ils ont été
massacrés en Algérie, explique
l'historien Abderahmen Moumen, un des
meilleurs spécialistes des harkis. Mais
la réalité historique, sans éluder les
violences à l'encontre d'une partie
d'entre eux après l'indépendance
(massacres, internements,
marginalisation sociale...), nous oblige
à considérer une troisième possibilité :
qu'ils soient restés en Algérie sans
avoir été tués. » Une possibilité
difficilement admissible dans
l'Hexagone, où le discours sur le
«massacre des harkis» est utilisé depuis
un demi-siècle par les nostalgiques de
l'Algérie française pour justifier leurs
positions anciennes» (10)
«Certes, poursuit Pierre Daum, pour un
harki, retourner dans son village en
1962 après y avoir paradé pendant des
mois revêtu de l'uniforme français,
comportait des risques considérables. A
partir de la soixantaine de témoignages
que nous avons recueillis à travers
l'Algérie, un même schéma se dessine.
Une fois l'armée française évacuée
(parfois dès la proclamation du
cessez-le-feu, mais la plupart du temps
après le 5 juillet, date de
l'indépendance), certains moudjahidin
mêlés à des combattants de la
vingt-cinquième heure arrêtèrent un
grand nombre de harkis, ainsi que des
militaires et des notables pro-Français.
(…) «Vers la fin septembre [1962],
raconte M. Hassen Derouiche, un ancien
harki retrouvé à Tifrit, à côté d'Akbou,
en Petite Kabylie, un groupe d'hommes
très excités, principalement des
«marsiens», ont couru dans le village
avec des bâtons et des barres de fer
pour attraper les harkis. Ils en ont
chopé sept [dont un certain Bouzid], ils
voulaient nous faire la peau.
Heureusement, un type de l'ALN est
arrivé, et il a dit : «Pourquoi abattre
ces jeunes qui sont dans la fleur de
l'âge ? On va les faire passer devant la
population. S'ils ont fait du mal, on va
les liquider. Mais s'ils n'ont rien fait
de mal, pourquoi les tuer ?» (10)
«Le lendemain
matin, les sept harkis sont exposés
pendant quatre heures devant l'ensemble
du village. «Cela représentait une
centaine de personnes, poursuit M.
Derouiche. Le chef du village a dit :
«On ne va pas laisser une seule famille
pleurer. Donc on va remettre tout le
monde entre les mains de l'Etat, et
l'Etat fera ce qu'il voudra ! » (..) Les
sept personnes furent incarcérées à la
prison d'Akbou, avant d'être envoyées,
un mois plus tard, dans la prison
centrale d'Al-Harrach
(ex-Maison-Carrée), à Alger. M.
Derouiche y passa quatre années, au
milieu de mille cinq cents autres
prisonniers. « Nous étions traités
normalement, sauf que nous ne sommes
jamais passés en jugement». En 1966, on
l'envoie construire des routes du côté
d'Ouargla. Libéré en 1969, il rentre
finalement chez lui, à Tifrit» (10)
Où en est-on
en Algérie ?
L'Algérie depuis
plusieurs années s'ouvre aux Français
ayant des attaches avec l'Algérie.
Pouvons nous dire qu'ils avaient tous de
la sympathie pour la cause algérienne ?
Sûrement non ! Et pourtant, comme le
répétait Boumediene, «l'Algérie tourne
la page mais ne la déchire pas». Ce qui
compte c'est l'intention sincère de ne
pas porter préjudice à l'Algérie.
Beaucoup d'enfants de harkis reviennent
sans problème. Quand aux parents, encore
en vie, l'apaisement est le plus sûr des
remèdes.
Bien plus tard,
ballottés de Droite à Gauche, les Harkis
sont sollicités au moment des élections
Ainsi, la France de la Droite
instrumenta leur détresse. En Algérie
une lente évolution est en train de se
faire des «erreurs à l'encontre des
familles et des proches des harkis». Le
président Abdelaziz Bouteflika avait
affirmé en 2005 que « les enfants des
harkis ne sont pas responsables des
actes de leurs parents». Le président
Bouteflika avait déclaré à Chlef, le 2
septembre 2005, que «les enfants des
harkis ont les mêmes droits que le reste
des Algériens, à condition qu'ils
défendent ce paisible pays». Et
d'enchaîner : «Les enfants des harkis ne
sont pas responsables des actes de leurs
parents». Le 8 septembre à Oran, le
président Bouteflika ajoute «il s'agit
d'Algériens engagés par l'armée
française comme supplétifs durant la
guerre d'Algérie et qui sont devenus
Français après l'indépendance. Avec
leurs descendants, ils forment une
communauté de 400.000 personnes. Nous
avons commis des erreurs à l'encontre
des familles et des proches des harkis
et n'avons pas fait preuve de sagesse.
Nous avons suscité en eux un sentiment
de haine et de rancœur, portant ainsi un
préjudice au pays.» (10)
Malgré ces mises
au point, il semble que le dossier
reprend du service. Tout est parti
initialement d'une déclaration de
Jean-Yves Le Drian, le ministre français
des Affaires étrangères, à l'origine de
cette polémique. Hasna Yacoub résume les
termes du débat : «Le chef de la
diplomatie française «s'est exprimé le
29 mai dernier sur la situation des
anciens harkis et leur libre circulation
entre la France et l'Algérie, «il s'agit
simplement de proposer un dialogue sur
une question très sensible. Le ministre
de l'Europe et des Affaires étrangères a
d'ailleurs rappelé dans sa réponse
«qu'il convenait de ne pas sous-estimer
la sensibilité de ces questions dans
l'opinion et pour les autorités» tant en
France qu'en Algérie». (12)
Un autre article récent nous informe que
l'apaisement n'est pas à l'ordre du
jour. Sous la plume de Hocine Adryen
nous lisons : «La France est plus que
jamais déterminée à forcer la main à
l'Algérie pour le retour de harkis et
des pieds-noirs. En témoigne cette
réponse de la ministre de l'Europe et
des Affaires étrangères française,
Nathalie Loiseau, qui a rappelé
récemment la détermination de la France
«à faire revenir les harkis et leurs
familles sur leur terre natale», dans
une réponse à la question écrite du
député de La République en Marche Damien
Adam. Selon la ministre française». (13)
« Aussi, dit-elle,
le gouvernement français «est sensible à
la détresse ressentie par les anciens
harkis et leurs familles, qui ont dû
quitter la terre où ils sont nés et qui
ne peuvent y revenir, même pour leur
dernier voyage». Elle a ajouté que le
gouvernement est mobilisé de longue date
pour «permettre leur retour sur leur
terre natale». Il a annoncé des mesures
pour engager la France dans ce travail,
dont il a déclaré attendre des démarches
réciproques en Algérie, appelant
celle-ci à faire des gestes à l'égard de
ceux qui y sont nés et qui veulent
pouvoir y revenir», dit-elle. Selon la
ministre, «un travail de justice, de
mémoire et de vérité doit être mené
envers ces personnes». (13)
«Prompte à réagir à
tout ce qui a trait aux harkis et aux
pieds-noirs, l'Organisation nationale
des moudjahidine (ONM) a affirmé de son
côté que les menaces d'exhumer le
dossier de restitution des prétendus
biens des colons et des pieds-noirs en
Algérie et le retour des harkis au pays
«ne serviront pas de moyens de pression
et de chantage» contre l'Etat algérien.
Ces biens dont parlent les Français «ont
été arrachés à leurs propriétaires
légitimes par la force et en vertu de
lois iniques», a indiqué l'ONM qui a
ajouté que le dossier des harkis «a été
clos définitivement pour l'Etat algérien
et, par conséquent, il ne sera en aucun
cas un moyen de chantage. C'est une
question qui concerne la France seule et
n'a aucune relation avec notre Etat».
L'ONM a déploré le fait que certains
responsables d'institutions françaises
officielles «sont toujours nostalgiques
de l'Algérie française au point de
revendiquer des droits illégitimes sur
lesquels l'histoire à d'ores et déjà
tranché» (13)
Par ailleurs,
curieusement il est fait mention de
dédommagement de biens d'Européens ! Il
est mal venu d'y penser quand on met
dans la balance le dédommagement de
millions d'Algériens qui sont passés de
vie à trépas d'une façon violente
pendant la colonisation. De plus,
simplement à titre d'information, Pierre
Pean rapporte dans son ouvrage les faits
suivants : «Officiellement, le trésor
trouvé à la Casbah s'élevait à 48
millions d'espèces d'or et d'argent,
soit l'équivalent de 4 à 6 milliards
d'euros actuellement» (14)
De mon point de vue
il est mal venu de s'ingérer dans les
affaires d'un autre Etat. Peut-on donner
des leçons alors que toutes les guerres
se terminent naturellement par des
épurations ? Il est incompréhensible que
la France s'immisce dans les affaires
algériennes. De quoi s'agit-il et quelle
population est concernée ? S'agissant
des enfants, les autorités algériennes
ne mettent aucune condition. Ils sont en
principe libres d'aller et de venir.
Combien de harkis concernés ? L'accueil
ne peut être qu'individuel après une
opération de vérités et réconciliation
qui permettrait d'aboutir à
l'apaisement. Rien ne doit être gravé
dans le marbre ! Ce sera peut-être
l'occasion de mettre tout à plat et
faire l'inventaire de ce que fut l'œuvre
mutuellement positive de chacun envers
l'autre. Quand on pense que les restes
mortuaires de patriotes algériens se
trouvent toujours au musée de l'Homme
malgré les promesses faites. J'ai fais
mienne la citation de Spinoza en tentant
de comprendre sans juger. Je milite pour
un nouveau dialogue global avec la
France dans l'égale dignité des deux
peuples. De ce fait un aggiornamento est
nécessaire de part et d'autre. Le moment
est venu de solder les haines.
De ce fait, pour en finir avec
l'histoire des harkis qui ont été les
variables d'ajustement pour des
stratégies discutables de part et
d'autre du discours, il serait
souhaitable de cesser de les manipuler
aussi bien en France comme réservoir
électoral incontournable, restant
cependant et malgré toutes les promesses
des citoyens français entièrement à part
au lieu d'être des citoyens Français à
part entière. En Algérie ils servent
aussi de repoussoir mis en œuvre par
tous ceux qui ont fait de la révolution
de Novembre un fonds de commerce commun
en s'intronisant «famille
révolutionnaire» dont on peut se
demander qu'elle est sa valeur ajoutée.
Il est malheureux
que la marche de l'histoire soit bloquée
et que le nécessaire aggiornamento de
part et d'autre soit fait non pas par
des injonctions d'un autre âge mais par
la nécessité de réévaluer le rapport au
monde des deux peuples, s'ils veulent
inventer l'avenir. Les enfants de harkis
devraient être invités dans le pays de
leurs pères sans arrière-pensée à la
seule condition qu'ils n'aient aucune
animosité et qu'ils puissent apporter
leurs concours pour créer des ponts
mutuellement profitables aux deux pays.
L'apaisement ne
viendra pas des slogans, il viendra avec
des actions concrètes qui permettront
d'aller de l'avant pour inventer le
futur dans une région qui a grand besoin
de stabilité. Nous sommes au XXIe siècle
et les jeunes ont d'autres défis à
relever. L'Algérie a montré sa
résilience dans les situations.
difficiles , elle devrait apurer ce
contentieux Nous sommes au XXIe siècle
et les jeunes ont d'autres défis à
relever. L'Algérie a montré sa
résilience dans les situations
difficiles , elle devrait apurer ce
contentieux Dans l'égale dignité des
deux peuples l'Algérie et la France si
ils regardent vers l'avenir , pourront
forger ensemble des actions concrètes
notamment dans le domaine de la science
et de la technologie.
Pour ma part en
tant que scientifique, je verrais bien
la mise en place par la France d'une
grande bibliothèque numérique -à
l'instar de la bibliothèque d'Alexandrie
inaugurée par François Mitterrand
acclamé par un parterre de députés qui
n'ont qu'un lointain rapport avec la
langue de Voltaire - qui pourrait
remplacer dans une certaine mesure les
600.000 volumes partis en fumée un matin
de juin 1962.
Notes :
1.Jean Daniel. Le Temps qui reste.
Editions Flammarion 1972.
2.https://fr.wikipedia.org/wiki/Collaboration_en_France
3.https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89puration_%C3%A0_la_Lib%C3%
A9ration_en_France
4.https://fr.wikipedia.org/wiki/Femmes_tondues
5.Dalila Kerchouche: Mon père, ce harki.
Morceaux choisis L'Express du
04/09/2003.
6.Docteur Mohamed Toumi médecins dans
les maquis . Editions
Enag Alger 2016
7. Chems Eddine Chitour
https://www.mondialisation.ca/les-harkis-ces-francais-entierement-a-part-reservoir-de-voix-des-echeances-electorales/5548981
8. Dépêche de l'AFP 4 juin 1963,
Le Monde du 5 juin 1963 : «Les assassins
de harkis seront exécutés, déclare M.
Ben Bella à Oran ».
9. S.Rabia
http://elwatan.com/une/grave-derapage-de-hollande-26-09-2016-329416_108.ph
10. Pierre Daum :
https://www.monde-diplomatique.fr/2015/04/DAUM/5283
11. Déclaration du président Abdelaziz
Bouteflika : Hadj Bouziane : http://www.
lanouvellerepublique.com... .3 09 2005
Repris dans
http://histoirecoloniale.net/
les-enfants-des-harkis-ne-sont-pas-responsables-des-actes-de-leurs-parents.html
12.
http://www.lexpressiondz.com/actualite/296094-les-precisions-de-l-ambassade-de-france.html
13. Jeune-independant.net et
https://www.algerie360.com/la-france-determinee-a-faire-revenir-les-harkis-en-algerie/?
14.Pierre Pean. Main basse sur Alger
:Enquête sur un pillage. Paris 2004
Article de
référence: http://www.lequotidien-oran.com/?news=5264909
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
Alger
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