Actualité
Révolution du 22 février :
Les défis de la IIe République
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Dimanche 7 avril 2019
«En politique,
quand un évènement vous paraît advenir
par hasard, vous pourrez être sûr qu'il
a été minutieusement préparé.»
Franklin Delanoë Roosevelt, ancien
président des Etats-Unis (1932-1945)
Nous vivons depuis le 22 février 2019
une époque exceptionnelle en se sens que
la parole est libérée, le mur de la peur
s'est fissuré. Cela rappelle les
quelques mois qui ont suivi octobre
1988, où l'exubérance, des idées et
l'atmosphère soixante-huitarde donnait
l'illusion à l'Algérienne et à
l'Algérien frondeurs de naissance, que
nous étions définitivement libres.
Cruelle erreur s'il en est! Nous avons
alors, mis le cap inexorablement sur
l'irrationnel et nous en avons pris pour
10 ans. Nous en avons pris ensuite pour
20 ans avec le système précédent. Même
peuple plus nombreux de 13 millions avec
une composante plus jeune, même système,
mêmes méthodes, sauf que cette fois-ci
l'Internet et les réseaux sociaux sont
d'un apport indéniable pour le meilleur
et pour le pire...
Une Révolution
spontanée ?
Cependant, on peut
s'interroger sur cette spontanéité
soudaine et l'apparition de
hauts-parleurs idéologiques jaillis de
nulle part que Facebook plébiscite, il
n'en demeure pas moins qu'il y a une
attente Elle est inquiète pour son
avenir. Elle attend et donne rendez-vous
au pouvoir tous les vendredi en donnant
chaque fois des preuves de son génie
«constructeur» parce qu'il carbure à
l'espoir. Le peuple surtout des jeunes
semble sensible à des «bergers» qui le
poussent aux dernières extrêmités. Cela
nous rappelle les révolutions colorées
et les révolutions arabes où on
s'aperçoit que les meneurs, les
porte-voix appelés aussi les
influenceurs qui captent les imaginaires
des jeunes ont à des degrés divers des
relations avec l'extérieur qui les
finance.
Le professeur Ahmed
Bensaada bien connu pour avoir écrit un
ouvrage percutant sur les non dits des
révolutions arabes et autres fomentées
dans les officines occidentales a dans
une nouvelles contribution exhaustive,
déconstruit encore une fois la mécanique
des printemps arabes en expliquant que
rien n'arrive par hasard et que tous les
printemps qu'ils soient en Europe
centrale (Maïdan et autres ou les
nombreux printemps arabes ont tous une
adresse: les Thinks Thanks de l'Empire
américain et à un degré moindre celles
de ses vassaux européens. Aucune des
révoltes ou Révolution, celle de la
place Tahrir comme celle du Jasmin -et
peut être celle du 22 février 2019- n'a
pas d'une façon ou d'une autre subi une
influence externe.
Le professeur Benssada
écrit: justement à propos de la
spontanéité des manifestations du 22
février «(...) Dès le début des
manifestations, les noms de personnes
susceptibles de 'guider le destin du
pays'' ont inondé le cyberespace. Les
uns avançaient un pion, les autres un
autre, comme s'il s'agissait de voter
pour un candidat de téléréalité. Aucun
programme présenté, aucune vision
expliquée, ni aucun embryon d'agenda
politique. Les messages, les photos et
les vidéos partagés à satiété
(probablement par des trolls
cyberactivistes), propulsent certaines
personnes au statut suprême de sauveur
de la nation. Et pourquoi ne pas
proposer un gouvernement clés en main
pendant qu'on y est? (...)» (1) Le
professeur Bensaâda cite le nom de trois
personnes que le cyberespace porte aux
nues et met en garde. Il ajoute que:
«D'anciens membres du Cncd ainsi que de
notoires islamistes sont sortis de leur
hibernation politique, surfant sur la
vague de la contestation et se
trémoussant sur les flonflons des 'Irhal''
et 'Dégage''. Les médias sociaux nous
ont aussi inondés de «candidatures»
étonnantes comme celles d'animateurs de
talk-shows ou des commentateurs sportifs
comme si la capacité à gérer un pays se
mesurait avec la vigueur des onomatopées
émises lorsqu'un but est marqué. Alors
que l'Algérie vit des moments critiques,
cette course aux fauteuils et ce
retournement de veste conjoncturel est
bassement indécent. On ne peut pas
critiquer un système électoral basé sur
la «chkara» et le remplacer par un autre
basé sur le «like». (1)
«Les manifestations
pacifiques qui ont secoué notre pays et
qui ont ébranlé le 'système'' délétère
qui le gouvernait ont montré un visage
très positif de notre jeunesse. Réussir
à 'dégager'' un pouvoir politique
moribond dans la joie et la bonne
humeur, sans aucun incident notable, est
non seulement exemplaire, mais aussi
salutaire pour l'avenir de l'Algérie.
Cependant, le modus operandi de
ces manifestations conforme aux
principes fondamentaux de la lutte
non-violente de Canvas montre que 19 ans
après la Serbie et 8 ans après le début
du «printemps» arabe, l'Algérie connaît
à son tour une révolution colorée. Ce
mode opératoire témoigne ainsi de
l'existence d'un groupe de
cyberactivistes formé par des officines
d'«exportation de la démocratie» et
actif aussi bien dans l'espace que dans
le cyberespace.» (1)
Cependant, un
fait : le fond rocheux de ces
manifestations nous montre une Algérie
ouverte, tolérante, apte à la modernité
et il serait injuste de dire que tout
est faux . De bons cœurs les Algériennes
et Algériens ont manifesté leur refus de
l’ordre établi et je ne pense pas
que si les Algériennes et Algériens
étaient retors à tout dialogue à toute
civilité, ces belles expressions du
meilleur de nous même aient réussi .
Disons seulement que les éventuels
manipulateurs ont surfé sur un corps
social mûr pour le changement. Faisons
le changement dans le sens de
l’histoire.
Cependant si
nous tardons trop longtemps à résoudre
nos problèmes , Dans cet entre deux
comme l’écrit si bien Antonio
Gramsci , apparaissent les monstres
car nous ne sommes pas une exception
qu’il faut ménager et on ne
peut exclure une manipulation de grande
ampleur pour créer le chaos. Toute
l'intelligence à faire comme au Judo,
utiliser cette formidable force dans le
sens que nous, nous voulons et non celle
peut être programmée poirr nous . Nous
devons rester en éveil et déjouer
les complots faire de cette Révolution
un réel nouveau départ d'une République
démocrate où les libertés sont gravées
dans le marbre et où compte la seule
valeur ajoutée de chacun à l'édification
de l'Etat, en dehors de tout népotisme,
régionalisme.
L'Algérie à la
croisée des chemins
Maintenant que le
président a été contraint de
démissionner, maintenant que la voie est
libre vers la mise en place de
structures nouvelles, voilà que l'on
n'invoque plus l'application de
l'article 102 Le peuple a encore une
fois ce 5 avril donné son avis: Non à
l'application d'une Constitution qui n'a
pas été votée, qui a été triturée
plusieurs fois par le système. Non au
tryptique reliquat du système; Les 3 B:
Bensalah, Bedoui, Belaïz Les jeunes sont
en attente, mais malheureusement ils
peuvent être sensibles au discours
démagogique qui consiste à prôner un
discours extrême - casser les structures
de l'Etat - avec une formule qui me
paraît dangereuse «ga'3 irouhou!», (Tous
doivent dégager!) sans penser à une
alternative est dangereux.
C'est un
fait, le peuple a encore une fois de
plus tranché. Il ne veut pas des 3 B.
D'un autre côté, la lecture littérale de
la Constitution nous conduit vers une
impasse, même si certains prévoient des
possibilités de tordre le cou en douceur
à la Constitution qui en a tellement vu
tout en rappelant que cette Constitution
a été malmenée plusieurs fois. La
situation actuelle me paraît dangereuse
si elle venait à perdurer! Mon sentiment
est qu'il faille sortir de ce dilemme
qui nous mène de Charybde en Scylla: ou
on respecte la Constitution et le peuple
se voit imposer des personnalités du
premier cercle avec tout ce que cela
comporte comme perpétuation de l'ordre
ancien qui a tant fait mal au pays et
dénaturé le fond rocheux de ce pays, ou
par contre on sort du carcan
constitutionnel et on respecte le peuple
et son choix de tourner le dos au passé.
Il reste un
troisième scénario entre les deux , qui
pourrait se faire si le « nouveau
président » élu démissionne ce qui
ouvre la voie constitutionnelle à
la recherche de personnalités pour
mener à bien la transition
Nous devons alors trouver rapidement les
voies et moyens de pallier l'apesanteur
des institutions en plébiscitant des
personnalités car il ne suffit pas de
dire non au système, il faut, et c'est
le moment, faire en sorte qu'on ne perde
plus de temps, tout mettre en oeuvre
pour aller vers une solution quand bien
même elle ne serait pas optimale, mais
elle permettrait de sauver cette belle
révolution. Le futur président aura la
charge d'ouvrir la chantier de
l'élaboration d'une Constitution et on
prévoira un dernier article stipulant
que la Constitution est inviolable!!
De quoi sera fait
demain?
Nous n'avons pas
encore évalué à sa juste dimension
l'immensité de la tâche qui nous attend.
Nous sommes une économie de rente. Nos
finances sont dans le rouge. Le
gouvernement tétanisé continue sur sa
lancée et, à ce rythme sans cap, sans
gouvernail et ce qui nous reste des 1000
milliards sera dépensé au plus tard à ce
rythme de gaspillage. Nous serions
inexorablement amenés à passer sous les
fourches caudines du FMI et on connaît
le remède: suppression brutale des
subventions, moins de politique sociale.
Bref, nous accepterons la tutelle avec
tout ce que cela comporte de renoncement
à l'indépendance... Nous allons zoomer
rapidement sur deux problèmes qui
paraissent importants.
La tragédie du
gaspillage de la rente pétrolière
A bien des égards
sans remonter aux années de la
présidence Chadli et à la decennie
noire, je veut simplement zoomer sur
cette dernière période caractérisée par
un gaspillage sans nom. Dans cet ordre,
dire que dans 20 ans, qu'il n'y aura pas
de pétrole pour assurer le vivre est-ce
être un prophète de malheur? Nous
n'avons pas de temps à perdre concernant
la mise en place d'une stratégie
énergétique qui nous permette d'éviter
de brûler ce qui reste de gaz et de
pétrole. Il faut savoir qu'un rapide
calcul nous a fait perdre depuis 20 ans
au moins 100 milliards de m3 de gaz si
on avait mis en place, à marche forcée,
le plan énergie renouvelable. Ces
réserves qu'on aurait pu laisser aux
générations futures ou encore auraient
permis de financer une partie du plan
solaire avec le gaz naturel non consommé
soit environ
30 milliards de dollars. Nous nous
retrouvons en 2019 avec une capacité
solaire de 2%.
Modestement, je veux porter
témoignage en tant que professeur de
thermodynamique et d’économie
pétrolière, de mes incessants rappels à
ceux qui nous gouvernent de la nécessité
d’avoir une vision du futur une
stratégie à 2030 par la mise en place
d’un modèle énergétique flexible prônant
une transition énergétique et écologique
vers le Développement Humain Durable qui
permette de sortir « par le haut de la
malédiction de la rente » Sachant que
le plus grand gisement énergétique du
pays est celui des économies d’énergie.
Ceci n’a pas vu le plus petit début de
concrétisation même le Plan de 22.000 MW
à 2030 s’avère être un gigantesque
canular. La capacité installée en
solaire étant, malgré les efforts, de
SKTM de 400 MW soit 2 %
Des modèles énergétiques réalisées par
mes élèves ingénieurs avec intégration
graduelle des énergies renouvelables
(30 % et 50%) ont été présentés aux
décideurs lors de 23 Journées ( depuis
1996) à la date symbolique du 16 avril
de chaque années en vain !
Par contre soucieux
de pomper au maximum dans l’amont , nous
donnons des gages à nos partenaires sans
contre partie dans l’aval Ainsi dans
cette période délicate que nous vivons
les milieux internationaux s'inquiètent
du cap et des réformes retardées dans le
secteur des hydrocarbures. Pour eux le
président de Sonatrach qui devait
présider une session au Congrès LNG du
1er au 5 avril n'est pas parti
(empêché?) . S&P Global Platt résume
cette inquiétude: «Algerian President's
resignation brings energy sector into
focus» «La démission du président
algérien met l'énergie au premier plan!»
(2)
Il nous faut
rapidement reprendre contact avec nos
partenaires traditionnels et les
rassurer que l'Algérie remplira ses
obligations Dans le même temps il nous
faut revoir fondamentalement la
stratégie énergétique en mettant
en œuvre la transition énergétique et
chaque m3 de gaz épargné est un viatique
pour les générations futures
La descente aux
enfers du système éducatif
L'école a été un
échec car les ministres qui se sont
succédé ont procédé à des réformettes
sans s'attaquer au problème de fond qui
est celui de la modernité, de la
rationalité. Le combat c'est celui de
mettre du rationnel dans les
enseignements en développant à marche
forcée les mathématiques, les sciences,
l'ouverture sur l'universel. Le bac math
et la technologie c'est 2% des effectifs
en Algérie, en Iran 25% en Allemagne
35%! Résultat des courses: bac lettres
et bac sciences avec des coefficients
égaux pour toutes les disciplines M.P.C,
Sciences, Lettres. Voilà le constat. Il
faut bien l'avouer, le système éducatif
a été pour ces jeunes un échec.
L´Education nationale est une machine à
fabriquer des perdants de la vie, elle
n'a pas été un ascenseur social.
L'enseignement supérieur souffre des
mêmes travers, là aussi il est important
de réhabiliter.
Quand la jeunesse
verra que l´on récompense les
enseignants qui sont la colonne
vertébrale de la société, que ces
derniers sont traités dignement, quand
ils verront qu´on peut réussir dans la
vie autrement que par la voie parallèle,
elle prendra goût à l´effort, aux
études, elle ne le fera pas avec le
pouvoir actuel qui flatte les classes
dangereuses, celles de la facilité la
triche, la corruption, bref, toutes les
voies immorales qui font tant de mal à
l'image du pays.? Le vrai combat c'est
celui qui consiste à aller vers le
savoir rationnel. Le premier verset du
Coran est «Iqra» il appelle en de
nombreux sourates à la connaissance
rationnelle.
Comment en
définitive, inscrire l´Algérie dans la
modernité sans paternalisme en mettant
en oeuvre les vraies valeurs? Une
Algérie qui ne fait pas de la religion
ou de la révolution des fonds de
commerce? Nous avons besoin d´une utopie
où les jeunes et plus généralement les
Algériennes et Algériens se
reconnaissent, se sentent concernés,
revendiquent et portent réellement leur
pierre à l´édifice de l´Etat-Nation, un
Etat de tous ses enfants. Une
algérianité assumée est le premier
ressort de la dynamique chez la
jeunesse. Comment être fidèles à la
Révolution de Novembre et enclencher une
deuxième Révolution basée sur le savoir
en appelant aux légitimités du neurone
Cette économie de la connaissance qui
double tous les deux ans. C'est le seul
combat qui vaut la peine d'être mené. Il
faut choisir entre inculquer l'esprit
critique d'ouverture à l'universel ou
faire de la scolastique. Voulons-nous
former des «moutons» qui ne pensent pas
ou des «aigles» qui inventent l'avenir?
C'est cela le combat de l'Ecole du
futur.
Conclusion
Le monde nous
regarde, il ne nous attendra pas. Il
faut faire vite et bien. il faut aller
vers le XXIe siècle dans le calme, la
sérénité et la non-violence pour donner
une utopie à cette jeunesse. Cette
«belle révolution» doit montrer à la
face du monde que les Algériennes et
Algériens ont décidé d'être acteurs de
leur destin. Veillons à éviter les
provocations et les récupérations
malsaines. Les Algériennes et les
Algériens seraient reconnaissants à tous
ceux qui leur indiquent le chemin de
l'effort en les appelant à patienter en
donnant du temps au temps. Une Algérie
de nos rêves, fière de ses identités
multiples, ancrée dans son islam
maghrébin fait de tolérance, mais
résolument tournée vers le progrès est à
notre portée. Il faut avant tout
redonner de la fierté à la jeunesse en
lui traçant un chemin, un cap, une
espérance, un destin et un cordon
ombilical avec sa mère patrie.
Il est temps de
se mettre au travail, en réhabilitant
l´effort On ne peut pas rentrer dans la
modernité par effraction ou par une
quelconque baraka qui n´est pas le fruit
de la sueur de l´effort, de
l´application sur l´ouvrage pour aboutir
au bout d´un long parcours du combattant
à la satisfaction d´un travail bien
fait. Plus que jamais, nous avons besoin
de réhabiliter le patriotisme qui n'est
pas passé de mode, la fierté d´être
algérien autrement que par des chi´arate.
( slogans manipulateurs) mais par
des actes au quotidien. Sauver
l'Algérie devrait être pour chacun de
nous un plébiscite de tous les jours
Ceci se fera avec l'affection de
toutes et tous unis dans une vision
généreuse de l'avenir à ces jeunes en
panne d'espérance.
1.http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=475:2019-04-04-22-50-13&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
2.https://www.spglobal.com/platts/en/market-insights/latest-news/oil/040319-factbox-algerian-presidents-resignation-brings-energy-sector-into-focus
Article de
référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/313450-les-defis-de-la-iie-republique.html
Professeur
Chems Eddine Chitou
Ecole Polytechnique
Alger
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