Algérie en phase
avec le mouvement du monde
L'énergie électrique sauvera l'Algérie:
Si une transition rapide était mise en
oeuvre
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 5 mai 2016
«L'électricité sera l'énergie du XXIe
siècle»
Patrick Pouyanné P-DG de Total
La chute anormale des prix du pétrole
a été un puissant stimulant de
l'intelligence et du redéploiement pour
s'adapter à une conjoncture dit-on, du
temps long concernant la chute des prix
du pétrole pendant au moins cinq ans
jusqu'à après-2020.
Économiste à Saxobank, Christopher
Dembik s'attend à une nette rechute des
prix de l'or noir: «Nous nous attendions
à cet échec, car l'Iran, grand absent de
la réunion, ne souhaite pas encore geler
sa production. En outre, la plupart des
pays de l'Opep n'étaient pas dans
l'urgence d'un accord à tout prix.
D'autant qu'un accord trop rapide serait
revenu, pour Riyadh, à cautionner des
pertes de parts de marché au profit de
l'Iran. (...) Les prix devraient revenir
dans un intervalle de 35-40 dollars sur
les prochains mois, voire à 30 dollars
(...) Le dernier supercycle des matières
premières entamé à la fin des années
1990 ne devrait être achevé que dans 5 à
10 ans. Autrement dit, après la forte
hausse des cours des années 2000, le
grand marché baissier initié en
2008-2010 a encore de beaux jours devant
lui. Par conséquent, et en prenant en
compte les fondamentaux, tout porte à
croire que les prix resteront bas sur
une longue durée, probablement jusqu'en
2020-2025. (...) Les deux pays les plus
vulnérables sont le Venezuela et
l'Algérie. Le premier, qui a déjà ses
propres problèmes, devrait faire défaut
cette année ou en 2017. Quant au second,
il pourrait tout à fait être contraint
de mettre en oeuvre des mesures
exceptionnelles pour faire face.» (1)
L'Opep a même prévu que les prix
n'augmenteraient en moyenne que de 5 $
par an. Bref, au lieu d'attendre d'une
façon résignée la remontée des prix du
pétrole les pays industrialisés
s'organisent pour faire avec cette chute
durable des prix du pétrole. Nous allons
décrire le nouveau monde de l'énergie
qui nous attend et qui sera
principalement «électrique». Pour cela
nous donnerons quelques indications de
stratégies de multinationales, mais
aussi des Etats.
Les grands
enjeux des 50 prochaines années
Une étude de l'Ocde décrit un virage
à prendre d'ici 2050. Ses principales
conclusions sont les suivantes: «La
croissance ralentira et l'activité
économique se déplacera, tandis que les
compétences joueront un rôle déterminant
et les inégalités de salaires se
creuseront La croissance mondiale
marquera le pas, passant de 3.6% entre
2010 et 2020 à 2.4% entre 2050 et 2060 -
conséquence du vieillissement de la
population et d'une décélération
progressive dans les économies
émergentes - et elle sera de plus en
plus tirée par l'innovation et les
investissements dans les compétences. Le
centre de gravité de l'économie mondiale
continuera de se décaler vers les pays
actuellement non membres de l'Ocde, dont
la structure économique et les
exportations se rapprocheront de plus en
plus de celles des pays de l'Ocde. Une
demande mondiale de main-d'oeuvre
hautement qualifiée stimulée par le
progrès technologique. Le changement
climatique amputera le PIB mondial de
1,5% en moyenne et de 5% en Asie du
Sud-Est, sauf coup de frein donné à la
hausse des émissions de CO2. Il sera
essentiel d'accompagner la demande
croissante de compétences par des
politiques d'éducation et des mesures
redistributives efficientes.» (2)
«Dans un contexte d'austérité
budgétaire, ces politiques devront être
financées: - en réorientant la fiscalité
vers des bases d'imposition immobiles
telles que la consommation, le logement
et l'utilisation des ressources
naturelles au lieu du travail et des
bénéfices des entreprises qui sont des
bases de plus en plus mobiles; - en
affectant des fonds publics en priorité
à l'enseignement pré-supérieur et à
l'apprentissage tout au long de la vie
qui sont susceptibles de générer
d'immenses gains sociaux, en particulier
du point de vue de l'égalité des chances
- pour l'enseignement supérieur, en
ayant davantage recours à la facturation
des frais de scolarité. Une coopération
internationale accrue sera nécessaire
dans un monde de plus en plus
multipolaire Une plus grande coopération
dans le domaine des échanges stimule la
croissance L'interdépendance économique
nécessite une coopération internationale
pour fournir des biens publics mondiaux
comme la recherche fondamentale.» (2)
Total a annoncé une «évolution de son
organisation» qui se traduit par une
ambition renforcée dans les énergies
renouvelables et le gaz naturel, ainsi
que l'entrée sur le marché de
l'électricité. Une stratégie qui vise à
projeter la Major pétrolière dans le
XXIe siècle.: «Croire que Total cessera
d'exister le jour où l'on ne consommera
plus de pétrole est un doux rêve.» La
nouvelle organisation annoncée le 19
avril 2016 dénommée «One Total»,
vision à 20 ans, ambitionne de relever
les défis de court terme nés de la
baisse du prix du baril depuis juin
2014, et préparer le moyen et le long
terme en renforçant sa position de
leader mondial de l'énergie de manière
générale. L'efficacité énergétique tient
un rôle important dans cette nouvelle
stratégie. Il y aura création d'une
nouvelle division renouvelable & gaz.
Cette division, est destinée à porter
l'ambition du groupe sur la chaîne de
l'électricité à travers le développement
des énergies renouvelables. Total
dispose déjà d'un argument de poids dans
le solaire, à travers sa filiale
américaine SunPower (2,8 milliards
d'euros de chiffre d'affaires en 2015)
pour le photovoltaïque, et est également
présent dans le solaire à concentration
(Shams). «Le Groupe a vocation à
produire et à vendre de l'électricité
d'origine renouvelable. Car
l'électricité sera l'énergie du XXIe
siècle et le développement du gaz et des
renouvelables nous pousse à appréhender
globalement la chaîne de l'électricité.
Nos ambitions à 20 ans sont multiples en
ce domaine: être dans le top 3 de
l'énergie solaire, se développer dans le
trading d'électricité, dans le stockage
d'énergie, être leader sur les
biocarburants, notamment les biojets
destinés à l'aviation, mais aussi
envisager des développements possibles
dans les autres énergies renouvelables»,
a indiqué Patrick Pouyanné, P-DG de
Total.» (3)
«Le groupe va continuer à produire du
pétrole, mais «en se concentrant sur les
projets à bas coûts», a souligné le P-DG
tout en poursuivant une stratégie
«offensive» dans le gaz, Total va
intégrer un nouveau métier,
l'électricité. La société va se doter
dès cet été d'une nouvelle division,
gas renewables & power, destinée à
porter le développement du groupe sur la
chaîne de l'électricité à travers le
développement dans l'aval gaz, les
énergies renouvelables et les activités
d'efficacité énergétique. Pour relever
le défi, Total affiche ses ambitions à
l'horizon 20 ans. Le groupe compte se
développer dans le trading
d'électricité, dans le stockage
d'énergie, mais envisage aussi des
développements dans les autres énergies
renouvelables. (...) Total a cherché de
nouveaux relais de développement. Et ce,
d'autant que la forte croissance
attendue de la population mondiale sur
les prochaines décennies va
mécaniquement se traduire par des
besoins en énergie croissants. Ensuite,
l'objectif de limiter à 2 degrés
l'augmentation des températures incite
Total à mettre l'accent sur des énergies
vertes. Enfin, le développement dans
l'électricité répond aussi à une volonté
de contenter de nombreux clients
réclamant une offre couplée gaz et
électricité.» (4)
Moins impactée que les autres pays de
l'Opep, l'Arabie saoudite par la voix de
son ministre trentenaire a dévoilé une
stratégie pour sortir du pétrole.: «En
attendant, le Royaume puise dans ses
réserves de changes, importantes mais
pas éternelles. Quelques indicateurs: 30
millions: le nombre d'habitants. 20.000
princes et princesses, dont 4.000
princes de sang royal. Un chômage à 12%
et 3 millions sont fonctionnaires. 670
milliards de dollars de PIB en 2015 pour
une production de 10,4 millions de
barils /jour exportés en 2015. 89
milliards d'euros de déficit budgétaire
en 2015, soit 13% du PIB. 187 milliards
d'euros: le budget estimé pour 2016, 650
milliards d'euros: les réserves de la
Banque centrale saoudienne, parmi les
plus élevées de la planète. Chaque mois,
le gouvernement y puise 30 milliards de
dollars (26,7 milliards d'euros) pour
faire face à la chute de 60% des prix du
pétrole depuis l'été 2014. Entre 1000 et
10.000 milliards de dollars: la
valorisation de Saudi Aramco,
la compagnie pétrolière nationale, qui
pourrait être mise en Bourse pour
financer la diversification de
l'économie.» (5)
Ben Hubbart du New York Times nous
décrit le plan économique de Mohammed
bin Salman, pour l'avenir du royaume.:
«Le plan vise à orienter la plus grande
économie du Monde arabe à travers un
double défi: le bas prix du pétrole, et
la démographie d'une jeunesse de plus en
plus importante. Ce plan décrit les
mesures que le gouvernement prendrait
pour réduire cette dépendance, comme la
vente d'actions du géant pétrolier
étatique, Saudi Aramco,
injecter de l'argent dans un fonds
d'investissement public et la
privatisation des secteurs de
l'économie, tels que les aéroports,
l'éducation et les soins de santé. «Je
pense que d'ici 2020, si la production
de pétrole s'arrête, nous serons en
mesure de vivre», a déclaré le prince
Mohammed. (...). La vision de Prince
Mohammed pour l'avenir était claire
(...) Il décrit le royaume comme un chef
de file économique et culturel mondial.
Il a déclaré qu'un projet de pont entre
l' Arabie saoudite et l' Egypte pourrait
être le «passage terrestre le plus
important dans le monde.» La composante
du plan, appelée «Vision Arabie 2030»,
qui a retenu le plus d'attention est
l'engagement du prince de réduire la
dépendance de l'Arabie saoudite sur les
ventes de pétrole. La dépendance de la
nation sur le pétrole sera encore
réduite et son économie diversifiée, par
de nouveaux investissements dans
l'énergie solaire et éolienne, en
encourageant l'ouverture du marché
saoudien pour les meilleurs talents et
les meilleurs investissements à
l'échelle mondiale''.»(6)
Le malaise
économique et énergétique algérien
Et en Algérie où en sommes-nous?
Quelques rappels des contraintes du pays
rappelées par Patrick Chabert: «2 381
741 km2: l'Algérie est par sa taille le
plus grand pays du continent africain et
le plus grand pays arabe. Sa population
de 40 millions d'habitants en 2016. 46%
des Algériens ont moins de 25 ans. 208
milliards de dollars: l'économie de
l'Algérie repose depuis des décennies
sur le gaz et le pétrole qui
représentent 96% de ses exportations,
près de la moitié de son PIB et 60% des
recettes budgétaires de l'Etat. Autant
dire que l'effondrement des prix est une
catastrophe. Les revenus pétroliers du
pays ont chuté de 70% depuis l'été 2014.
750 milliards de dollars: ce sont les
rentrées colossales générées par les
exportations de pétrole et de gaz entre
1999 et 2014. Cette manne a très peu été
investie dans le développement de
l'économie nationale (....)
L'augmentation du prix de l'essence a
été de 40% depuis le 1er janvier. Le
gouvernement a décidé de reporter des
chantiers de nouvelles autoroutes et des
créations de lignes de tramway dans
plusieurs villes. Le taux de chômage de
12,7% touche massivement les jeunes
(...) la balance commerciale du pays est
déficitaire de 13,7 milliards de
dollars. En janvier, le gouvernement a
donné un coup de frein en mettant en
place des licences d'importations sur
les véhicules et le ciment notamment.
(...) Le Fonds de régulation des
recettes, créé pour compenser l'impact
des fluctuations du pétrole sur le
budget a été ponctionné de 30 milliards
de dollars en 2014, pourrait être à sec
dès cette année. Même quand le prix des
hydrocarbures se remettra à progresser,
ce qui finira par se produire, la
production est en baisse, la
consommation nationale flambe Les
experts estiment que si les tendances
actuelles se prolongeaient, la Sonatrach,
la compagnie nationale, n'aurait plus
rien à exporter d'ici 2025.» (7).
Pour couronner le tout, malgré la
chute des prix du pétrole et du gaz, les
Etats-Unis commencent à exporter du gaz
vers l'Europe (Portugal) avec un gaz à 2
$ le million de BTU contre 10 $ le prix
du gaz algérien dans les contrats à long
terme qui viendraient à échéance vers
2018. Ce qui va impacter les marchés
traditionnels de l'Algérie. La poursuite
de la crise économique et sociale est
datée, les menaces profondes contre la
sécurité et l'unité nationales sont des
lames de fond à évaluer. Mais ces défis,
aussi immenses soient-ils, ne sont pas
des fatalités que d'une difficulté peut
naître une opportunité.
Que faut-il
faire?
Nous venons de voir que le monde se
dirige dans les prochaines années vers
le tout-électrique. Même le transport
deviendra de plus en plus électrique et
les contrats de mise en place de montage
de voitures à essence seraient de plus
en plus dépassés dans le futur. Nous
devons changer de fusil d'épaule. Pour
soutenir ce challenge, l'Algérie doit
inventer une utopie d'ensemble
mobilisatrice. Dans ce cadre, le
développement du Sud, notamment le
Barrage vert, la mise en place de
centrales solaires pour donner corps au
plan des énergies renouvelables,
permettront d'épargner les énergies
fossiles matière de base de la
pétrochimie et que nous consumons. La
déconcentration du Nord vers le Sud.
L'apport de l'expertise chinoise
adossée à des prêts dans le cadre du
fonds de la COP 21, de la Banque
africaine permettra de donner une
perspective réelle de développement au
pays et arriver à faire du Sahara une
seconde Californie. Cela ne peut se
faire que si la transition énergétique
vers le Développement humain durable
bien expliquée est mise en oeuvre. Pour
commencer, une réduction de 20% de la
consommation est possible A titre
d'exemple, nous consommons 40 millions
de tonnes. Nous pouvons sans beaucoup de
restrictions consommer 10% en moins soit
l'équivalent de 4 millions de tonnes. Il
est plus que jamais nécessaire de
mobiliser la société en lui faisant
comprendre les enjeux pour aller vers la
sobriété.
Il est important de comprendre une
bonne fois pour toutes que l'Algérie de
la rente c'est fini! Même en cas de
raffermissement des prix du pétrole, il
serait hautement hasardeux de bloquer la
dynamique de la mise en route d'un
réexamen lucide de la situation
actuelle. Mon sentiment est que nous
sommes loin d'avoir mis en place cette
transition énergétique vers le
Développement humain durable qui ne peut
réussir qu'avec la formation des hommes.
Nous ne devons compter que sur notre
intelligence pour nous en sortir. Le FMI
aux aguets doit d'abord rembourser le
prêt avant d'avoir des velléités
d'ajuster structurellement l'Algérie.
N'ayons pas la mémoire courte. Nous nous
tenions le ventre quand Michel Camdessus
venait à Alger. «Plus jamais ça» ne
devrait pas être qu'un slogan! Il nous
faut nous mettre au travail! Nous avons
assez perdu de temps!!
1.
http://www.capital.fr/bourse/interviews/le-petrole-pourrait-rechuter-a-30-dollars-turbulences-en-vue-sur-les-actions-1119310
2.
https://www.oecd.org/fr/eco/croissance/Les-grands-enjeux-des-50-prochaines-annees-un-nouveau-virage.pdf
3.
http://www.total.com/fr/medias/actualite/communiques/total-presente-un-projet-devolution-de-son-organisation-pour-mettre-en-oeuvre-son-ambition-de
4.
Http://www.capital.fr/bourse/actualites/pourquoi-total-va-miser-a-fond-sur-les-energies-vertes-et-l-electricite-1120126
5.
Http://www.capital.fr/bourse/actualites/10-chiffres-etonnants-sur-l-arabie-saoudite-1084662
6.Ben Hubbard
http://www.nytimes.com/
2016/04/26/world/middleeast/saudi-prince-shares-planto-cut-oil-dependency-and-energize-the-economy.html?smtyp=cur&_r=1#whats-next
7.Patrick Chabert 16/02/2016
http://www.capital. fr/a-la-une/actualites/le-malaise-economique-algerien-en-dix-points-1116986
Article de référence:
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/240682-si-une-transition-rapide-etait-mise-en-oeuvre.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 6 mai
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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