Opinion
La Grèce dans la tourmente :
Un mythe de Sisyphe pour le peuple
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 5 mars 2015
«Les socialistes français, c'est
comme les pigeons de la cathédrale.
Quand ils sont en haut, ils vous chient
dessus. Quand ils sont en bas, ils vous
bouffent dans la main.»
Propos attribués
à Martin Schult, président du Parlement
européen
Une fois de plus la
Grèce se signale par la détresse de son
peuple après la victoire de Syriza qui
nous a fait croire que les choses
pouvaient changer. «La Grèce de
l'Antiquité écrit Jean-Marie Berniolles,
a été le berceau miraculeux d'une
philosophie dépouillée d'une
spiritualité, d'un recours au divin qui
étaient pourtant partie intégrante de la
culture grecque. La Grèce a ainsi légué
à l'Europe, une philosophie, une pensée,
une culture profondément méditerranéenne
qui a été prolongée par la civilisation
arabe à son apogée après Rome, qui lui
ont permis de développer les sciences,
la littérature, les arts...
indépendamment d'une église par ailleurs
très pesante. En cela nous devons
beaucoup à la Grèce. Changer la société,
ce qui est un impératif parce que le
système ultralibéral a mis l'humanité à
l'arrêt au niveau économique et l'a
dégradée sur le plan de la morale, alors
que pour survivre elle doit s'adapter et
progresser, nécessite une profonde
réflexion notamment sur les mécanismes
d'exploitation des peuples et de l'être
humain.» (1)
«Des premières
aides de plusieurs centaines de
milliards à l'arrivée du
parti-austérité, Syriza, au pouvoir en
passant par les vives tensions avec ses
partenaires européens et notamment
l'Allemagne, revivez la chronologie de
cinq années de crises profondes en Grèce
dont l'avenir au sein de la zone euro
reste incertain. D'abord, un déficit qui
explose. Puis, des aides financières
colossales conditionnées par des mesures
drastiques. Exaspérée de payer pour des
riches exonérés d'impôts, asphyxié
financièrement, les Grecs se tournent
fin janvier vers celui qui leur promet
de mettre fin à «cinq années de
souffrances et d'humiliations»: Alexis
Tsipras, chef de file du parti de
gauche. Le nouveau Premier ministre doit
s'incliner face à la «realpolitik»
européenne qui lui accorde quatre mois
de sursis mais lui a fait renoncer à ses
principales promesses de campagne. Ce
qui provoque la colère des Grecs qui
n'hésitent pas à parler de «trahison» et
celle de certains de ses...propres
ministres. Et pour enfoncer le clou: la
validation définitive de l'accord est
suspendue, une nouvelle fois, à l'humeur
de députés...allemands. Une vraie
tragédie grecque!»(2)
Quelles sont les
raisons de ces échecs?
J.M.Berniolles
pense que: «L'échec de méthodes
traditionnelles devrait inciter les
états-majors syndicaux, ainsi que les
partis politiques engagés dans des
projets de changement de système, à
réfléchir et à proposer des analyses
ouvrant la voie à des méthodes de luttes
plus efficaces. Il n'en est rien et nous
verrons que Syriza s'est présenté à
cette phase d'affrontement avec les
représentants du système, complètement
démuni à cause d'une absence totale de
réflexion de fond qui l'a empêché
d'utiliser des atouts majeurs. Avec, en
plus, la croyance naïve qu'il lui était
possible de diviser les pays des traités
européens et notamment de s'appuyer sur
la France, afin de contrer l'Allemagne,
le gardien rigide d'un système
ultralibéral maintenant inscrit dans les
institutions européennes.» (1)
«La grande
capitulation des responsables politiques
devant le système a notamment permis aux
banques privées de mettre la main sur la
monnaie. Un laxisme complet a permis à
l'ingénierie financière de créer
beaucoup de produits dérivés, d'utiliser
des paradis fiscaux et des filières de
transferts de capitaux discrètes. (...)
Aujourd'hui nous sommes sous le joug
d'un capitalisme financier qui se trouve
au-delà des pays, y compris l'Angleterre
et les USA qui abritent les deux plus
grandes places financières, et qui n'est
pas rattaché à une culture... Une sorte
de pouvoir supérieur occulte. Dont une
arme majeure est constituée par son
emprise sur la monnaie. (...) La Grèce
est devenue le pays des accords
européens le plus sinistré. A partir
d'un premier défaut de paiement en 2012,
dont la charge a été renvoyée sur le
secteur public, les exigences de l'eurogroupe
et l'action de la Troïka, BCE,
Commission européenne et FMI, ont
conduit à la ruine de ce pays avec une
chute vertigineuse de son PIB, un
appauvrissement dramatique de sa
population et un littéral dépeçage de
ses richesses au profit d'intérêts
privés. (...) Parce que la Grèce est
incapable de payer même les simples
intérêts de sa dette et d'avoir une
mince marge de manoeuvre budgétaire. Il
s'agit aussi d'imposer à la Grèce de ne
pas revenir sur les privatisations qui
permettent aux intérêts privés
d'exploiter les richesses grecques.
L'emblématique membre de Syriza, Manolis
Glezos, ne s'y est pas trompé qui a
dénoncé un habillage de mots pour cacher
une capitulation devant l'eurogroupe.»
(2)
La capitulation
grecque
C'est par ces mots
guerriers et sans consession, qu'Eric le
Boucher, avec une rare délectation s'est
fait plaisir et avec un langage qui ne
l'honore pas, traite d'une façon
désinvolte la douleur du peuple grec et
les tentatives de ses leaders de garder
un semblant de dignité face à une
Allemagne représentée par son ministre
des Finances Wolfgang Schaüble, qui ne
connaît qu'un mot «Nein!».
Nous lisons:
«Contrairement aux rodomontades, le
gouvernement grec a fini par accepter
les conditions de la troïka. Une dure
leçon pour les populistes d'extrême
gauche comme d'extrême droite. Le
quotidien allemand Bild raconte cette
histoire inouïe. Le gouvernement grec a
envoyé une lettre à Bruxelles, jeudi 19
février, qui énumérait ses nouvelles
propositions dans la difficile
négociation avec ses partenaires, la
Commission européenne, la Banque
centrale européenne et le FMI. La
fameuse troïka dont le gouvernement grec
ne voulait plus entendre parler! Une
lettre de capitulation sous conditions:
Athènes accepte de se plier à
l'intégralité de ce que demande la
troïka mais que c'est provisoire, il y
aura 'des inflexions à venir''.
L'Allemagne sitôt cette missive connue a
répondu sèchement: c'est 'nein''. (...)
La Grèce doit revenir à la situation d'avant-l'élection
législative, au programme d'aide signé
par son prédécesseur. Point. Et c'est
l'accord qui a été finalement conclu
vendredi 20 février en dépit des
tentatives de comunication d'Athenes
pour sauver la face.»(3)
Prenant le parti de
l'Allemagne - toujours du côté des
forts- il écrit: «Ce qui est devenue
l'hystérie allemande contre les Grecs de
Syriza, à force d'avoir été insultés,
constamment comparés aux nazis, et
appelés «à payer», toujours «à payer»
pour un pays qui triche en permanence et
qui continue de filouter avec les
disciplines européennes. J'avais vu
cette colère monter en Allemagne mais je
n'imaginais pas qu'elle avait atteint ce
niveau. Les Grecs le paient cher. La
deuxième leçon vient de l'incroyable
impréparation de Syriza. Ce parti
populiste prétendait gouverner son pays
sur une ligne opposée à celle de ses
prédécesseurs depuis le début de la
crise des dettes en 2010. (...) Il
croyait que le peuple grec ayant voté,
tous les autres peuples européens, soit
allaient se soulever pour les rejoindre,
soit allaient accepter le nouveau
programme du valeureux gouvernement
Tsipras. C'était une naïveté complète,
une méconnaissance totale des lois
européennes, une erreur grave sur le
rapport de force (...) Le malheur vient
non pas du constat. (...) Le ministre
des Finances grec, Yanis Varoufakis, a
passé son temps à faire le gros malin
dans les réunions, sur les TV et sur les
réseaux sociaux, sans avoir de programme
précis, concret, qui sache jouer
finement avec les engagements passés, et
qui soit acceptable. (...) Son pays paie
aujourd'hui très fort ses fanfaronnades
et sa totale incompétence. (...) Mais
voilà, le succès des populistes vient de
ce qu'ils vendent du rêve... Que leurs
électeurs regardent ce qui s'est
tristement passé en Grèce.».(3)
La santé économique
de l'Allemagne
On sait que les
pays du Sud de l’Europe ont une santé
économique et financière chancelante
comparée aux pays du « Nord » Justement
parmi ceux-ci la locomotive de l'Europe,
l'Allemagne affiche une santé économique
insolente. « Tous les comptes publics de
l'Allemagne sont au vert L'excédent des
comptes publics s'est révélé légèrement
plus important que prévu, à +0,6% du PIB
en 2014. Au total, l'Allemagne fait état
de recettes supérieures de 18 milliards
d'euros à ses dépenses. Après la
croissance révisée à la hausse à 1,6% et
un excédent commercial record à 217
milliards d'euros. Avec un an d'avance
le gouvernement d'Angela Merkel est
parvenu à équilibrer son budget dès
2014. De la Commission européenne au
FMI, on souhaiterait que Berlin utilise
ses marges de manoeuvre budgétaires pour
stimuler davantage la croissance
européenne.»(4)
La situation
sérieuse de la dette de la France
Dans la même
charrette que les pays du Sud, on trouve
la France qui fait cependant l’objet
d’un traitement spécifique . Un autre
mordu du néolibéralisme, Jean- Marc
Sylvestre fantasme sur le couple
franco-allemand et s'en prend à la
gauche d'après lui responsable de la
situation économique peu enviable de la
France. Ecoutons-le: «La situation
économique comparée dans les deux pays
qui est sans doute le premier sujet de
discussion et de vexation. L'économie
allemande et surtout les entreprises
allemandes ont désormais les moyens
d'organiser des rattrapages de salaires
importants, notamment dans l'industrie
avec un smic qui est désormais plus
élevé qu'en France. (...) Ceci étant, le
gouvernement allemand et le ministre de
l'Economie acceptent de plus en plus mal
les critiques qui leur sont adressées,
et la majorité de ces critiques à peine
feutrées viennent de France. Encore un
effort, mais le Parti socialiste
français est parti pour prouver que si
l'Allemagne est devenue aussi forte
c'est en affaiblissant les autres pays
de la zone euro. Pas mal. Ils sont
riches parce que nous (qui) sommes
pauvres. Bravo!». (5)
«Que de lâchetés,
laxisme, mensonges et erreurs
insultantes vis-à-vis de l'Allemagne de
notre côté! Comment pourrons-nous jamais
rattraper les conséquences des
mensonges, louvoiements et autres
manoeuvres de basse politique de ceux
que nous appelons nos dirigeants? Même
caricatural, Martin Schultz a trouvé le
meilleur raccourci possible et il a
raison! Les exécutifs de gauche français
et grec (ordre alphabétique:-) sont dans
la même logique de roublardise et de
gain de temps (en espérant un miracle).
Ils ne maîtrisent rien et essayent
toutes les combines les plus foireuses
pour faire illusion auprès de leur
électorat bas de plafond. Les Grecs
finiront par quitter l'Europe et
l'Euro...mais auront gagné quelques mois
(et quelques millions) et partiront avec
une dette encore un peu plus grosse en
faisant un bras d'honneur! La
chancelière n'a d'autre choix que de les
laisser se vautrer dans leur bauge et de
«laisser faire la nature»!» (5)
Le déficit
budgétaire supérieur à 4%
Pourtant cette
année la France a été aidée d'une façon
conséquente par la baisse drastique des
prix du pétrole qui lui a fait gagner 8
milliards d'euros. Selon une dépêche de
l'AFP du 25 janvier. Bruxelles a accordé
mercredi, de justesse, un nouveau délai
à la France jusqu'en 2017 pour ramener
son déficit sous la barre des 3%, mais
entend serrer la vis au pays abonné aux
dérapages budgétaires.
Curieusement le
deux poids, deux mesures s'applique à la
deuxième économie de la zone euro qui a
jusqu'ici toujours bénéficié de la
clémence de la Commission: elle a déjà
obtenu deux délais pour ramener son
déficit sous 3% et son projet de budget
2015 n'a pas été retoqué malgré des
insuffisances en termes de réduction du
déficit structurel.
Une situation,
lit-on la dépêche de l'AFP qui irrite
ses partenaires, qui y voient un
traitement de faveur. Le scénario d'un
délai de trois ans hérissait au plus
haut point certains membres de la
Commission, dont son représentant
allemand Gunther Oettinger, chargé de
l'Economie numérique. Lundi, dans les
pages du quotidien économique
Handelsblatt, il protestait contre le
possible octroi d'un tel répit à Paris.
L'objectif pour 2017 est jugé peu
crédible par de nombreux analystes,
compte tenu du calendrier politique. La
France se montre sereine sur sa capacité
à réduire son déficit public à 3% du PIB
d'ici 2017 après un énième sursis (...)
Une largesse de trop pour de nombreux
pays européens qui ont été contraints à
des efforts budgétaires sur des périodes
plus courtes et soupçonnent un
traitement de faveur.»
Pour rappel La
dette de la France progresse plus vite
que son PIB. De 1980 à 2010 elle est
passée de 20% à 80% du PIB. Les
remboursements deviennent lourds: près
de 50 Mds par an. Toutes les recettes de
l'impôt sur le revenu ne suffisent pas
au remboursement de la dette. La barre
des 2000 milliards s'approche, elle
pourrait être franchie cette année.
On comprend alors
la colère des Allemands face à ce
traitement d faveur visà vis de
l’Allemagne par le commissaire européen
Pierre Moscovici : « La décision de
Commission européenne d’accorder à Paris
deux ans supplémentaires pour réduire
son déficit public a suscité les
critiques acerbes du centre-droit
allemand, qui dénonce une application
des règles budgétaires à la carte. La
France aura un peu plus de temps pour
ramener son déficit public sous la barre
des 3 % de son PIB annuel en échange de
nouveaux efforts sur le front des
réformes économiques et d'une réduction
plus importante que prévu du déficit
structurel (hors effet de conjoncture)
en 2015. La « clémence » de la
Commission face à Paris, mauvais élève
du respect des règles du Pacte de
stabilité et de croissance depuis des
années, n'a pas été du goût de tous. Au
Parlement européen, Herbert Reul, le
président du groupe de centre-droit
allemand, parle d'une « déception amère
» (6)
Angelika Niebler,
présidente du groupe de l'Union
chrétienne-sociale en Bavière (CSU) au
Parlement, a également exprimé sa
déception face à la décision de la
Commission. La Commission ne remplit pas
son rôle de protecteur du pacte de
stabilité et de croissance, a-t-elle
déclaré. (…) Les États membres aussi
étaient hésitants à ce sujet. Le fait
que la Commission utilise son pouvoir de
décision pour agir en faveur des mauvais
élèves en matière de déficit et ce, sans
aucune sanction, est une provocation »,
s'est indignée Angelika Niebler. Pour
Herbert Reul, il peut paraître «
déroutant qu'un gouvernement rebelle
comme celui de la Grèce se retrouve
piégé dans un litige concernant sa
dette, alors que les cas d'autres pays
sont maniés avec des pincettes ». (6)
Justement, Michel
Lhomme résume d'une façon magistrale
l'amère réalité du mythe de Sisyphe grec
Nous l'écoutons: «L'accord intervenu à
Bruxelles, entre la Grèce et les 18
membres de l'Eurogroupe, ne serait-il
pas un modèle de mensonges et
d'impostures? (...) La Grèce demeure
plus que jamais dans l'impossibilité de
rembourser ses dettes et aucune réforme
interne ne peut lui permettre de
retrouver sa compétitivité économique
étranglée par une monnaie unique
inadaptée. (...) Le diktat imposé par
l'Allemagne pour poursuivre la
dévaluation interne, qui est en fait une
véritable purge pour le peuple grec, est
à proprement parler une déclaration de
guerre à tous les peuples du Sud de
l'Europe et indirectement à la France de
demain. (...) Depuis plus de cinq ans,
l'austérité décidée par le FMI et ceux
que l'on nomme la «troïka» ont provoqué
des dégâts insupportables pour la
société grecque. Les responsables sont
les prévaricateurs, ceux qui, en
complices de la banque Goldman Sachs,
ont détourné les finances publiques, et
l'institution européenne elle-même,
pervertie par les lobbies financiers,
qui a détruit l'économie grecque déjà
fragile en anéantissant l'agriculture,
en favorisant la concentration urbaine
sur les métropoles. (...) Au rythme
actuel de ses remboursements, la Grèce
ne pourra jamais de toute façon
rembourser cette dette, largement
supérieure à son PIB. La solution est
dans l'annulation pure et simple des
dettes comme dans le cas des pays
d'Amérique latine dans les années 80-90
(...)» (7)
Malgré ses douze
travaux d'Hercule, du fait du mythe de
Sisyphe toujours recommencé avec une
dette ingérable, c'est de fait une
victoire à la Pyrrhus que la victoire de
Syriza. Sombres jours pour le peuple
grec à moins d'un miracle car les
peuples européens ne sont pas encore
mûrs pour briser leurs chaînes.
1.JMBerniolles:
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-triste-demonstration-grecque-164205
2.Guillaume Errard
http: //www.lefigaro.fr/
conjoncture/2015
/02/27/20002-20150227ARTFIG
00004-finances-crise-politique-tensions-sociales-cinq-ans-de-tragedie-grecque.php
3.
http://www.slate.fr/story/98241/capitulation-grecque-europe-dette
4.Nicolas Barotte
http://www.lefigaro.fr/
conjoncture/2015/02/24/20002-20150224ARTFIG00204-tous-les-comptes-publics-de-l-allemagne-sont-au-vert.php
5.http://www.atlantico.fr/decryptage/entre-hollande-et-merkel-c-est-fini-jean-marc-sylvestre
2026053.html#sBCBDPkhYShjj E0i.99
6.http://www.euractiv.fr/sections/euro-finances/lallemangne-outree-par-la-clemence-de-bruxelles-sur-le-deficit-francais
7.MichelLhomme
http://metamag.fr/metamag-2712-LA-GR%C3%88CE--repousser-et-attendre-encore-quatre-mois-Pourquoi-un-tel-defaut-de-realisme-.htmltml
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
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