Proche-Orient
Le Temple, Barnavi, Goldnadel et
l’Intifada
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Samedi 31 octobre 2015
Il fallait s’y attendre. Le débat sur
les derniers événements en Israël
s’étend dans la presse française.
Aujourd’hui (28 octobre ) dans le Figaro
où Elie Barnavi, historien et ancien
ambassadeur d’Israël en France,
s’exprime aux côtés de Maître Gilles
William Goldnagel. Pour le premier, les
attaques au couteau d’israéliens, à
Jérusalem et en Cisjordanie sont le fait
de jeunes palestiniens « enfants de
Facebook … produit de l’atomisation de
la société palestinienne, elle-même
reflet et effet de l’occupation…
partis en mission suicide pour défendre
la mosquée Al-Aqsa ». Que non,
écrit le second « C’est l’islamisme
et non les « colonies » en Cisjordanie
qui est à l’origine des assassinats
d’israéliens. » Le reste de
l’argumentation de cet avocat, soutien
indéfectible de la droite israélienne,
est connu. Les territoires ne sont pas
occupés mais disputés. Les Juifs doivent
pouvoir vivre en Judée. Et puis, le
mouvement palestinien serait, depuis le
Grand Mufti, Hadj Amin el Husseini,
imbibé d’islamisme radical. Bon, tout
cela ne conduit pas à une solution à
deux états, mais au maintien de la
situation actuelle. L’occupation selon
Netanyahu, comme on le verra plus loin.
Une entente
L’analyse de l’historien Barnavi
mérite qu’on s’y attache. Effectivement,
Benjamin Netanyahu n’a aucune intention
d’autoriser les prières juives sur
l’esplanade des Mosquées – mont du
Temple. Cela embraserait la région.
Déjà, dans l’urgence, il fallait
parvenir à un accord avec le roi
Abdallah de Jordanie. Le souverain, qui
est le custode d’Al Aqsa, menaçait de
rappeler son ambassadeur à Tel Aviv si
le Premier ministre israélien ne
s’engageait pas formellement à maintenir
le statu quo sur l’esplanade et prenne
des mesures en conséquences. John Kerry,
le secrétaire d’état américain, a
suggéré la mise en place de caméras de
surveillance dans le site. Les parties
ont accepté et l’opération est toujours
en discussion. Les Palestiniens qui
n’ont pas été consultés ne sont pas
chauds. Le roi Abdallah a publiquement
pris note de l’engagement de Netanyahu.
Dayan laisse
le mont du Temple aux musulmans
Mais de quel statut s’agit-il ? Les
premières décisions israéliennes sur les
saintes Mosquées ont été prises peu de
temps après la conquête de la vieille
ville de Jérusalem par Tsahal le 7 juin
1967. Dix jours plus tard, Moshé Dayan,
le ministre de la Défense a annoncé aux
responsable musulmans réunis dans la
mosquée Al-Aqsa : « Le Waqf,
l’administration des biens musulmans,
continuera de gérer ce lieu saint, libre
de toute présence militaire, l’armée se
tenant à l’extérieur de ses murs. Les
Juifs, a-t-il-dit, seront
autorisés à le visiter mais pas à y
prier » Il expliquera plus tard
dans une interview : « Étant donné
que pour les musulmans, le mont du
Temple est une mosquée où ils prient, et
que pour les Juifs, il ne s’agit que d’un
site historique rappelant le passé,
[…] le droit des musulmans à le
contrôler doit être reconnu ».
Le Mur n’est
pas saint
Le grand rabbinat a interdit aux
Juifs de monter sur l’esplanade pour une
raison religieuse fondamentale : nul ne
connaît l’emplacement du Saint des
Saints où seul le grand prêtre ne
pénétrait qu’une seule fois par an. Dans
tous les cas, il s’agit de maitriser
l’élan messianique qui prend de
l’ampleur. Et, le 27 juin, à la Knesset,
Zerah Warhaftig, membre du parti
national religieux, le ministre des
Affaires religieuses, a déclaré, en
présentant le texte d’une loi: « La
Terre d’Israël est une Terre sainte où
se trouvent des lieux saints de toutes
les religions monothéistes. Sur la terre
de nos ancêtres se trouvent les lieux
saints de la religion d’Israël.
L’ensemble de la terre est saint, mais
il est des degrés dans la sainteté.
Selon la Michna, dix degrés de sainteté
ont été accordés à la Terre d’Israël,
Jérusalem en a reçu huit avec, en son
centre, le Mur occidental[1].
Selon nos sages, ce Mur, la présence
divine ne l’a jamais quitté […]. »
Le rabbin Shlomo Goren, aumônier général
de Tsahal, était furieux. Jamais ce Mur
n’a été considéré comme un lieu saint
dans la tradition juive. Les
responsables israéliens, politiques et
religieux voulaient essentiellement
éloigner les Juifs religieux de
l’esplanade des Mosquées. Goren n’a pas
été autorisé à y installer une synagogue
.
Ni prière
juive ni synagogue
La question se posera un an plus tard
lorsqu’un avocat sioniste religieux
s’adressera à la Haute cour de justice.
Lors d’une discussion
interministérielle, en mai 1968, Haïm
Moshé Shapira, qui avait le portefeuille
de l’intérieur a définit la position
suivante : « Je propose de ne pas
soumettre le problème au gouvernement.
Si le gouvernement décide de ne pas
autoriser la prière [juive] là- bas,
cela ferait très mauvaise impression.
Nous n’avons jamais dit que le mont du
Temple appartenait tout entier aux
Arabes. Nous n’avons jamais décrété que
les Juifs n’avaient pas le droit de s’y
rendre ou d’y installer une synagogue
[…] Ce qui est important pour nous,
c’est de savoir si nous voulons
transformer cette controverse que nous
avons avec les Arabes en un conflit
religieux très dur. Nous décidons donc
que les policiers dirigeront les fidèles
juifs vers le Mur occidental. » Les
juges entérineront, deux ans plus tard,
cette décision qui est, aujourd’hui
encore, appliquée par la police
israélienne. Officiellement, pour éviter
des désordres, elle interdit la prière
juive sur ce lieu saint islamique.
Monter,
monter sur le mont
Shlomo Goren, n’était pas resté
inactif, avec l’aide des experts du
Génie de Tsahal, il a fait mesurer très
exactement le mont du Temple et
déterminé l’emplacement approximatif du
Saint des Saints qui se trouverait là où
se dresse le Dôme du rocher. Sur la base
de ses travaux, le 2 février 1996, pour
la première fois depuis l’antiquité, un
collège rabbinique – en l’occurrence, le
conseil des rabbins des implantations –
a publié un jugement halakhique
autorisant les Juifs à se rendre en
certains endroits du mont du Temple. Ces
rabbins du sionisme religieux sont allés
encore plus loin le 9 mai 2003, en
décrétant que c’était désormais une
prescription religieuse que d’aller
visiter ce lieu saint juif. Ils
expliquaient : « En n’effectuant pas
l’ascension sur le mont, nous déclarons
au monde que nous n’avons pas de lien
avec la montagne de Dieu et renforçons
le sentiment des Arabes que le mont leur
appartient. […] Nous lançons donc un
appel à tous les rabbins en accord avec
nous pour qu’ils visitent le mont du
Temple et guident leurs fidèles pour
qu’ils agissent en accord avec la
Halakha. » Le ministre de
l’Intérieur, Tsahi Hanegbi, du Likoud, a
donné l’ordre à la police d’organiser
ces visites et veiller à ce qu’elles se
passent dans le calme.
Messianisme
Depuis, au fil des ans, du dimanche
au jeudi, un nombre croissant de Juifs
religieux, conduits par leurs rabbins,
se rend sur l’esplanade. En parallèle,
le mouvement messianique s’est
considérablement développé. Les ONG
israéliennes, Ir Amim et Keshev ont
publié en mars 2013, un rapport sonnant
l’alarme. Pas moins de 19 organisations
et associations juives concernent
directement le mont du Temple. Par
exemple l’Institut du Temple qui œuvre à
la reconstitution de tous les ustensiles
nécessaires au culte dans le sanctuaire
juif, lorsqu’il sera reconstruit.
Couteaux divers destinés aux sacrifices
d’animaux, uniformes des prêtres etc.
Chaque année des dizaines de milliers
d’élèves et de lycéens le visitent dans
la vieille ville de Jérusalem. Le tout
est subventionné par l’état qui accorde
annuellement des centaines de milliers
de Shekels à ces organisations
messianiques.
http://www.ir-amim.org.il/sites/default/files/Dangerous%20Liaison_0.pdf
Abbas out
Et si ce n’était que cela ! Des
ministres, des députés affiliés au
Likoud et à « Ha Beit Ha Yehoudi » (La
maison juive), le parti des colons, se
rendent sur l’esplanade. Les
Palestiniens considèrent que ces
visiteurs représentent le gouvernement
d’Israël. Dans ces conditions,
l’Autorité autonome exige le retour au
statu quo qui existait avant 2003, où
seuls quelques Juifs religieux venaient
plus ou moins discrètement visiter
l’esplanade. Ce n’est pas ce qui a été
décidé. Mahmoud Abbas n’est pas partie
de cet accord verbal entre Israël et la
Jordanie. Il faut rappeler que dans le
cadre du traité de paix avec Israël, le
Royaume Hachémite s’est vu reconnaître
« un rôle spécial » sur les lieux saints
musulmans de Jérusalem. Le Waqf,
l’administration des biens musulmans,
qui administre le site, dépend donc de
la Jordanie. Le Premier ministre
israélien s’est contenté d’interdire aux
députés et aux ministres israéliens de
se rendre sur le mont du Temple. Les
visites de groupes juifs religieux vont
donc se poursuivre et les islamistes
continueront d’utiliser cet argument
pour inciter à la violence anti juive.
Arafat et
les ruines romaines
Cela posé, une parenthèse : Oui, se
fondant sur le Coran, les Musulmans
considèrent qu’il n’y a jamais eu de
Temple juif à l’emplacement d’Al Aqsa..
mais une « mosquée lointaine ».. Les
exégètes juifs analysent des sources
issues de la tradition islamique pour
expliquer qu’en fait le calife Omar
savait qu’il s’agissait d’un sanctuaire
juif, lorsqu’il a conquis la ville en
637. C’est aller un peu loin dans
l’analyse. Et les ruines du Temple
d’Hérode ? J’ai posé la question à
Yasser Arafat, début 2002.. Il m’a
répondu, devant la caméra: « Nous
n’avons pas trouvé de Temple juif,
seulement des ruines romaines… »
Cohérence
Mais, revenons à l’analyse, du
professeur Barnavi. Il relève : « Avec
une majorité d’un siège à la Knesset,
Netanyahu est autant prisonnier de ses
faucons que de ses propres penchants »
Là, il faut bien dire que le Premier
ministre a choisi sa coalition
gouvernementale selon son cœur, et son
idéologie. Il savait parfaitement à qui
il avait affaire. Par exemple,
conservant le ministère des Affaires
étrangères, il y a nommé, comme
vice-ministre, Tsipi Hotovely, députée
Likoud, activiste du mouvement pour le
Temple. Le jour même où Netanyahu
répétait que le statut quo serait
maintenu, elle a déclaré dans une
interview à la chaine parlementaire
qu’elle rêvait du moment où le drapeau
israélien flotterait sur le mont du
Temple… Même avec une majorité d’un seul
siège, ce gouvernement est un des plus
idéologiques, solides et cohérents que
le pays ait connu. Les penchants de
Netanyahu ? C’est en fait sa vision de
toujours. Une solution à deux états ?
Peut être un jour, mais à ses
conditions !. Et de toute manière,
dit-il : « Israël devra garder le
contrôle totale de ces territoires pour
un avenir prévisible. On me demande si
nous devrons vivre éternellement l’épée
à la main ? Je réponds oui ! »
Pour rappel, mon livre : Au nom du
Temple. Israël et l’irrésistible
ascension du messianisme juif.
http://www.seuil.com/livre-9782021044072.htm
Et mon film : Au nom du Temple :
https://www.youtube.com/watch?v=2C0tsI-omWw
[1] L’expression « Mur des
Lamentations » date de l’époque du
mandat britannique qui a débuté en 1917.
Pour le judaïsme, c’est le Mur
occidental du Temple d’Hérode
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