Proche-Orient
Le chauffeur de taxi et Hitler
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Dimanche 25 octobre 2015
La discussion avec le chauffeur de
taxi qui, vendredi dernier vers
11heures, m’emmenait vers le quartier
des garages de Talpiot à Jérusalem, a
mal débuté. Il m’avait lancé : « Alors..
Que dis tu ? Hitler ne voulait pas
exterminer les Juifs. Seulement les
expulser. ». Il s’agissait de la
déclaration de Benjamin Netanyahu quatre
jours plus tôt : « [Le Grand Mufti de
Jérusalem] Haj Amin Al-Husseini est
allé voir Hitler en disant : “Si vous
les expulsez, ils viendront tous ici.”
“Que dois-je faire d’eux ?”,
demanda-t-il. Il a répondu :
“Brûlez-les.” » Donc,
selon cette logique, l’idée d’exterminer
les Juifs serait palestinienne. Je tente
d’expliquer à cet israélien que la Shoah
avait débuté bien avant la rencontre
entre Hitler et le Mufti, que les nazis
n’avaient pas besoin des conseils d’un
dirigeant arabe. Voyant mon énervement,
le chauffeur s’est excusé. Apparemment,
je ne l’ai pas convaincu.
Israël et la
Tchécoslovaquie
Pour ma part, je n’étais pas surpris
outre mesure par cette déclaration du
Premier ministre, mardi dernier devant
le 37e Congrès sioniste
mondial, à Jérusalem. Je me souvenais
vaguement d’une accusation identique en
janvier 2012 à la Knesset. Des collègues
l’ont retrouvée : « Haj Amin
Al-Hussein persuada Hitler plus que
quiconque de conduire la “solution
finale”. Ne pas laisser les
juifs partir de peur qu’ils ne viennent
en Palestine, mais les annihiler, les
brûler. » A l’époque cela me
paraissait correspondre tout à fait à la
vision qu’avait Netanyahu du monde arabe
en général et des palestiniens en
particulier. D’abord, dans ses livres où
la référence à la seconde guerre
mondiale est permanente. En avril 1993,
dans « A Place Among The Nations »,
il écrivait : « Comme
la Tchécoslovaquie [en 1938], Israël est
une petite démocratie. […] Les régimes
arabes ont lancé une campagne pour
persuader l’Occident que les habitants
arabes [des collines de Cisjordanie]
(comme les Allemands des Sudètes, qui
représentaient un tiers de la
population) sont un peuple à part qui a
droit à l’autodétermination. […] Le fait
que les Arabes ont emprunté [des
arguments] aux nazis n’est pas
surprenant. Il ne se passe pas un jour
sans qu’un éditorial lugubre ou un
commentaire politique ne paraisse en
Amérique ou en Europe, demandant à
Israël d’accepter la même sentence que
celle qui a été exigée de la
Tchécoslovaquie. Le monde voudrait
contraindre Israël à se satisfaire d’une
étroite bande côtière, dominée par un
État palestinien hostile et « judenrein
sur ces collines qui sont le codeur même
du foyer juif »[1]
Le 23 septembre, après la conclusion
des accords d’Oslo avec l’OLP, au cours
du débat parlementaire, Netanyahu, alors
chef de l’opposition, lançait à Shimon
Pérès : « Vous êtes bien pire que
Chamberlain qui avait porté atteinte à
la sécurité et à la liberté d’une autre
nation. Vous, vous l’avez fait au
détriment de votre propre peuple »
Ce fut le thème principal de la campagne
de communication de la droite et des
sionistes religieux contre le processus
d’Oslo: « L’accord avec l’OLP est un
nouveau Munich. » Arafat serait
donc un nouvel Hitler.
Sadate et
Hitler
Il faut toutefois reconnaître que
Netanyahu n’a pas la primeur de cette
comparaison. Idith Zertal, dans son
ouvrage « La nation et la
mort, La Shoah dans le discours
politique d’Israël » rappelle que
David Ben Gourion, lors du Conseil
général sioniste, à Zurich en aout 1947
avait établi l’équation : « arabes =
nazis » : « Ce ne seront pas nos
adversaires politiques (les
Britanniques) qui se dresseront contre
nous, mais les disciples et même les
maîtres d’Hitler qui ne connaissent
qu’une manière de régler le problème
juif – la destruction totale.
Aujourd’hui, l’objectif de l’attaque
arabe n’est pas le pillage, le
terrorisme, où l’arrêt de la
colonisation sioniste mais son
éradication. [2]».
De fait, deux ans après la fin de
la seconde guerre mondiale, et la
libération des camps de la mort en
Europe, la propagande arabe promettait
la destruction de « l’entité
sioniste ». C’était également le
thème principal des radios arabes –
aussi en hébreu- durant les semaines qui
ont précédé la guerre de Six jours, en
juin 1967. Elles promettaient de
« rejeter à la mer les Juifs qui ne
seront pas massacrés ». Plus tard,
en dépit des premiers accords de
désengagement avec l’armée égyptienne,
après la guerre du Kippour en octobre
1973, la propagande israélienne
qualifiait Anouar el Sadate de
« Hitler des sables ». Cela n’a pas
empêché l’ensemble de la classe
politique israélienne de recevoir le
président égyptien avec tous les
honneurs, lors de sa visite historique à
Jérusalem en novembre 1977.
Netanyahu et
le neveu du Mufti
En juin 1982, Israël a déclenché la
première guerre au Liban pour en
expulser l’OLP, qui menaçait la haute
Galilée. Pour Menahem Begin, c’était une
guerre juste et il comparait Yasser
Arafat à Adolf Hitler. Un thème
largement repris par certains
éditorialistes. Herzl Rozenblum, et le
rédacteur en chef du Yediot Aharonot, le
plus grand quotidien israélien
écrivait : « Arafat, s’il en
avait le pouvoir, nous ferait des choses
qu’Hitler n’imaginait même pas. »[3] .
Arafat, qui serrera la main d’Yitzhak
Rabin sur la pelouse de la Maison
blanche à Washington, le 13 septembre
1993 puis celle de Benjamin Netanyahu,
le 4 septembre 1996 lors d’une rencontre
au barrage d’Erez à l’entrée de Gaza. En
l’occurrence, le Premier ministre ne
rappelait pas que le chef de l’OLP était
le neveu du Grand Mufti Hadj Amin El
Husseini. C’était dans le cadre du
processus d’Oslo, et l’opinion publique
israélienne – ainsi que la communauté
internationale conduite par les États
Unis de Bill Clinton – exigeaient du
chef du gouvernement qu’il poursuive les
négociations avec les Palestiniens.
Mahmoud
Abbas et la propagande nazie
Vingt ans plus tard, la situation a
changé. La seconde Intifada, avec sa
répression et les attentats suicides, a
fait basculer les opinions publiques de
plus en plus méfiantes l’une de l’autre.
Gaza dont Israël s’est retiré
unilatéralement en 2005, est contrôlé
par le Hamas et, en Cisjordanie, le
nombre d’israéliens a plus que doublé
pour atteindre 400 000. Tout cela, sans
même parler du problème insoluble d’Al-Aqsa/mont
du Temple, rend quasi impossible la
création d’une Palestine indépendante.
Pour son quatrième mandat, Benjamin
Netanyahu est à la tête d’un
gouvernement de droite dont le programme
ne prévoit pas de concessions
territoriales à l’OLP ou un éventuel
état palestinien. Il n’a plus besoin de
masquer son idéologie fondamentale. En
attribuant la responsabilité de la Shoah
au Mufti Hadj Amin El Husseini, il
redéfinit le message destiné au public
israélien. Israël fait face à une menace
fondamentale, hitlérienne. Youval
Steinitz, le ministre de l’Énergie et
proche de Netanyahu a qualifié les
critiques formulées par Mahmoud Abbas de
« propagande nazie ». Israël Hayom,
le grand quotidien gratuit, pro Likoud,
a accordé ce vendredi une page entière
aux projets du Mufti, qui voulait
-parait-il – construire des fours
crématoires dans le nord de ce qui est
aujourd’hui la Cisjordanie. Visiblement
la paix n’est pas possible avec une
telle nation. La campagne de
communication est en marche.
Ce dimanche, 25 octobre, l’écrivain
David Grossman, analyse la vision du
monde de Netanyahu dans le quotidien
Yediot Aharonot, qui lui a consacré une
page entière. Il conclut : « Toute
personne entendant le discours de
Netanyahu découvrait ce qu’il
contemplait en lui même. Le système qui
lui permet, presque mécaniquement,
d’effacer la réalité et transformer
l’occupation, la répression [des
palestiniens] en une situation où nous
sommes les persécutés et les victimes.
[…] » Je ne suis pas sur que mon
chauffeur de taxi comprenne cela.
[1] Benjamin Netanyahu, A place
Among The Nations . Israel and the
World. P.55
[2] Idith Zertal. P141.
[3] Cité par Daniel Bar Tal. Living
with the conflict (en hébreu) Ed.
Carmel. Jérusalem. 2007. P. 131.
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