Opinion
Le chant du cygne des vieilles élites?
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Dimanche 19 juin 2016
Il ne faut pas aller dans les
endroits où on dit du mal de vous. En
général, cela ne sert à rien et c’est
désagréable. Benjamin Netanyahu a donc
décidé de ne pas mettre les pieds à la
prestigieuse conférence de Herzlia, où
on a beaucoup parlé de lui et pas en
bien. Ses deux anciens ministres de la
défense ont été particulièrement durs.
Le premier à proférer des méchancetés
fut Moshé Boggie Yaalon: « Israël, à
ce stade, et pour l’avenir prévisible,
ne fait pas face à une menace
existentielle. Il faut cesser de faire
peur aux citoyens en leur donnant le
sentiment que nous sommes menacés par
une nouvelle Shoah. Il est faux
d’imaginer qu’en terrorisant les
citoyens, on leur fera oublier la
corruption, le fossé social, le coût de
la vie élevé et les autres défis
auxquels le pays fait face. Cela ne
signifie pas qu’il faut renoncer à être
vigilant. Les problèmes de sécurité sont
réels et très sérieux. Nous avons besoin
d’un leadership qui dirigerait le pays
avec une conscience morale, et non pas
en fonction des sondages d'opinion.
L’actuel leadership est occupé à attiser
les passions, la peur entre Juifs et
Arabes, entre la droite et la gauche, et
les différents groupes ethniques afin de
rester au pouvoir. Le rôle d’un
leadership doit être de rassembler la
nation et ne pas la diviser ». Et Yaalon
d’annoncer qu’il a l’intention de se
présenter aux prochaines élections et
briguer la direction du pays.
Le plan
secret de l'annexion
Ehoud Barak, ministre de la défense
avant Yaalon a été encore plus mordant.
Il accusé Netanyahu de cacher ses
véritables intentions. D’avoir « un
plan secret qui va inexorablement créer
un [seul] état [et non la solution à
deux états]. Ce sera inévitablement soit
un ‘’état apartheid’’ qui affrontera la
résistance de ceux qu’il contrôlera,
sera ostracisé par le monde entier et
finira par s’effondrer. Ou ce sera un
état binational avec une minorité juive
d’ici une génération ou deux, qui très
certainement conduira à une guerre
civile entre les deux populations.
» Selon Barak, « un noyau fanatique
à l’idéologie extrémiste a pris le
contrôle du Likoud dont il a purgé tous
ceux qui préféraient les valeurs
démocratiques au populisme. Netanyahu
est responsable des actes de ce
gouvernement et de ses échecs ; que ce
soit en raison de ses faiblesses, de sa
personnalité, du syndrome de Stockholm
ou de ses positions politiques inspirées
par sa famille et ses proches ».
Barak a prononcé le mot que l’on aime
pas entendre en Israël. Verbatim : «
Les projets de loi soumis par le pouvoir
représentent un processus d’érosion de
la démocratie et contiennent les graines
du fascisme qui s’est installé au sein
de ce gouvernement. Si cela ressemble à
des graines de fascisme, fonctionne
comme des graines de fascisme, aboie
comme des graines de fascisme, alors ce
sont bien des graines de fascisme !
». Bigre !
Réactions du Likoud : « La
conférence de Herzlia est un repaire de
gauchistes ( !!!!). Ce sont des
déclarations de « has been ». Barak a
été un très mauvais Premier ministre !
Avec Yaalon, il cherche à retrouver les
feux de la rampe. »
L'angoisse
de Barak la panique de Yaalon
Il faut relever un élément dans la
démonstration de Barak. Nul, mieux que
lui connaît Benjamin Netanyahu. Il a été
son chef au sein du commando d’état
major, dans les années 70, il fut son
ministre de la défense pendant quatre
ans, le voyant presque quotidiennement,
préparant la frappe sur les
installations militaires iraniennes. Et
il n’aurait pas remarqué son idéologie
annexionniste ? Il ne l’aurait jamais
entendu répéter ce qu’il avait déclaré
devant ma caméra, dés 2002 : « J’ai
accepté le retrait partiel de Hébron [en
1996] avec l’intention de garder le
reste de la Cisjordanie » Voir ce
passage dans mon film
https://www.youtube.com/watch?v=pmNGwtGCraw
En l’occurrence, Barak se réveille bien
tard. Ses déclarations sont, sans aucun
doute, à mettre sur le compte de
l’angoisse qui a fini par le saisir,
face à la situation catastrophique où se
trouve le pays. Un état des lieux auquel
il a largement contribué.
Yaalon, lui aussi donne l’impression
d‘être pris de panique. Est-ce le fait,
général aux brillants états de service,
d’avoir été remplacé par l’ex caporal
magasinier, Avigdor Lieberman ? Peut
être mais, sa démission a suivi
l’affaire du soldat, qui, à Hébron, a
tué un palestinien blessé après avoir
agressé un militaire. Ses supérieurs,
les chefs de l’armée, ont condamné son
geste, et la police militaire l’a
arrêté. Mais, très vite, le public
israélien a montré une fois de plus
qu’il avait une vision différente des
notions de droit et de justice. 68 % des
personnes interrogées, dans le cadre
d’un sondage, ont justifié l’assassinat
du terroriste, et 57% considéraient
qu’il ne fallait pas traduire le soldat
en cour martiale.
Processus
nauséabonds
A cela, il faut ajouter les prises de
position du général Yair Golan, le chef
d’état major adjoint qui, avant le jour
de la commémoration de la Shoah, avait
déclaré : « Une chose m'effraie.
C'est de relever les processus
nauséabonds qui se sont déroulés en
Europe en général et plus
particulièrement en Allemagne, il y a
70, 80 et 90 ans. Voir des signes de
cela parmi nous en cette année 2016. La
Shoah doit inciter à une réflexion
fondamentale sur la façon dont on traite
ici et maintenant l'étranger, l'orphelin
et la veuve. […] Il n'y a rien de plus
simple que de haïr l'étranger, rien de
plus simple que de susciter les peurs et
d'intimider…"» Voir l'analyse de
Danièle
Kriegel
Le racisme
La droite gouvernementale n’avait pas
apprécié. Golan et ses collègues
généraux ont donc eu droit à une
véritable campagne de « shaming » sur
les réseaux sociaux. Yaalon, ministre de
la défense, a, bien entendu, soutenu
l’état major face à cette campagne
haineuse. Netanyahu s’est rangé du côté
de l’opinion publique et négocié un
nouvel accord de coalition avec le parti
russophone d’Avigdor Lieberman. Yaalon,
sur le point d’être limogé, a préféré
démissionner en déclarant : « J’ai
combattu de toutes mes forces les
expressions d’extrémisme, de violence et
de racisme qui menacent la robustesse de
la société israélienne, s'infiltrent
dans l'armée en lui nuisant »
L'inimitié
de la nouvelle élite
Tout cela, démontre une fois de plus,
la profonde transformation de la société
israélienne. Alouf Ben, le rédacteur en
chef du quotidien Haaretz, l’a analysée
dans un article publié par la revue
américaine Foreign Affairs sous le titre
: « La fin du vieil Israël
» Extraits : « Israël – au moins sa
version séculaire et progressiste qui
avait captivé l’imagination du monde-
appartient au passé. […] D’ores et déjà,
la transformation est spectaculaire. Les
dirigeants actuels du pays, dirigés par
Benjamin Netanyahu, qui, depuis
l’élection s’est transformé en
extrémiste de droite- considèrent le
principe démocratique comme synonyme du
pouvoir absolu de la majorité. Ils
n’acceptent pas les limites imposées par
le processus judiciaire, ou la nécessité
de protéger les minorités. » Alouf
Ben rappelle les états de service de
Yaalon. Membre du Likoud, général,
ancien chef d’état major, opposé aux
accords d’Oslo, mais profondément
attaché à la laïcité et au droit. «
Cela faisait de lui un des derniers
membres de la vieille garde du style de
Ben Gourion. Dans l’Israël de Netanyahu,
le seul fait de se prononcer en faveur
d’une procédure judiciaire pour un crime
avéré suffit à vous attirer l’inimitié
de la nouvelle élite et de ses supporters»
L’analyse d’Alouf Ben se trouve
ici :
Mon article sur le maccarthysme au
pouvoir en Israël est
là
PS: Il faut remarquer que la plupart
des grands médias évitent d'évoquer
cette transformation profonde de la
société israélienne. Est-ce par peur
d'être taxé d'antisémitisme?
Le sommaire de Charles Enderlin
Les dernières mises à jour
|