Les enjeux
de la vie internationale
Orange mécanique
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Samedi 6 juin 2015
Rarement – certains disent jamais-
Israël n’a été dans une position
stratégique aussi favorable. En Syrie,
l’armée gouvernementale a pratiquement
cessé d’exister et les miliciens du
Hezbollah libanais qui combattent aux
côtés de ce qui reste des forces d’Assad
ne parviennent pas à empêcher l’avance
des diverses organisations d’opposition,
Daesh et autres. Dans le sud, la
coopération –discrète- avec l’armée
égyptienne n’a jamais été aussi bonne.
Israël et le Hamas sont parvenus à un
accord de fait. L’organisation islamiste
lutte contre les cellules de Daesh qui,
depuis Gaza, tirent de temps à autre des
roquettes en direction d’Israël. Les
militaires israéliens réduisent
progressivement la pression sur la
population de ce territoire. Les médias
israéliens évoquent de plus en plus
cette curieuse entente
http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/.premium-1.660093
Ce n’est pas tout, l’affaire du
nucléaire iranien paraît évoluer vers un
accord entre les puissances et Téhéran.
La grande menace
Alors que les ennemis traditionnels
d’Israël s’affaiblissent ou
disparaissent le gouvernement Netanyahu
se tourne vers une autre menace
fondamentale : le boycott ! Et l’affaire
« Orange » est arrivée à point nommé.
Explications : Partner, la compagnie qui
sous le nom d’Orange opère un des
principaux réseaux de téléphonie mobile
en Israël a le droit le plus absolu de
soutenir son armée, d’envoyer des
équipes mobiles réparer gratuitement les
portables des soldats, pendant la
dernière guerre à Gaza, et, aussi,
adopter un ou deux bataillons blindés.
Partner-Orange entend ainsi cultiver son
image patriotique indispensable à sa
politique commerciale. Seulement voilà,
Orange est une société multinationale
qui opère des réseaux cellulaires dans
le monde arabe. Et là, des ONG ont
relevé cette contribution à l’effort
militaire israélien. Voir par exemple le
site Electronic Intifada
http://electronicintifada.net/blogs/ali-abunimah/how-orange-telecom-supported-israels-massacre-gaza.
Cela, sans parler des activités de
Partner dans les colonies israéliennes
en Cisjordanie, considérées comme
illégales par la communauté
internationale.
La question est donc la suivante : Une
société dont le nom est lié à de telles
activités israéliennes peut-elle faire
des affaires dans le monde arabe ? Au
mieux, c’est compliqué! Et Stéphane
Richard, le PDG d’Orange International,
a déclaré, ce jeudi, 4 juin, au cours
d’une conférence de presse au Caire que,
s’il le pouvait, il déciderait «
dès
demain le retrait d’Orange d’Israël
». Plus tard, il a expliqué au Monde : «
Le groupe Orange n’est pas
actionnaire de la société Partner et n’a
donc aucune influence sur la stratégie
ou le développement opérationnel de
celle-ci […] Il s’agit d’une entreprise
qui utilise le nom d’Orange, mais qui
n’a rien à voir avec le groupe et qui
n’est pas contrôlée par nous »
Richard s'excuse
Et ce fut la tempête. Les dirigeants et
les médias israéliens sont montés au
créneau, considérant qu’Orange cédait à
la campagne de boycott dirigée par BDS
(Boycott, Désinvestissement, Sanctions).
La présidence du conseil à Jérusalem a
demandé des explications à l’Élysée ;
les Affaires étrangères ont contacté le
Quai d’Orsay. Sur le web, les sites
juifs francophones sont partis en
guerre, diffusant le portrait de Richard
affublé d’une petite moustache à la
Hitler. Attaqué, le PDG d’Orange
International a commencé à s’excuser sur
tous les tons. Interviews au grand
quotidien Yediot Aharonot et au site
Ynet, proclamant : « J’aime Israël !
». il a demandé un rendez-vous à
l’ambassadeur d’Israël à Paris pour, en
personne demander pardon. Que non! a
fait savoir Benjamin Netanyahu : "
Qu'il vienne en personne à Jérusalem!"
Et Orange International de faire savoir
que Stéphane Richard "accueille
favorablement l'invitation d'Israël et
s'y rendra prochainement pour réaffirmer
l'engagement du groupe" Orange
dit-il est en Israël "pour y rester".
François Hollande et Laurent Fabius ont
condamné le boycott d'Israël, ce dernier
en ces termes : « S’il appartient au
président du groupe Orange de définir la
stratégie commerciale de son entreprise,
la France est fermement opposée au
boycott d’Israël. La France et l’Union
européenne ont par ailleurs une position
constante et connue de tous sur la
colonisation. » En principe, donc,
l’affaire est close et le gouvernement
israélien se félicite d’avoir remporté
une victoire. Sa réaction aurait fait
reculer Orange.
BDS et la com de Netanyahu
Mais, quelle est l’ampleur réelle de la
menace que représentent BDS et le
boycott? Au plan économique, elle n’est,
au mieux, que symbolique. Les colonies
ne contribuent que pour 3% à l’économie
israélienne et, à l’exportation, le
gouvernement compense les entreprises
qui se heurtent à des difficultés de ce
genre. Même l’Union Européenne ne
parvient pas à se mettre d’accord sur
l’étiquetage des produits issus des
colonies israéliennes. De temps à autre,
BDS réussit à marquer un point. Une
Église, un fond de pension, une
association d’étudiants votent le
désinvestissement dans une société
israélienne liée à la colonisation d’une
manière ou d’une autre. Surtout, cela
permet à Benjamin Netanyahu de mobiliser
son opinion publique en ces termes: «
Nous sommes au milieu d’une campagne
internationale destinée à noircir notre
pays. Cela n’a aucun lien avec nos
actions. C’est lié à notre même
existence. Ce que nous faisons ne compte
pas – ce que nous symbolisons compte !
C’est un phénomène que nous avons
rencontré dans l’histoire de notre
peuple. Que disait-on du peuple juif !
Que nous empoisonnons les puits et
buvons le sang des enfants. C’est ce que
l’on dit de nous aujourd’hui ! » Le
message est clair, destiné avant tout au
public israélien et aux communautés
juives : tout cela n’a rien à voir avec
la colonisation, c’est de
l’antisémitisme pur et simple ! Aux
éditorialistes et aux personnalités
politiques qui réfutent cet argument, la
droite à beau jeu de rappeler que le
boycott concerne des artistes israéliens
même très à gauche, et aussi les
principales universités du pays où se
trouvent la plupart des opposants à la
colonisation. BDS est-il l’allié
objectif de la droite israélienne ?
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