Un État envahit un territoire étranger,
y déclare sa capitale,
y installe ses pouvoirs, législatif,
exécutif, judiciaire et administratif..
Jérusalem,
composante essentielle du sionisme
Cécile Ranaut et Patrick Serres
Samedi 21 décembre 2013
Le « grand Israël » ne peut s’envisager
sans une capitale « une et
indivisible », Jérusalem. À partir de ce
postulat, progressivement mais sans
répit, l’état d’Israël, créé en 1948, a
mis en place l’expulsion des
Palestiniens de Jérusalem Ouest puis a
continué son action à partir de 1967
avec l’occupation puis l’annexion de
Jérusalem Est, vieille ville comprise,
et de terres et villages palestiniens
voisins portant la superficie totale de
la ville à plus de 126 kms carrés.
Jérusalem s’est trouvée au cœur du
conflit au Proche-Orient et le plan de
partage international de 1947 attribuait
à la ville un statut spécifique
permettant de garantir à tous les cultes
le libre accès en sécurité à tous les
lieux saints. Corpus separatum englobant
Bethléem, Jérusalem devait être une
enclave sous contrôle international et
indépendant.
Après un délai de dix ans, son statut
définitif devait être fixé par la
population consultée par référendum.
Cependant, dès la déclaration
unilatérale d’indépendance de l’État
d’Israël en 1948 et l’annexion des
territoires palestiniens qui s’ensuit,
la ville de Jérusalem se retrouve
divisée entre une partie occidentale
annexée par Israël (38dkm2) et une
partie orientale (6dkm2, dont toute la
vieille ville) annexée par la Jordanie.
Le plan sioniste, élaboré depuis la fin
du dix-huitième siècle, est en marche
et, en 1949, Israël proclame
Jérusalem-Ouest sa capitale.
Proclamations unilatérales
En 1967, lors de la Guerre des Six
jours, l’armée israélienne envahit
Jérusalem-Est et l’État sioniste
proclame Jérusalem « réunifiée », sa
capitale « éternelle et indivisible ».
Les bulldozers entrent dans la vieille
ville et démolissent un quartier entier
pour agrandir le secteur juif de 7
dunums à 130 dunums (1 dunum égale 0,1
hectare). Mais le projet sioniste reste
inabouti, il lui faut une validation. En
1980, la « loi de Jérusalem » déclare
unilatéralement Jérusalem capitale de
l’État.
Un État envahit un territoire étranger,
y déclare sa capitale, y installe ses
différents pouvoirs, législatif,
exécutif, judiciaire et administratif,
et pourtant la communauté internationale
reste sans réaction, baisse honteusement
les yeux sur le fait accompli ! Certains
vont rétorquer : exagération, car l’ONU,
par les résolutions 476 et 478, déclare
que la « loi israélienne » établissant
Jérusalem capitale est nulle et non
avenue, qu’elle constitue une violation
du droit international, et invite les
États membres à en retirer leur mission
diplomatique.
Malgré cela, le Congrès américain a,
début août 2013, voté une loi
reconnaissant « Jérusalem capitale
une et indivisible de l’état juif ».
À Jérusalem comme en Cisjordanie,
l’implantation des colonies relève d’un
schéma stratégique très cohérent, pensé,
réfléchi : isoler les Palestiniens dans
des enclaves afin de les pousser à
quitter leur terre et gagner ainsi un
maximum de territoire, rendant
irréalisable toute solution d’un État
palestinien viable.
La première vague de construction s’est
faite de manière à relier le centre de
Jérusalem au mont Scopus, où se trouvait
l’université hébraïque édifiée en 1925,
à l’est de la ligne verte, enclave
israélienne en territoire jordanien du
temps de la partition de la ville. C’est
ainsi qu’en 1968 et 1969 que sont nés
les quartiers de Ramat Eshkol et Giv’at
Hamivtar. Les constructions de Giv’at
Shapira (French Hill) et Ma’alot Dafna
ont suivi au début des années
soixante-dix.
Des quartiers forteresses
Au cours de cette décennie, la
troisième vague de construction, la plus
importante en termes de développement et
de façonnage urbains, se distingue des
précédentes. Les nouveaux quartiers ne
sont pas contigus aux quartiers
existants mais édifiés aux limites de la
ville, sur des collines, aux quatre
points cardinaux. Il s’agit de Gilo (au
sud), de Tatpiot East (au sud-est), de
Ramot Alon (au nord) et Neve Ya’akov
(plus loin, au nord-est). Le milieu des
années quatre-vingt voit la
construction, à l’est, de Pisgat Ze’ev
pour établir une continuité avec Neve
Ya’akov.
Aujourd’hui seize colonies sont établies
à l’intérieur des limites de la
municipalité. [1]
Chaque quartier forme un véritable
morceau de ville, caractérisé par une
organisation concentrique (les rues
forment souvent une boucle autour du
sommet d’une colline), par
l’installation des bâtiments publics,
centres commerciaux, et synagogues en
cœur d’îlot, et par de très larges
avenues séparent les îlots d’habitation.
Les constructions sont régulières, à
l’identique, leur compacité et
l’organisation des quartiers répondent à
des principes stratégiques que certains
architectes n’hésitent pas à les
qualifier de « quartiers
forteresses ».
Le plan E1, adopté en 1993 par le
gouvernement Rabin, consiste à créer un
arc ininterrompu d’habitations juives
depuis les contreforts de la ville
sainte jusqu’à Ma’ale Adumim [2]
et aux versants de la vallée du
Jourdain, rendant d’autant plus
difficile la circulation de la
population palestinienne entre Ramallah
et Bethléem, entre le nord et le sud de
la Cisjordanie.
Jérusalem coupée de la Cisjordanie
L’espace est, par principe, poreux,
mais le 10 juillet 2005 Israël a validé
le tracé du mur dans et autour de
Jérusalem-Est. Il inclut les principales
colonies israéliennes des quartiers
périphériques des villes et villages
palestiniens proches, et sépare plus de
deux cent cinquante mille Palestiniens
de la Cisjordanie. Il réussit à exclure
de nombreux villages et quartiers
palestiniens densément peuplés comme Abu
Dis à l’est, Shu’afat et Qalandiya au
nord, Al-Walajeh, au sud, pourtant
situés à l’intérieur des limites de la
municipalité de Jérusalem.
L’arsenal se renforce avec la mise en
place de points de contrôle, la
construction du tramway (mis en service
en 2011) et d’un réseau de routes
réservées aux colons, infrastructures
qui sont la preuve de la détermination
de l’état d’Israël de ne jamais se
retirer de Jérusalem-Est. Haim Ramon
(ministre israélien pour Jérusalem)
déclarait que ce tracé rendrait
Jérusalem « plus juive » et répondrait
ainsi au dessein de son gouvernement de
parvenir au rapport de 70% de juifs
israéliens pour 30% de Palestiniens dans
la ville.
La grande zone de Jérusalem constitue
donc un enjeu majeur du plan de
colonisation d’Israël et les
implantations de colonies se
multiplient, en partie financées par
diverses organisations juives. Les
colons de ces différentes zones se
répartissent en deux catégories : les
plus extrémistes s’installent dans
Jérusalem-Est, au contact des
Palestiniens résidant dans la vieille
ville, et sont placés sous la protection
permanente et renforcée de la police
israélienne ; les colons « économiques »
sont répartis dans les colonies de la
périphérie et souvent isolés du contact
avec les Palestiniens par le mur, les
routes, les checkpoints…
Leur situation d’encerclement et
d’enfermement aggrave la situation des
Palestiniens, détruisant leur vie
économique, leur tissu social, portant
atteinte à leur identité. À l’intérieur
de la vieille ville, des maisons sont
confisquées et leurs habitants
expulsés ; à l’extérieur, moins
urbanisé, les terres sont confisquées,
les maisons détruites, pour permettre la
construction de logements neufs pour les
colons. Vingt mille ordres de démolition
seraient en cours d’exécution pour des
maisons et des structures
palestiniennes.
En complément, les Jérusalémites
palestiniens sont victimes de l’arsenal
législatif et administratif sioniste.
Pour limiter la croissance naturelle de
la population palestinienne de Jérusalem
et la forcer à quitter la ville, les
processus d’obtention de permis de
construire sont longs, très chers et
pleins d’obstacles. Les bâtiments
construits sans permis sont
régulièrement démolis. Être détenteur de
la « carte bleue » [3]
de résident, sésame indispensable pour
vivre dans la ville, en sortir et y
entrer, impose toute une série
d’obligations plus contraignantes les
unes que les autres.
Sa possession peut être révoquée dans
plusieurs cas : ne pouvoir faire la
preuve (factures d’eau/électricité,
certificats de scolarisation, paiement
de la taxe d’habitation…) d’une
résidence continue à Jérusalem pendant
deux ans, passer plus de sept ans à
l’étranger, acquérir une résidence dans
un autre pays ou obtenir une citoyenneté
étrangère.
Selon des statistiques du JCSER [4],
entre 1967 et 2011, quatorze mille cinq
cent soixante Palestiniens de
Jérusalem-Est se sont vu retirer la
« carte bleue » . Un rapport du Haut
commissaire des Nations Unies pour les
droits de l’Homme a estimé qu’en 2010,
dix mille enfants palestiniens de
Jérusalem-Est n’ont pas été enregistrés
parce que seul un de leurs parents avait
le statut de résident permanent. Ceux
dont la résidence est révoquée sont
considérés comme des « absents » [5].
En conséquence, l’État peut
confisquer tous leurs biens. Début 2011,
la municipalité de Jérusalem a cessé
d’exiger de certains résidents qu’ils
payent la taxe Arnona, ou taxe
d’habitation, serait-ce pour ensuite les
qualifier d’« absents » ?
Diverses privations pèsent au quotidien
sur les Palestiniens de Jérusalem, dont
on estime que 78% sont en dessous du
seuil de pauvreté, et portent atteinte à
leurs droits. Atteinte au droit d’accès
à la santé, puisque les services
hospitaliers de Jérusalem-Est, et c’est
là que se situent beaucoup
d’établissements spécialisés (chirurgie,
etc.), ne sont plus accessibles aux
Palestiniens de Cisjordanie.
Atteinte au droit à l’éducation, puisque
le Mur prive élèves, étudiants et
professeurs d’un accès libre à la fois
aux écoles de Jérusalem-Est et à celles
de Cisjordanie, selon leur lieu de
résidence.
Tous les jours, plus de quatre mille
habitants traversent le mur pour accéder
aux écoles situées à la périphérie de la
ville et inversement pour ceux qui se
retrouvent derrière le mur de
colonisation.
Atteinte au droit de la famille, puisque
le mariage d’un(e) résident(e) avec
un(e) non-résident(e) n’autorise qu’un
permis temporaire et parfois aucun
permis n’est accordé. Les familles sont
donc très souvent éclatées avec toutes
les conséquences humaines et sociales
que cela engendre.
La situation à Jérusalem-Est
constitue une des facettes du projet
sioniste de colonisation de la
Palestine, en complément de celle
pratiquée en Cisjordanie et du blocus de
Gaza.
Malheureusement, en dépit des
nombreuses résolutions, déclarations,
condamnations verbales, et malgré les
volumineux rapports qui dénoncent
l’illégalité de cette politique, rien ni
personne, au niveau de la communauté
internationale, ne contraint Israël à
stopper sa politique du fait accompli
colonisateur et ségrégationniste. Les
Palestiniens poursuivent leur lutte pour
l’indépendance et nous avons le devoir
moral de soutenir leur combat et leur
résistance. Seuls le boycott de cet État
hors la loi, le désinvestissement de
toutes les structures qui participent à
cette colonisation, les sanctions pour
non respect du droit international
permettront de contraindre les
gouvernements israéliens à respecter le
droit.
Patrick Serres et
Cécile Ranaut
[1] Sur
les implantations coloniales en
Cisjordanie, voir l’excellent
travail de mise à jour, en
particulier
une carte interactive, réalisé
par l’organisation B’Tselem, qui a
pour objectif d’informer le public
israélien sur les nombreuses
exactions commises par l’armée
israélienne contre la population
palestinienne dans les territoires
sous occupation.
[2] Première
à obtenir le statut de ville en 1
992, Ma’ale Adumim, établie à l’est
de Jérusalem sur des terres
palestiniennes confisquées
s’étendant jusqu’à la région de
Jéricho, est la plus grande colonie
israélienne avec une population de
plus de quarante mille habitants.
Voir la fiche établie par l’AFPS
[3] En
vertu d’une loi votée à la Knesset
en 1952.
L’autorisation de résidence induit
titre de propriété pour beaucoup,
mais aussi droit au retour pour les
Palestiniens de 1948 réfugiés à
Jérusalem-Est. 290.000 Palestiniens
avaient la carte d’identité de
Jérusalem en 2012, dont 100.000 à
120.000 vivant derrière le mur. Les
détenteurs de la « carte bleue »
ont un passeport jordanien, à
l’exclusion de tout autre,
contrairement aux Israéliens qui
peuvent en avoir plusieurs.
[4] Jerusalem
Center for Social and Economic
Rights, Centre de Jérusalem pour les
droits sociaux et économiques.
[5] La
« loi sur les biens des absents »,
promulguée en 1950 et qui continue a
être appliquée, définit l’absent
comme un habitant ayant quitté les
lieux pour un pays ennemi et stipule
que ses biens sont mis sous tutelle
de l’État israélien qui en a
l’usufruit (possibilité de louer la
terre, les bâtiments…). Aujourd’hui,
des colons peuvent chasser par la
force des familles palestiniennes,
puis décréter leur absence ; ainsi
l’Etat israélien récupère ses biens
(la maison, la terre, le commerce,
l’entreprise...) puis les
redistribue à des familles juives.
http://palestine33.free.fr/
© LE GRAND SOIR - Diffusion
non-commerciale autorisée et même
encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 21 décembre 2013
Le dossier
colonisation
Les dernières mises à jour
|