Où sont les preuves ? L'Evaluation
nationale sur Khan Cheikhoun, une leçon
de sophisme peu convaincante
Caroline Galactéros
Lundi 1er mai 2017
Jean-Marc Ayrault
l’avait annoncé la semaine dernière
: la France allait fournir sous peu les
« preuves » en sa possession de
l’implication du gouvernement syrien
dans l’attaque chimique de Khan
Cheikhoun, le 4 avril dernier.
Ce fut mercredi matin, à l’issue d’un
Conseil restreint de Défense, que notre
Ministre des Affaires étrangères lut
avec application un texte présentant les
résultats d’un travail interministériel
sous la forme d’une « Evaluation
nationale ».
De même que les
éléments rapportés dans le rapport
déclassifié de la Maison Blanche (WHR)
n’apportent pas de preuves véritables ni
indiscutables permettant d’incriminer
l’Etat syrien – cf.
les analyses de Theodore Postol à
partir de ce WHR –, cette
Evaluation nationale suscite plus
d’interrogations et de doutes qu’elle
n’apporte de réponses claires.
« La France a
mis en œuvre les moyens nécessaires pour
disposer de ses propres échantillons
issus de l’attaque présumée au sarin le
4 avril 2017 dans la province d’Idlib. »
C’est une très bonne nouvelle que cet
effort de recherche en matière de
renseignement de la part de nos
services, longtemps « disoensés » de
s'intéresser au théâtre syrien,
notamment depuis la fermeture en 2011 de
nos consulats de Lattaquié et d’Alep,
suivie par celle de notre ambassade à
Damas un an plus tard.
Néanmoins, sans
savoir jusqu’à quel point est allée
cette réactivation de nos moyens de
recherche sur le terrain, on peut se
demander quelles sont les sources
exactes utilisées ici :
Directes (et si
oui, cela signifierait que se trouvent à
l’heure actuelle des forces françaises
aux côtés des groupes islamistes armés,
tous plus ou moins reliés à la matrice
commune que constitue Al Qaida…) ?
Indirectes (et en
ce cas immédiatement sujettes à caution
et contrevenant aux critères formels de
l’Organisation pour l'interdiction
des armes chimiques [OIAC] et de
l'ONU qui imposent en termes de
crédibilité la garde permanente et le
transport des échantillons...) ?
Fournies par qui
? Nous y reviendrons plus tard.
Force est en effet
de constater qu’aucune preuve n’est
apportée par le document. Plus grave
encore, voulant à toute force trouver
dans le gouvernement syrien le coupable
naturel de l’attaque de Khan Cheikhoun,
l’Evaluation nationale fait
preuve non seulement d’un raisonnement
approximatif rendant la démonstration
biaisée, mais encore d’une partialité
déconcertante en omettant délibérément
de mentionner l’emploi répété de gaz
organophosphorés (substances
neurotoxiques) par ce qu’elle nomme
pudiquement « l'opposition ».
Pourtant, trois des cinq cas relevés par
le
rapport final de la Mission
d’enquête des Nations Unies concernant
les allégations d’emploi d’armes
chimiques en République arabe
syrienne confirmant l’emploi de
neurotoxiques l’ont été par les groupes
islamistes armés contre les forces
gouvernementales.
L’Evaluation
se fait en quatre temps : analyse
technique de l’attaque chimique du 4
avril ; analyse militaire de la
situation tactique autour du 4 avril ;
analyse des groupes armés à Hama et de
leurs capacités ; et enfin le maintien
d’un programme chimique clandestin
syrien.
Une annexe est jointe, constituée
d’un tableau récapitulant en apparence
toutes les attaques à caractère chimique
depuis octobre 2012 jusqu’à celle du 4
avril 2017.
Je vous propose une
analyse reprenant les grands axes de ce
rapport.
I. Analyse
technique
L’analyse technique
de l’attaque s’attache à définir
« la nature du produit utilisé, le
procédé de fabrication et son mode de
dispersion. »
1. Nature du
produit utilisé
Ces échantillons
confirment « avec certitude que du
gaz sarin a été employé ». Jusque-là
rien de nouveau, l’OIAC ayant
reconnu le 19 avril que les victimes
ont été exposées « au gaz sarin ou à
une substance similaire ».
2. Procédé de
fabrication
L’Evaluation
révèle ensuite que le sarin identifié
relève du même « procédé de synthèse
[...] que celui employé par les forces
armées et de sécurité syriennes »
impliquant « l’utilisation d’hexamine
comme stabilisant ». C’est
intéressant, mais cela ne signifie pas
que cette « signature » soit exclusive
et que les forces gouvernementales
syriennes soient les seules à employer
ce composé chimique.
Cette « attribution
» se base sur le rapprochement entre ces
renseignements et ceux obtenus à partir
d’échantillons datant... d’avril 2013,
soit 5 mois avant la destruction du
stock d’armes chimiques à partir de
septembre 2013. Le sophisme
s’installe insidieusement en
introduisant un faux rapport logique
d’identité entre deux évènements.
Deux des six pages
de l’Evaluation sont ainsi
dédiées à l’attaque de Saraqeb qui eut
lieu le 29 avril 2013 et ne font en
réalité que reprendre les éléments
disponibles dans le rapport final de la
Mission des Nations Unies
précédemment évoqué (Appendice 4, pp.
38-44), en omettant toutefois de
citer que les éléments rapportés le sont
par une « source proche de
l’opposition » mentionnée
pourtant à trois reprises dans le
rapport onusien.
L’Évaluation
conclut que « les analyses de
prélèvements biomédicaux et
environnementaux recueillies par les
services français [de première, de
seconde main ? N.D.L.R.] ont révélé
la présence de composés caractéristiques
d’une exposition au sarin. Cette
analyse a été confirmée en décembre 2013
par les Nations Unies. »
Certes, les
échantillons prélevés par l’ONU sur la
seule victime de l’attaque de Saraqeb « ont
mis en évidence la signature chimique du
sarin », mais, « en
l’absence d’informations de première
main », elle « n’a pu établir de
lien entre ce qui se serait produit, le
lieu où les armes chimiques auraient été
employées et la femme qui a péri »
(VI. Conclusion, 115-116, p. 23). La
Mission des Nations Unies montre
en réalité la même prudence à l’égard de
toutes les autres attaques mentionnées
dans son rapport.
Ainsi, s’agissant
des résultats qui lui ont été
communiqués par un rapport français
concluant à « l’existence des
signatures du sarin et de produits de
dégradation du sarin » , la
Mission des Nations Unies,
contrairement à ce qu’affirme l’Evaluation
nationale« n’a pu
authentifier de manière
indépendante les informations qu’il
contenait ni confirmerle respect
du principe de garde permanente
concernant le prélèvement et le
transport des échantillons»
(Appendice 4, p. 44).
3. Mode de
dispersion
La seule
information nouvelle que contient l’Evaluation
nationale, photo à l’appui, concerne
le mode de dispersion du gaz... à propos
l’attaque de Saraqeb !! A partir de ce
moment, l’Évaluation installe une
confusion délibérée entre l’attaque de
2013 et celle de 2017 en revenant sur le
premier temps de sa démonstration pour
établir la présence « de composés
chimiques communsdans les
échantillons environnementaux récupérés
lors des attaques chimiques de Khan
Cheikhoun, le 4 avril 2017, et de
Saraqeb le 29 avril 2013. »
L’attaque de
Saraqeb constitue le seul emploi
clairement établi à ce jour
d’utilisation supposée de sarin par
l’Armée syrienne contre les
rebelles, celui de la Ghouta restant
sujet à forte controverse (lieu de
lancement de l’attaque en zones
rebelles, tempo politique là aussi
suicidaire pour le régime, une « ligne
rouge » qui était plutôt un chiffon
rouge et une incitation aux rebelles
pour organiser une provocation et
déclencher une intervention militaire
occidentale, et, last but not least,
mystère sur ce qui conduisit finalement
le président Obama à renoncer à
répliquer militairement ainsi que l’y
engageaient le Président français et le
Premier ministre britannique, etc…).
Il ne faut pas
oublier que quelques jours après le
massacre de la Ghouta orientale, le
24 août 2013, dans la même zone
(quartier de Jobar), l’armée syrienne
fut prise pour cible dans une attaque au
sarin comme le rapporte la Mission des
Nations Unies. Le lendemain enfin,
25 août 2013, une autre attaque au
sarin a visé les forces gouvernementales
à Achrafiyat Sahnaya au sud de Damas.
Les rebelles utilisent donc bien du
sarin.
En réalité,
lorsque l’on parle d’attaques chimiques
par le gouvernement syrien, il s’agit de
l’usage avéré et régulier de barils
de chlore, substance facilement
transformable en arme par destination,
ce qui n’en constitue pas moins un
crime de guerre.
Mais attribuer au
régime syrien l’attaque de Khan
Cheikhoun sur le simple fait que le gaz
employé porte la même signature que
celui d’une attaque survenue quatre ans
plus tôt pose de sérieuses questions
sur la solidité du raisonnement.
En quatre ans, ces
armes chimiques ou leurs composés
auraient en effet pu tomber entre les
mains de l’opposition. Cette hypothèse
doit a minima être prise en compte.
Le vingt-septième rapport mensuel du
Directeur général de l’OIAC au Conseil
de sécurité, couvrant la période du 24
novembre au 21 décembre 2016, révèle par
exemple, que la destruction de 11 des 12
installations d’Etat de fabrication
d’armes chimiques a pu être vérifiée, la
dernière « demeurant inaccessible durant
la période du compte-rendu en raison de
la situation sécuritaire » (5. a., p.
4), ce qui laisse diverses
interprétations possibles.
Par ailleurs, dans
son
arrêt du 11 novembre 2016, le
mécanisme d’enquête et d’attribution
ONU-OIAC « se préoccupe gravement de
l’intérêt continu dans le
développement, l’acquisition et l’usage
d’armes chimiques par des acteurs
non-étatiques, et la potentialité de
cette menace de s’accroître dans le
temps » (7., p. 3).
Lorsque l’État
islamique (EI) a mis la main en 2014 sur
le dépôt d’al-Muthana, contenant « d’importantes
réserves d’armes chimiques constituées
d’ypérite et de gaz sarin »
comme le rapportait The Telegraph,
il n’est venu à personne l’idée
d’accuser le gouvernement irakien d’être
responsable de l'emploi qui en a été
fait depuis (emploi
avéré par le Mécanisme d’enquête
conjoint OIAC-ONU, à Marea, dans la
province d’Alep, le 21 août 2015, voir
p. 15).
L’Évaluation
nationale conclut que « le sarin
présent dans les munitions utilisées le
4 avril a été produit selon le même
procédé de fabrication que celui utilisé
lors de l’attaque au sarin perpétré par
le régime syrien à Saraqeb. En outre, la
présence d’hexamine indique que ce
procédé de fabrication est celui
développé par le CERS au profit du
régime syrien. » On voit poindre le
sophisme sous forme de syllogisme
qui sera à l’œuvre en conclusion :
Des attaques
chimiques au gaz sarin ont été commises
en Syrie ;
Il a été reconnu que le gouvernement
syrien aurait utilisé du sarin en 2013
(sans mentionner les cas où il en a été
la cible) ;
Donc le gouvernement syrien est
responsable de toutes les attaques
chimiques commises en Syrie.
II. Analyse de
la situation militaire
Concernant la
situation militaire, l’Évaluation
rappelle la contre-offensive en cours
depuis le 22 mars de la part du
gouvernement syrien contre le Hayat
Tahrir al-Cham (HTC) au nord de Hama. Le
HTC est un groupe issu de la fusion du
Jabhat Fatah al-Cham, ex al-Nosra (Al-Qaida
en Syrie) et de groupes djihadistes,
tels que le Jabhat Ansar Dine ou le Liwa
al-Haq, ou islamistes, comme le Harakat
Nour al-Din al-Zenki qui s’était
illustré en
décapitant un enfant palestinien le
19 juillet 2016. De nombreux membres de
Ahrar al-Cham, autre groupe djihadiste
présent dans la zone, ont également
rejoint les rangs du HTC.
Le 4 avril, Khan
Cheikhoun est sous le contrôle du HTC,
comme toujours c’est le cas
actuellement. Cela pose la question de
savoir qui a effectué les
prélèvements :
Soit la France a
collaboré avec le HTC, ce qui pose de
sérieux problèmes (cf. supra).
Soit des agents
français se trouvent sur un territoire
contrôlé par Al-Qaida (idem…).
Soit la France se
fie, une nouvelle fois sans les
mentionner, à des sources proches des
groupes djihadistes rebelles de la
région d’Idlib, tels que les tristement
célèbres « Casques blancs » dont
les liens entretenus avec les
djihadistes sont manifestes.
Enfin, l’Evaluation
affirme que les services français « ont
connaissance d’un Su-22 ayant décollé de
Shayrat le 4 avril au matin et ayant
effectué jusqu’à six frappes sur la
localité de Khan Cheikhoun » et que
seuls « Bachar al Assad et certains
des membres les plus influents de son
entourage sont habilités à donner
l’ordre d’utiliser des armes chimiques ».
Ces informations, même si elles
s'avèrent véridiques, ne peuvent en
l'espèce avoir valeur de preuve.
III. Analyse de
la présence des groupes à Hama
Concernant « la
présence des groupes armés à Hama et de
leurs capacités » qui constitue le
troisième temps de cette Evaluation
nationale, « la France estime que
la thèse d’une attaque [...] menée par
les groupes armés n’est pas crédible. La
France ne dispose d’aucune information
permettant de confirmer la détention de
sarin par ces groupes. »
L’Evaluation
rajoute qu’« aucun de ces groupes ne
dispose de capacités aériennes
nécessaires ». Certes, il est à
tout le moins spécieux de laisser
entendre que l’usage d’armes chimiques
ne se fait que par voie aérienne,valable pour le chlore mais très
aléatoire pour les manipulateurs de
sarin, alors même que les emplois
d’organophosphorés se font aussi par
voie terrestre. Ce fut le cas à la
Ghouta et dans les diverses attaques
ayant visé les forces gouvernementales
rapportées par la Mission des Nations
Unies. John Brennan lui-même, précédent
directeur de la CIA,
reconnaît que l’EI a recours à des
obus d’artillerie lorsqu’il a employé
des armes chimiques. Une détonation sur
un obus peut également s'effectuer à
distance par explosif. C’est ainsi une nouvelle omission volontaire de l’Evaluation
qui cherche délibérément à induire le
lecteur en erreur. Les capacités
aériennes ne sont pas nécessaires à une
attaque chimique.
L’Évaluation
disculpe ensuite l’EI d'être le possible
auteur de l'attaque de Khan Cheikhoun,
affirmant les services de renseignement
français n’ont pas « constaté »
qu’il possédait du sarin ou des
capacités aériennes. La vérité est
surtout que l’EI se trouve à 70 km de
cette ligne de Front qui est située
dans le gouvernorat d’Idlib soumis à
leur parentèle djihadiste et duquel
l’EI est absent.
Enfin, et le
passage mérite d’être cité entièrement
: « les services français estiment
qu’une mise en scène ou une manipulation
par l’opposition n’est pas non plus
crédible, en particulier du fait de
l’afflux massif de patients en un temps
limité vers des hôpitaux sur le
territoire syrien et sur le territoire
turc, et de la mise en ligne simultanée
et massive de vidéos présentant les
symptômes de l’utilisation d’agents
neurotoxiques. » Quel est le lien de
causalité ? Rappelons que la plupart de
ses vidéos présentent les mêmes scènes.
On peut même retourner l’argument et
penser à une préméditation d’un
événement aussi médiatisé, venant des
Casques blancs connus pour mettre en
scène les victimes, et
particulièrement les enfants,
à des fins politiques.
IV. Maintien
depuis 2013 d’un programme chimique
clandestin syrien
Enfin, dans le
quatrième et dernier temps de l’Évaluation
nationale « la France estime
que d’importants doutes subsistent sur
l’exactitude, l’exhaustivité et la
sincérité du démantèlement de l’arsenal
chimique syrien. D’autre part, depuis
2014, la France a pu constater
des tentatives d’acquisition par la
Syrie de quelques dizaines de tonnes d’isopropanol
[composé chimique entrant dans la
composition du sarin, mais aussi utilisé
dans l'industrie. N.D.L.R.]. Aucune
preuve de la véracité des déclarations
syriennes n’a pu être obtenue par
l’équipe d’évaluation de la déclaration
initiale syrienne (DAT) du Secrétariat
technique de l’OIAC. L’OAIC a elle-même
constaté des incohérences majeures dans
les explications syriennes au sujet de
la présence de dérivés de sarin sur
plusieurs sites sur lesquels aucune
activité liée à ce toxique n’avait été
déclarée. » Constater que
l'Etat syrien acquiert de isopropanol,
utilisé comme dissolvant, décapant dans
l'industrie, entrant également dans la
conception de carburants ou
d'antiseptiques, ne peut constituer à
lui seul une preuve de la possession de
gaz sarin.
L’Evaluation
ajoute : « Le régime de Damas a
continué de faire usage d’agents
chimiques contre sa population depuis
l’adhésion de la Syrie à la CIAC le 13
octobres 2013. Plus d’une centaine
d’allégations d’emploi ont ainsi été
recensées, au moyens de chlore mais
également de sarin. » C’est à ce
moment qu’il convient de porter un
regard attentif sur les annexes,
composées d'un tableau recensant les
attaques chimiques survenues en
territoire syrien de 2013 à 2017.
V. Les Annexes
Ce qui frappe
d’emblée, c’est la légende du tableau :
Aucune « entrée
» du tableau n’est réservée à
l’implication éventuelle de «
l'opposition » (i.e les
groupes armés djihadistes) dans des
attaques chimiques ; alors même, nous
l’avons vu, que la Mission des Nations
Unies en a relevé plusieurs ! Ainsi
les attaques chimiques visant les
forces gouvernementales syriennes,
rapportées par l’ONU, ont été
sciemment et systématiquement omises de
l’Evaluation et du tableau
joint en annexe. Les trois attaques
visant clairement des soldats syriens
sont soit minimisées dans leurs
effets (Khan el-Assal)
soit tout
simplement absentes (Achrafiyat
Sahnaya et Jobar) de l’annexe lorsque
l’ONU, elle, reconnaît la présence de
sarin :
Les attaques
contre les forces gouvernementales
Ci-dessous, la
liste des attaques à l'arme chimique
contre les forces gouvernementales
reconnues par la Mission des Nations
Unies et minimisées ou omises dans l'Evaluation
nationale :
Khan el-Assal, le 19 mars 2013 :
L’Evaluation
nationale fait simplement état de « suffocation »
dans la case symptômes (p. 1), alors que
le rapport de la Mission des
Nations-Unies évoque dans les mêmes
pourcentages des symptômes tels que la «
pertes de connaissance » ou l'«
écume aux lèvres » propres à
l'exposition à un composé
organophosphoré :
Refusant
d'impliquer les rebelles comme auteurs
des attaques lorsque c'est le cas, l'Evaluation
nationale nie également la présence
de sarin lorsque c'est le cas en
laissant la case « blanche», ne
spécifiant pas la nature de la substance
employée (rappelez-vous le
syllogisme : lorsque la nature de la
substance se révèle être du sarin, seul
Damas peut être coupable).
Le
septième rapport de la Commission
d’enquête internationale indépendante
sur la Syrie des Nations Unies,
publié le 12 février 2014, identifie que
les agents chimiques employé à Khan el-Assal
sont du sarin ou proches dérivés ( IV.,
C., 1., p. 19). Il est également
mentionné que les agents chimiques
employés dans cette attaque « portent
les mêmes caractéristiques uniques que
ceux utilisés à la Ghouta »,
indiquant dans le cas de cette dernière
que « les auteurs de l’attaque ont
probablement eu accès aux stocks d’armes
chimiques de l’Armée syrienne », ce
qui peut aussi bien incriminer Damas que
les rebelles.
Jobar, le 24 août 2013 :
·
Achrafiyat Sahnaya, le
15 août 2013 :
Les attaques
attribuées aux forces gouvernementales
Dans les Annexes, 7
occurrences figurent en rouge ou orange
dans le tableau, c’est-à-dire le cas où
l’usage de gaz sarin est attribué
(rouge), ou sujet à forte probabilité
d’attribution (orange) à l’Etat syrien.
Il s'agit de :
1. Cheikh Maksoud,
dans la région d'Alep le 13 avril 2013
(rouge).
2. Jobar, dans la Ghouta Est, Mi-avril
2013 (rouge).
3. Saraqeb, dans la région d'Idlib, le
29 avril 2013 (rouge).
4. Damas (Massacre de la Ghouta), le 21
août 2013 (rouge).
5. Uqairabat, dans la région de Hama, le
12 décembre 2016 (orange).
6. Latamneh, dans la région de Hama, le
30 mars 2017 (orange).
7. Khan Cheikhoun, dans la région
d'Idlib, le 4 avril 2017 (rouge).
Si l’on retire Khan
Cheikhoun ainsi que celle de la Ghouta,
ayant provoqué toutes deux des morts
massives de civils, mais dont les
responsabilités nous demeurent floues à
ce stade, il n’en reste que 5.
Sur ces 5, la
Mission des Nations Unies concède ne pas
avoir suffisamment d’éléments pour dire
si une attaque chimique a réellement eu
lieu concernant Cheik Maqsoud en avril
2013 :
Celle de Jobar
d’avril 2013 est tout simplement écartée
par l'ONU : « La Mission des
Nations Unies n’a pas obtenu
d’informations suffisantes et crédibles
au sujet des incidents qui se seraient
produits dans les localités suivantes :
Salquin (17 octobre 2012); Homs (23
décembre 2012); Darayya (13 mars et 25
avril 2013); Otaybah (19 mars 2013);
Adra (24 mars et 23 mai 2013); Jobar
(entre le 12 et le 14 avril 2013) et
Qasr Abu Samrah (14 mai 2013) »
(Annexe, Lettre d’envoi, p.2).
Comme nous l’avons
dit, seule l’attaque de Saraqeb le 29
avril 2013, est formellement reconnue
par la Mission des Nations Unies comme
imputable au régime.
Les deux dernières
attaques restantes et attribuées au
régime par l’Evaluation nationale,
celles en orange, sont étrangement
espacées de presque 4 ans par rapport au
dernier usage de sarin avéré par les
forces syriennes (Saraqeb en 2013).
Elles ont eu lieu dans les localités d’Uqairabat
le 12 décembre 2016 et de Latamneh le 30
mars 2017, la première située près de
Palmyre au contact de l’État islamique,
et la deuxième dans la région d’Idlib
tenue par l’opposition djihadiste. Ces
attaques ont été rapportées par le
très douteuxObservatoire syrien
pour les droits de l'homme
concernant Uqairabat, et par The
Union of Medical Care and Relief
Organizations
concernant Latamneh - deux
organismes sans crédibilité officielle.
Il faudrait dès
lors citer d’autres attaques impliquant
des symptômes dus à une exposition à un
organophosphoré imputables aux
djihadistes, elles aussi rapportées par
des sources non officielles ou n'ayant
pas encore fait l'objet d'enquête, mais
omises dans l’Evaluation nationale.
Nous pouvons citer à titre d'exemple :
- Darayya au sud de
Damas, le 15 février 2015, contre
l’armée (EI ou rebelles). Cette attaque
a été reconnue dans
une note du directeur de l'OIAC au
Conseil de sécurité le 28 janvier 2016
(p. 95).
-
Dandaniya, au nord-ouest de Manbij,
le 25 août 2016, imputée aux rebelles
de l'Armée syrienne libre (ASL),
parrainés et soutenus par la Turquie,
contre les Forces démocratiques
syriennes (FDS) arabo-kurdes.
- Cheihk Maqsoud,
les
7 avril,
8 octobre et
25 novembre 2016imputées à Ahrar
al-Cham et al-Nosra contre les YPG (Ahrar
al Cham et al-Nosra fournissant
aujourd’hui les rangs du Hayat Tahrir
al-Cham présents à Khan Cheikhoun).
Conclusion
Finalement, à
l’exception possible de l’attaque de
Sadaqeh, aucune enquête n’a pu
reconnaître de manière indiscutable la
responsabilité du gouvernement syrien
dans les attaques impliquant un
organophosphoré de type sarin. Le
seul usage
reconnu et avérépar le Mécanisme
d'enquête conjoint ONU-OIAC imputable à
l'Etat syrien est celui du chlore
(ex. : à Sarmin, province d'Idlib, le 16
mars 2015, p. 15). Pourtant, cela
n’empêche pas l’Evaluation nationale
de conclure que : « la France estime
que les forces armées et de sécurité
syriennes ont mené une attaque chimique
au sarin contre des civils à Khan
Cheikhoun, le 4 avril 2017. »
L’ensemble de
l’analyse menée par le document du Quai
d’Orsay contraint malheureusement à des
questionnements embarrassants.
Pourquoi
dissimuler, par des omissions
volontaires, des attaques avérées de
groupes djihadistes contre l’Etat syrien
? Les biais dans le raisonnement et
la rédaction de l’Evaluation
nationale ne font qu’accroître la
suspicion concernant les motivations de
ses auteurs. Craindrait-on de voir
incriminer ceux que l’on appelle les
rebelles « modérés » sur lesquels
la récente note du Centre
d’analyse, de prévision et de stratégie
(CAPS) du Ministère des Affaires
étrangères recommandait encore de
s’appuyer pour provoquer la chute du
régime de Damas et celle de l’Etat
syrien?
Tout comme le
rapport déclassifié de la Maison
Blanche, l'Évaluation nationale
française accuse sans apporter la
moindre preuve. Il ne s’agit bien
évidemment ici de dédouaner d’une
quelconque façon le régime syrien de ses
responsabilités dans le cours de la
guerre et en l’espèce, de son
recours au chlore qui reste constitutif
d’un crime de guerre et doit être
dénoncé.
Il s’agit de
promouvoir une analyse la plus objective
possible de la situation et d’offrir une
vision non tronquée ni biaisée de la
réalité. La position de la France ne
peut qu'être entachée par une
présentation partisane des faits et des
responsabilités. c’est le peuple syrien
qui souffre de l’entretien d’un
affrontement dont il n’est que l’otage
et d’une vision manichéenne des
responsabilités des acteurs dont il
reste le jouet ultime.
La France a le
double devoir d’être d’une rigueur
absolue sur un sujet d’une si profonde
gravité et de savoir décrypter les
manipulations dont elle est in fine
elle aussi l’objet. La hargne, La haine,
le manichéisme, le dogmatisme
moralisateur ne peuvent que nous
aveugler et paralyser notre jugement
comme notre capacité d’influence sur le
cours des choses. C’est l’inverse d’une
approche diplomatique féconde. C’est
notre voix au Moyen-Orient et dans le
monde que l’on prend le risque de
discréditer encore davantage par
l’application si manifeste d’un double
standard de pensée. Ce sont les valeurs
que nous prétendons porter et défendre
qui s’en trouvent affaiblies.
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