Monde
Le moment Hillary
Bruno Guigue
Jeudi 29 septembre 2016
L'avantage, avec Hillary Clinton, c'est
qu'elle annonce clairement la couleur. A
grand renfort de rhétorique chauvine, la
candidate démocrate galvanise les
énergies du complexe
militaro-industriel, du lobby sioniste
et de la finance mondialisée. Elle est
fière comme un Artaban de ses exploits
guerriers en Libye. Elle promet de
liquider sans délai Bachar Al-Assad.
Elle couvre d'injures le président de la
Russie et l'accuse de comploter contre
son élection. D'une arrogance à toute
épreuve, Hillary version 2016 incarne
cette fraction de l'oligarchie yankee
qui est prête à tout pour étendre sa
domination. Mais pour bien comprendre
cette séquence politique que
j'appellerai le « moment Hillary », il
faut la resituer dans un continuum
historique.
Clinton, Bush Jr, Obama : depuis 1992,
les trois présidents qui se sont succédé
à la Maison Blanche n'ont pas ménagé
leur peine pour servir une oligarchie
qui se gave des prodigieux dividendes de
la merveilleuse mondialisation libérale.
Le plus décrié des trois, George W.
Bush, n'a pas eu besoin, pourtant,
d'inféoder la politique de son pays aux
majors pétrolières et aux magnats de
l'armement : elle était déjà sous leur
coupe depuis longtemps ! Prototype du
guerrier pacifiste, redoutable expert en
communication, son prédécesseur Bill
Clinton a largement contribué à cette
inféodation, et il a légué un héritage
politique dont on a parfois tendance à
oublier l'importance.
Cet
héritage, il faut le rappeler, est
inséparable des circonstances
exceptionnelles qui l'ont vu naître.
L'élection de Bill Clinton eut lieu au
lendemain d'un événement majeur,
l'effondrement de l'URSS. Cette
disparition de la superpuissance rivale
ouvrit la voie à l'instauration d'un
monde unipolaire. Poussant les feux de
la globalisation économique, servant
docilement les intérêts du capital
financier, cet apôtre décontracté du
mondialisme conforta la domination sans
partage de Washington. Bill Clinton n'a
pas inventé l'impérialisme, mais il l'a
étendu à la planète. De quelle manière ?
En réalisant trois avancées hégémoniques
auxquelles Hillary compte bien
s'arc-bouter pour repousser encore plus
loin les limites du leadership US.
Lourde
de conséquences, la première avancée
hégémonique fut la transformation de
l'OTAN en machine de guerre agressive.
Bras séculier d'une alliance défensive
destinée à parer à la « menace
soviétique », cet appareil guerrier
survécut à son ennemi potentiel. Au lieu
de le dissoudre, les dirigeants US en
firent une machine à émasculer les
vieilles nations occidentales et
l'instrument d'une offensive permanente
contre Moscou. Provocation sans
précédent, cette alliance belliqueuse
élargie aux pays de l'Est européen a
atteint les frontières occidentales de
la Russie.
La
deuxième avancée hégémonique de l'ère
Clinton est de nature idéologique. Pour
justifier l'intervention militaire
contre un Etat souverain, on invoquerait
désormais le prétexte des droits de
l'homme. Cette doctrine fut expérimentée
dans les Balkans, où la propagande
humanitaire servit de paravent à
l'ingérence dans les affaires
intérieures de la Serbie, ce petit Etat
au nationalisme ombrageux et jaloux de
son intégrité territoriale. On inventa
alors au Kosovo un génocide qui n'eut
jamais lieu, on bombarda les
infrastructures serbes, puis on confia
le service après-vente de ce désastre à
Bernard Kouchner, dont le don pour le
maniement de la serpillière est de
notoriété mondiale.
Cette
opération militaire eut pour résultat de
créer un Etat voyou, livré clé en main à
une mafia particulièrement glauque dont
le ralliement à l'Occident lui permit
d'accroître les marges bénéficiaires de
ses trafics en tout genre. Pour la
première fois, un Etat-croupion fut
porté sur les fonts baptismaux par une
intervention militaire de l'OTAN en
l'absence de mandat de l'ONU et en
violation flagrante de la loi
internationale. On croyait naïvement que
l'intangibilité des frontières était un
principe de droit international. C'est
fini. La politique des droits de l'homme
lui a tordu le cou.
Troisième avancée hégémonique, enfin :
le génie inventif de la présidence
Clinton porta sur la façon de faire la
guerre. Avec les bombardements
frénétiques infligés à la Somalie, à
l'Irak et à la Serbie, le Pentagone
expérimenta sa « révolution dans les
affaires militaires ». Au lieu
d'expédier sur place des troupes
risquant de se faire hacher menu,
Washington frappa ses ennemis, du haut
du ciel, en déchaînant attaques
aériennes et missiles de croisière.
D'une parfaite asymétrie, ces frappes
chirurgicales cumulaient les avantages
de l'ubiquité, de la précision et de
l'absence de pertes dans le camp du
bien.
Embrigadement des alliés dans une OTAN
sans frontières, droit-de-l'hommisme en
casque lourd et déchaînement du feu
céleste contre les récalcitrants : ces
trois sauts qualitatifs ont fourni un
modèle inoxydable de politique
étrangère. Même les détracteurs
républicains de Bill Clinton ont retenu
la leçon. Ses successeurs George W. Bush
et Barack Obama n'y ont pas dérogé. Le
premier a profité du 11 septembre pour
lâcher les faucons du Pentagone sur le
Moyen-Orient, mais cet interventionnisme
a fait l'effet d'un éléphant dans un
magasin de porcelaine. Devant ce fiasco,
le peuple américain élut en 2008 un
démocrate plutôt avenant qui avait pour
carte de visite son opposition à cette
aventure guerrière. Hélas l'illusion fut
de courte durée, et la politique
néo-conservatrice continua de plus
belle.
Afin
de limiter l'envoi de troupes sur le
champ de bataille, Barack Obama a
préféré le « leading from behind » à
l'intervention directe. Mais il a aussi
intensifié la guerre des drones et
maintenu le bagne de Guantanamo. Jouant
avec le feu, il a pactisé avec Al-Qaida,
fait détruire la Libye par ses larbins
européens et vainement tenté d'anéantir
la Syrie, où il est tombé sur un os
nommé Poutine. C'est pourquoi il a
installé en Europe un bouclier
anti-missile qui menace Moscou, favorisé
un coup d'Etat à Kiev et imposé à la
Russie des sanctions que rien ne
justifie.
La
campagne au lance-flammes d'Hillary
Clinton montre que la fraction
belliciste de l'oligarchie est décidée à
poursuivre cette politique agressive. Le
secrétaire à la Défense, Ashton Carter,
a récemment déclaré que les Etats-Unis
se réservaient le droit d'utiliser
l'arme nucléaire en première frappe.
Sans état d'âme, les Docteur Folamour du
néoconservatisme évoquent une future
guerre avec la Russie ou la Chine. Une
chose est sûre. Cette stratégie de la
tension l'emportera si la candidate
démocrate gagne l'élection du 8
novembre. Et le « moment Hillary »
mettra la planète au bord du gouffre.
Bruno
Guigue (29 septembre 2016)
Le sommaire de Bruno Guigue
Dossier
Monde
Les dernières mises à jour
|