Analyse
L’affaire Skripal, nouvelle usine à gaz
de la propagande occidentale
Bruno Guigue
Mercredi 28 mars 2018 Il faut avouer que
la passion de la propagande occidentale
pour les gaz toxiques a quelque chose de
fascinant. Des attaques chimiques
imaginaires du gouvernement syrien au
double empoisonnement de Salisbury, la
thématique accusatoire brille par sa
répétition, et la mauvaise foi otanienne
s’illustre par sa constance. Dans
“l’affaire Skripal”, on veut donc nous
faire croire que Moscou a tenté
d’assassiner un ex-espion russe et sa
fille sur le sol britannique. Des
preuves ? Pas le moindre commencement.
Rien ne prouve que le gaz “Novitchok”
ait été utilisé pour commettre cette
tentative d’homicide. La meilleure façon
de le savoir serait de transmettre un
échantillon à l’Office international des
armes chimiques (OIAC), mais Londres
s’est bien gardé de le faire.
De même, les Russes
ont immédiatement dit qu’ils étaient
prêts à participer à une enquête
internationale, mais les Britanniques
n’en veulent pas. Pourquoi ? Inutile de
se le demander. Faute de preuves
matérielles, le dossier de l’accusation
a l’épaisseur d’un papier à cigarettes.
Une semaine à peine après les faits, au
terme d’une pseudo-enquête, le
gouvernement britannique a déclaré que
la Russie était coupable. Une telle
précipitation ferait rougir de honte
n’importe quel service d’investigation
judiciaire normalement constitué. Et
elle est d’autant plus suspecte que la
charge anti-russe a été orchestrée en
Occident avec un acharnement qui fleure
la préméditation. Il fallait traîner la
Russie dans la boue. On l’a fait, avec
une grossièreté sans précédent.
Ancien colonel des
services de renseignement militaires
russes, Serguei Skripal a été trouvé
inconscient sur un banc, ainsi que sa
fille, aux abords d’un centre commercial
de Salisbury. Curieux procédé pour des
services secrets ! L’amateurisme du
“modus operandi” devrait au moins faire
douter de leur implication. Et puis, qui
est Skripal, au juste ? Recruté comme
agent double par les services
britanniques en 1995, il est condamné à
13 ans de prison pour trahison en 2004
par la Russie. Au terme d’un échange
d’agents de renseignement
russo-américain, il obtient l’asile au
Royaume-Uni en 2010. Pour quelle raison
Moscou aurait supprimé ce paisible
retraité ? Exilé depuis huit ans, rien
ne dit qu’il ait conservé des secrets
compromettants, ni qu’il ait représenté
le moindre danger pour la Russie.
Ajoutée à
l’inexistence de preuves matérielles,
cette absence désespérante de mobile
ridiculise l’accusation occidentale.
Mais rien n’y fait. Pour les
Occidentaux, hurler à l’assassin vaut
démonstration de culpabilité. Le
problème, c’est que cette arrogance
dissimule difficilement l’essentiel :
Theresa May et ses collègues mentent
comme des arracheurs de dents. Qui peut
croire que le pouvoir russe a fait
exécuter un de ses ex-agents sur le sol
d’un pays-clé de l’OTAN, alors que règne
un climat de tension sans précédent avec
cette organisation ? Qui peut croire que
cette décision, déjà invraisemblable
quant à ses motifs et grossière quant à
son “modus operandi”, a été prise quinze
jours avant l’élection présidentielle
russe ? Qui peut penser, enfin, que
Moscou s’est tiré une balle dans le pied
sur la scène internationale à la veille
d’un succès majeur - et prévisible - de
politique intérieure ?
Véritable château
de cartes, cette accusation ne tient pas
une seconde. Pour en comprendre les
motifs, il faut appliquer la preuve par
les effets. On quitte alors le domaine
des procès fumeux pour rejoindre le
terrain des réalités. Malgré
l’encerclement militaire dont elle fait
l’objet, la Russie a conservé son
sang-froid, et certains pays européens
sont prêts à reprendre le dialogue avec
Moscou. La provocation de Salisbury vise
précisément à doucher ces velléités, à
couper la Russie de l’Europe en accusant
Moscou de tous les maux. La Russie mène
le bal au Moyen-Orient au grand dam
d’Israël et des USA. Elle n’a rien cédé
sur la Crimée, définitivement retournée
dans le giron de la Mère-Patrie. Les
néocons qui ont investi le pouvoir à
Washington entendent lui faire payer ce
double affront. En diabolisant Moscou
par Londres interposé, ils soudent leurs
vassaux face à l’ennemi moscovite,
clairement désigné dans la “Nouvelle
stratégie de sécurité des Etats-Unis” de
Donald Trump.
C’est pourquoi le
réquisitoire britannique a été repris en
chœur par des dirigeants occidentaux
empressés de s’acquitter d’une
solidarité pavlovienne avec le camp du
Bien. Hormis l’Autriche et une poignée
de petits Etats-membres, l’Union
européenne s’est mise au garde-à-vous,
le petit doigt sur la couture du
pantalon. Cette Europe vassalisée par
les USA, mais qui se prétend ”menacée”
par la Russie, a surtout montré, une
fois de plus, qu’elle est un nain
politique. Obéissant à l’injonction
anti-russe, elle s’est rangée comme un
seul homme derrière le leadership
anglo-saxon. A croire que rien de
positif ne sortira jamais de ce grand
corps mou, où une France jadis écoutée a
commis la faute, sous la direction des
“Young Leaders” qui la dirigent au
profit d’intérêts qui ne sont pas les
siens, de se fondre dans la masse.
Pour les
Occidentaux, l’heure est donc à
l’affrontement symbolique - pour
l’instant - avec une Russie dont
Vladimir Poutine a restauré la fierté.
L’affaire Skripal est la nouvelle usine
à gaz occidentale. Comme les couveuses
de Koweit-City, la fiole chimique de
Colin Powell ou les pseudo-gazages de
l’armée syrienne, le coup monté de
Salisbury est aussi un coup de clairon.
Ses auteurs entendent perpétuer la
confrontation politique et la surenchère
militaire avec Moscou. Ils veulent
justifier le durcissement de sanctions
économiques destinées à entraver le
redémarrage de la Russie et la montée
d’un monde multipolaire. En faisant
tourner les rotatives de la propagande,
ils comptent diviser le monde en deux
blocs, comme si le monde était encore
celui de la guerre froide et n’avait pas
entamé - de manière inexorable - son
déport vers l’Est. Ce n’est pas un
hasard si ce coup fourré intervient au
moment où Trump défie Moscou dans l’Est
syrien, déclenche une guerre commerciale
avec la Chine et nomme ce fou furieux de
John R. Bolton comme conseiller à la
sécurité nationale.
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