Opinion
Quand des intellectuels pro-palestiniens
encensent la politique française
Bruno Guigue
Mardi 26 avril 2016
Annoncé par Laurent Fabius avant son
départ du Quai d’Orsay, un sommet
international pour la paix au
Proche-Orient aura lieu à Paris le 30
mai en présence des Etats-Unis, de la
Russie, de l’UE et de la Ligue arabe.
Israéliens et Palestiniens n'y seront
pas conviés, les paramètres de cette
énième conférence internationale sont
encore inconnus, mais la doxa nous
adresse déjà l'injonction d'y voir une
formidable lueur d'espoir.
Cette cérémonie,
pourtant, étalera comme les précédentes
sa bavarde insignifiance en grand
format. On y verra s'exercer cette
puissante magie du verbe destinée à
exalter une solution miraculeuse qu’on
s’emploie par ailleurs à rendre
impossible sur le terrain. On y
observera, une fois de plus, cette
fascination pour la diplomatie à grand
spectacle dont le principal usage est de
revêtir d’un substantiel écran de fumée
les ressorts mêmes du conflit.
Il y a peu de
chance, en effet, que cette initiative
tardive d’une présidence française aux
abois puisse réussir là où toutes les
tentatives du même genre ont fait long
feu. Comme si les grandes liturgies
internationales n’avaient pas déjà
démontré leur inanité, on refuse de voir
que cette nouvelle scénographie aux
vertus lénifiantes est irrémédiablement
vouée à l’échec, et cela pour deux
raisons fondamentales.
La première, c’est
qu’une telle initiative entend faire le
bonheur des Palestiniens dans leur dos.
Les organisations de la résistance, et
notamment le Hamas, seront soigneusement
exclus du processus. Les représentants
légitimes de la résistance palestinienne
étant disqualifiés a priori, on
sollicitera l’aval grassement monnayé
d’une Autorité palestinienne qui sert de
supplétif à la puissance occupante
depuis les calamiteux accords d’Oslo.
Revêtue des apparences de la légalité,
cette caution en forme de pis-aller ne
trompera personne et laissera les
Palestiniens indifférents. Mais en
attendant, rien ne bougera.
La deuxième raison
de cet échec annoncé est plus grave, car
elle repose sur le déni volontaire de la
nature même de l'entreprise sioniste.
Comme si l'occupant allait relâcher son
emprise sur un territoire dont il
s'attribue unilatéralement la propriété,
la doxa nous demande avec insistance de
croire aux vertus de la négociation. On
joue alors la comédie d'une diplomatie
idéale où les parties en présence
seraient théoriquement à égalité sous la
houlette bienveillante des grandes
puissances. Or cette illusion s'est
effondrée depuis longtemps chez les
Palestiniens, qui s'y sont suffisamment
brûlé les doigts pour ne plus avoir
envie de recommencer. Quant à Israël, la
négociation avec ces autochtones
indésirables que sont les Arabes n'a
jamais été autre chose qu'une diversion
permettant cyniquement de gagner du
temps.
Ces données
fondamentales sont largement connues. Et
pourtant, de bonnes âmes sont déjà à la
manœuvre. L'initiative française reçoit
ainsi les louanges d’une brochette
d’intellectuels présumés favorables à la
cause palestinienne. Dans une tribune
publiée par « Libération » le 25 avril,
ils font la promotion de la nouvelle
politique élyséenne au Proche-Orient. «
L'initiative de la France, écrivent-ils,
est très importante. En proposant un
règlement conforme aux résolutions
pertinentes des Nations unies, aux
accords déjà signés, et tenant compte
des points de convergence agréés par les
deux parties, elle va dans la bonne
direction. C’est pourquoi nous lui
apportons notre soutien. »
L'absence de toute
évaluation du pseudo-processus de paix,
la confiance naïve dans un règlement
international dont l'irréalité est
patente, la référence suspecte à des
accords déjà signés, l'évocation
sibylline des points de convergence
entre les belligérants, tout, dans ce
texte, laisse perplexe ! En avalisant a
priori l'initiative française, en
faisant silence sur ses équivoques, le
gotha des intellectuels progressistes
prête alors son concours à une mascarade
diplomatique de facture française dont
les Palestiniens seront les seules
victimes.
Ce ralliement à une
pratique diplomatique dont la vocation
évidente est d'épater la galerie traduit
pour le moins un déficit d'analyse
politique. Mais il trahit aussi un
abandon en règle de principes jadis
jugés fondamentaux : droit à
l’autodétermination du peuple
palestinien, droit au retour des
réfugiés, droit à un Etat non
confessionnel pour la Palestine et tous
ses habitants. Loin de passer inaperçu,
cet abandon implicite souligne à sa
façon les capitulations successives par
lesquelles le soutien à la cause
palestinienne a fini par se diluer dans
une soupe social-démocrate peu
ragoûtante et parfaitement inoffensive
pour l’occupant.
Car on notera que
ces nouveaux thuriféraires de la
politique élyséenne, de "Libération" au
"Monde diplomatique", s'abstiennent
scrupuleusement de réclamer la
reconnaissance immédiate de la Palestine
par la France, de soutenir de manière
explicite la résistance palestinienne et
libanaise et d'appuyer la revendication
palestinienne d'une restitution de la
Palestine à ses détenteurs légitimes. Au
lieu de contribuer à la clarification
des enjeux du conflit, ils préfèrent
fournir une caution préélectorale à un
exécutif dont la politique
pro-israélienne, depuis 2012, constitue
à la fois un reniement de l'héritage
gaullien et une trahison éhontée du
peuple palestinien et de la nation
arabe.
Bruno Guigue
(26/04/2016).
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