Monde
Les USA, le clown et la furie
Bruno Guigue
Samedi 24 septembre 2016
La politique américaine a beau se
caricaturer elle-même, elle continue de
fonctionner à merveille, comme si de
rien n'était. La campagne électorale
égrène les poncifs, elle multiplie les
coups en dessous de la ceinture, la
bêtise et l'injure tiennent lieu
d'arguments, mais rien n'arrête cette
machine à décerveler le bon peuple.
Résignés, les citoyens ingurgitent cette
potion débilitante à haute dose, ils la
digèrent jour après jour. Et le 8
novembre, une majorité finira bien par
se rendre aux urnes, suffisante en tout
cas pour accréditer le mythe de la
démocratie au royaume des
multinationales.
Le
milliardaire échevelé contre la
coqueluche de Wall Street, le clown
xénophobe contre l'égérie des néo-cons,
le pourfendeur de Latinos contre
l'exécutrice hilare de chefs d'Etat :
l'alternative est désespérante. Il est
frappant, pourtant, que les médias
dominants diabolisent exclusivement
Donald Trump. En France, on peut lire un
panégyrique à la gloire d'Hillary
Clinton dans "L'Obs", mais on trouvera
difficilement l'équivalent en faveur de
son adversaire. Pour le système, la
messe est dite. Trump, c'est le vilain,
le macho, le raciste. Hillary, c'est la
femme à poigne, passionnée, un tantinet
belliqueuse certes, mais tellement
attentionnée à l'égard des minorités, et
puis "elle est démocrate quand même".
Pourquoi les médias du système
détestent-ils Trump ? Ce n'est pas parce
qu'il dit que les immigrés sont des
voleurs ou qu'il veut interdire aux
musulmans l'entrée sur le territoire des
USA. Cette démagogie de bas étage, les
médias n'y trouveraient rien à redire.
En France, par exemple, le vomi d'un
Zemmour ne l'empêche pas d'avoir table
ouverte sur toutes les chaînes. De même,
sa prose haineuse d'impuissant dégénéré
ne prive pas Houellebecq de prix
littéraire. La vraie raison de
l'hostilité du système médiatique à
l'égard de Trump, par conséquent, est
ailleurs. Et il suffit de regarder son
programme, au-delà des outrances, pour
voir que le milliardaire donne quelques
coups de pied dans la fourmilière.
Le
premier coup de pied, il l'envoie au
dogme néo-conservateur. Pour le candidat
républicain, la politique étrangère de
Barack Obama est un fiasco dont il faut
tirer les leçons. Or cette condamnation
emporte aussi bien les interventions
militaires directes (Irak, Afghanistan,
Libye) que les tentatives de
déstabilisation indirecte (Syrie). Aucun
candidat investi par l'un des deux
grands partis pour une élection
présidentielle n'a jamais été aussi
incisif sur le sujet. On pensera de lui
ce qu'on veut, mais Trump est contre
l'intervention militaire des USA à
l'étranger lorsque leurs intérêts vitaux
ne sont pas en jeu. Il le dit clairement
: la guerre par procuration en Syrie,
comme l'intervention en Libye, ont semé
un chaos dont Barack Obama et Hillary
Clinton sont responsables. Difficile de
lui donner tort.
Evidemment, il dénonce avec la même
vigueur le cynisme de la politique
consistant à utiliser les djihadistes au
Moyen-Orient. Se servir des terroristes
qui ont frappé les USA le 11 septembre
2001 (avec, il est vrai, la
participation active de la CIA) pour
affaiblir ses ennemis est une aberration
contre laquelle Trump ne cesse de
fulminer. Et il est consternant de voir
que cet argument de bon sens, en France,
n'effleure même pas la droite
(responsable du désastre libyen), ni le
PS (responsable du désastre syrien), ni
une extrême-gauche qui doit sans doute
lire Marx en tenant le livre à l'envers.
Le réactionnaire Trump (il l'est en
effet) refuse que son pays collabore
avec Al-Qaida. Le NPA, lui, demande des
armes contre Assad et manifeste devant
l'ambassade de Russie.
Le
second coup de pied dans la fourmilière,
nos médias serviles en parlent peu. On
comprend pourquoi ! De même qu'il récuse
le néo-conservatisme en casque lourd et
le cynisme au petit pied des
apprenti-sorciers du djihad, Trump
récuse le libre-échangisme. Il critique
l'Organisation mondiale du commerce
(OMC) et dénonce une globalisation qui
est responsable de la destruction des
classes moyennes nord-américaines. Cette
"calamité", dit-il, a provoqué la
fermeture de 60 000 usines et la
destruction de cinq millions d’emplois
industriels aux Etats-Unis en quinze
ans. Mais il y a pire. Horreur absolue,
Trump propose d’augmenter les taxes sur
les importations étrangères. Il est
contre la libéralisation effrénée du
commerce mondial et pour la protection
de la production nationale. Dans ce qui
reste d'une classe ouvrière ruinée par
la concurrence chinoise, cet éloge du
protectionnisme passe beaucoup mieux que
les odes d'Hillary Clinton aux droits
des LGBT.
Si
l'on ajoute que Trump envisage
ouvertement de renouer le dialogue avec
la Russie, on comprend que sa campagne
sème l'inquiétude au sommet d'un
"establishment" qui entendait tirer les
ficelles d'une élection courue d'avance.
Outrancier et xénophobe, Trump ne
dérangerait pas outre mesure les
intérêts dominants s'il n'était, en même
temps, le défenseur d'une couche
entrepreneuriale arrimée au sol
américain, un brin chauvine, et
"isolationniste" car elle ne tire pas
ses profits de la mondialisation. Il a
bâti sa fortune personnelle avec
l'immobilier, le catch et la télévision,
des activités tournées vers le marché
intérieur et typiquement nationales. Les
intérêts que représente le richissime
"self-made man" sont évidemment les
intérêts d'une fraction de l'oligarchie
capitaliste. Mais cette fraction
n'inclut pas des multinationales de
l'armement, de l'énergie et de
l'agro-alimentaire décidées à engranger
les dividendes vertigineux d'une
mondialisation sans limite.
Trump
"versus" Clinton, ce n'est pas le peuple
contre l'oligarchie, ni la "droite"
contre la "gauche". Ces notions n'ont en
l'espèce aucun intérêt analytique. Comme
Clinton, Trump veut que les USA soient
plus puissants que jamais. Il ne voit
aucun autre horizon à cette puissance
que le développement d'un capitalisme
sans complexe. Mais la fraction du
capital dont il est le représentant
exige que ce développement se fasse à
moindre coût et s'appuie sur une
réindustrialisation du pays. Trump est
contre le Traîté Trans-Pacifique (TTP),
Clinton veut son maintien. Trump
critique l'extension de l'OTAN, Clinton
veut la poursuivre. Pour gagner la
compétition économique mondiale, Clinton
veut accélérer la mondialisation à
l'abri d'un appareil militaire
démentiel. Trump veut assigner des
limites à la mondialisation et protéger
l'économie nationale des turbulences
planétaires. L'une veut prolonger à tout
prix le "chaos constructif", l'autre a
compris que cette stratégie était
périlleuse pour tout le monde.
C'est
Hillary Clinton, et non Donald Trump,
qui incarne la prétention narcissique à
dominer le monde et à s'approprier ses
ressources. Entourée de généraux, la «
reine du chaos » clame sa détermination
à restaurer le leadership de Washington
sur les affaires planétaires.
Brandissant les "droits de l'homme"
comme une Mère Fouettarde, elle a
annoncé l'arrêt de mort de Bachar Al-Assad
si elle était élue. Fière de son
opération de "regime change" en Libye,
elle en a couiné de plaisir : "We came,
we saw, he died !". Elle entend semer
les graines de la démocratie et du
marché auprès des populations arriérées
qui n'ont pas encore le bonheur de
connaître "l'american dream". Mais cette
furie n'hésitera pas à recourir aux
vertus roboratives des missiles de
croisière pour traiter les
récalcitrants.
Le
complexe militaro-industriel, la finance
new-yorkaise et le lobby sioniste (pour
les deux derniers, c'est un peu la même
chose) sont de tout coeur avec Hillary
Clinton. Les USA étant une ploutocratie
à l'état pur, elle devrait l'emporter.
Son succès annoncé en fanfare par une
presse internationale servile est dans
l'ordre des choses. Les facéties de son
adversaire paraissaient taillées sur
mesure pour lui ouvrir un boulevard, la
fonction du clown de service étant de
faire ressortir la crédibilité de son
adversaire. Visiblement, ce n'était pas
suffisant. Volant au secours d'une
candidate fatiguée, Barack Obama a alors
accusé Donald Trump de complicité avec
Vladimir Poutine, curieusement assimilé
à Saddam Hussein. La ficelle est grosse,
mais aux USA toutes les ficelles sont
grosses. Tout sera bon, jusqu'au 8
novembre, pour favoriser la candidate du
système, sauf accident de parcours ..
Bruno
Guigue (24/09/2016)
Le sommaire de Bruno Guigue
Dossier
Monde
Les dernières mises à jour
|