Actualité
Donald Trump, un conservateur paradoxal
à la Maison-Blanche
Bruno Guigue
Mardi 20 décembre 2016
Le collège électoral issu du scrutin du
8 novembre vient de porter Donald Trump
à la Maison-Blanche par 306 voix contre
227. Une campagne avait été lancée pour
convaincre les grands électeurs de
l'abandonner, mais ce fut peine perdue :
il a perdu moins de voix qu'Hillary
Clinton (4 contre 5). Désormais acquise,
cette élection du 45ème président des
Etats-Unis restera dans les annales de
l'histoire américaine. Voilà un candidat
réputé conservateur, voire
réactionnaire, qui a fulminé avec une
rare violence contre les vautours de la
finance, qui a incriminé le poids
excessif des lobbies, qui a dénoncé les
méfaits du libre-échange, qui a fustigé
une politique étrangère
interventionniste et erratique, et c'est
ce candidat qui l'a emporté.
Par un
retournement de situation sur lequel la
gauche européenne devrait sérieusement
méditer, ce milliardaire sans complexe
qui a fait fortune dans la jungle
immobilière new-yorkaise s'est
transformé en porte-parole des
sans-voix, des déclassés, des ruraux, de
la « middle class » frappée par la
crise, du monde ouvrier laminé par la
mondialisation, de tous ceux que
révulsait la manie néo-conservatrice de
régenter les affaires du monde au lieu
de redresser l'économie du pays.
Le
magnat des gratte-ciels, le «
businessman » impitoyable en affaires,
le provocateur allergique à la «
political correctness » a envoyé dans
les cordes, contre toute attente, une
adversaire pleine de morgue qui se
croyait déjà installée sur le fauteuil
présidentiel. Donnée gagnante par une
presse qui lui était acquise, Hillary
Clinton a subi la défaite parce qu'elle
était la candidate de l'establishment
politique et financier que les classes
moyennes et populaires rendaient
responsables de leur appauvrissement
depuis la crise.
Elle a
perdu parce qu'elle a suscité la
méfiance des électeurs de gauche
frustrés par l'élimination frauduleuse
de Bernie Sanders lors de primaires
truquées. Les Etats de la « Rust Belt »,
le Michigan, l'Indiana, l'Iowa, mais
aussi la Pennsylvanie, ont voté pour
Trump ou se sont abstenus faute d'avoir
pu voter pour Sanders. Enfin, et ce
n'est pas anodin, le crédit personnel de
Mme Clinton fut miné par une avalanche
de révélations dessinant le portrait
d'une politicienne assoiffée de pouvoir,
hypocrite, cupide, et compromise jusqu'à
l'os avec des bailleurs de fonds
douteux.
Elle
bénéficiait du soutien quasi-unanime des
lobbies, des médias et des stars du «
show-bizz ». Elle a dépensé des sommes
astronomiques, largement supérieures au
budget de son adversaire. Les conditions
objectives étaient réunies pour lui
assurer la victoire, et pourtant elle a
perdu. Elle a cru qu'il suffisait de
caresser dans le sens du poil les
minorités et d'agiter le spectre du
racisme et du sexisme pour battre son
adversaire. Mais l'accusation de racisme
sonnait étrangement dans la bouche d'une
ex-secrétaire d'Etat qui a gloussé de
plaisir devant le cadavre mutilé d'un
chef d'Etat arabe. De même, son équipe
n'a pas compris que le problème de
l'immigration illégale n'existait pas
seulement dans l'imagination des
électeurs républicains. L'administration
Obama ayant expulsé des centaines de
milliers de clandestins, Hillary Clinton
et ses amis étaient pourtant bien placés
pour le savoir.
On
pourrait faire la même remarque à propos
de l'accusation de sexisme. En recevant
dix millions de dollars d'une monarchie
obscurantiste où l'on décapite au sabre
les femmes adultères, Hillary Clinton
n'était pas vraiment qualifiée pour
traiter son adversaire d'affreux
machiste. Elle donnait des leçons de
respectabilité internationale à Donald
Trump, mais son expérience du pouvoir,
au Département d'Etat, a surtout laissé
derrière elle une traînée de sang libyen
et syrien. Donald Trump a beaucoup de
défauts, mais il n'a encore tué
personne.
Les
adversaires du candidat républicain
n'ont pas voulu voir ce qui se passait.
Ils ont cru tirer profit des
déclarations outrancières et
démagogiques de Donald Trump sur les
immigrés mexicains ou les musulmans
étrangers. Mais c'est la charge contre
le libre-échange, en réalité, qui fut le
leitmotiv de sa campagne. Il a critiqué
sans relâche l'OMC et dénoncé une
globalisation responsable de la
destruction des emplois. Opposé à la
libéralisation effrénée du commerce
mondial, il s'est prononcé pour
l'instauration de barrières tarifaires.
Dans une classe ouvrière ruinée par la
concurrence chinoise, cet éloge du
protectionnisme passait beaucoup mieux
que les odes de Mme Clinton aux droits
des LGBT.
Ce
porte-parole d'un capitalisme arrimé au
sol américain promet de rénover des
infrastructures publiques délabrées
(routes, ports, aéroports). Il veut
conforter l'indépendance énergétique des
USA au détriment de l'environnement, ce
qui est un choix évidemment contestable.
Il s'allie à des ultra-conservateurs
adeptes du créationnisme dont le
principal représentant, Ben Carson, est
son futur secrétaire au Logement.
Conservateur paradoxal aux accents à la
fois rooseveltiens et reaganiens, il a
obtenu le soutien d'une fraction de
l'oligarchie capitaliste qui entend bien
tirer profit de ce « New Deal »
républicain.
Donald
Trump est de droite, mais Hillary
Clinton est-elle de gauche ? Il faudrait
le demander à Goldman Sachs qui a
financé sa campagne et aux 30 000
Libyens victimes de sa politique. Pour
gagner la compétition économique
mondiale, Clinton voulait pousser les
feux de la mondialisation libérale à
l'abri d'une hégémonie
politico-militaire incontestée. Trump
veut assigner des limites à la
mondialisation et protéger l'économie
nationale des turbulences planétaires.
Il entend promouvoir un capitalisme
national qui s'appuie sur la
réindustrialisation du pays, tandis que
son adversaire misait sur les traités de
libre-échange.
En
politique étrangère, Hillary Clinton
voulait prolonger à tout prix le « chaos
constructif ». Le nouveau président
pense que cette politique est contraire
aux intérêts des USA. Au lendemain de
son élection, Donald Trump a appelé
Vladimir Poutine. Il a déclaré qu'en
Syrie la politique de son administration
serait de combattre Daech, et non la
Russie. Pour le futur président, la
politique étrangère d'Obama est un
fiasco dont il faut tirer les leçons. Il
a déclaré que les USA n'interviendraient
plus pour changer le régime politique
chez les autres. En même temps, son
adhésion aux thèses israéliennes sur
Jérusalem en fait un défenseur
intransigeant de la politique sioniste.
Il envisage de mettre en question
l'accord, péniblement négocié par son
prédécesseur, sur le nucléaire iranien.
Il bombe le torse vis-à-vis de la
République populaire de Chine, en
surestimant sans doute la capacité des
USA à influer sur la politique chinoise.
Désormais connue, la composition de la
nouvelle administration, à son tour,
envoie un message en demi-teinte. Les
divergences entre les uns et les autres
donneront lieu à des arbitrages
délicats. Le conseiller à la sécurité
nationale est Michael Flynn, général à
la retraite. Cet ancien chef du
renseignement militaire fut limogé par
Barack Obama en 2014 pour avoir critiqué
la politique du président en Syrie,
qu'il jugeait trop favorable aux
djihadistes. Le secrétaire d'Etat est
Rex Tillerson, l'un des dirigeants du
groupe pétrolier ExxonMobil. Il s'opposa
aux sanctions contre Moscou, en 2014, à
la suite des événements de Crimée. Au
secrétariat à la Défense, Donald Trump a
nommé le général à la retraite James
Mattis, ancien commandant des forces US
au Moyen-Orient et partisan notoire de
la fermeté américaine à l'égard de
l'Iran.
Bref,
sans lire l'avenir dans le marc de café,
on peut penser que Washington prendra
ses distances avec le néoconservatisme
belliciste hérité des présidences
précédentes et qu'il va faire son deuil
de la mission à vocation planétaire que
sa bonne conscience indécrottable
l'avait conduit à s'attribuer de façon
unilatérale. Mais il est possible qu'il
s'engage, en revanche, dans une partie
de bras de fer avec les puissances
montantes dont la progression fulgurante
constitue une véritable menace pour son
hégémonie planétaire. Produisant de
moins en moins aux USA, la puissance
économique américaine se vide peu à peu
de sa substance. Elle a cru trouver dans
les exubérances d'une finance
mondialisée un substitut à la
désindustrialisation, mais elle a
déchanté. L'avenir dira si Donald Trump
est capable de relever ces défis
économiques et s'il infléchit une
politique étrangère qui a démontré,
jusqu'à présent, son exceptionnelle
capacité de nuisance.
Bruno
Guigue (20/12/2016)
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