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Et si les Russes étaient plus
intelligents ?
Bruno Guigue
Dimanche 18 décembre 2016
Barack Obama vient de déclarer que la
Russie est « un petit pays qui ne
produit rien, qui exporte du pétrole, du
gaz et des armes .. un pays qui n'innove
pas ». La Russie ne prétend pas à
l'hégémonie sur le plan économique, en
effet. Elle connaît parfaitement ses
limites. Mais elle ne vole pas le
pétrole et le gaz des autres pays en y
fomentant la guerre civile, comme les
Occidentaux l'ont fait en Libye. Elle ne
sème pas le chaos à l'étranger sous le
prétexte hypocrite des droits de
l'homme. Elle n'envahit ou ne
déstabilise aucun Etat souverain, elle
ne finance aucune organisation chargée
d'y semer le trouble. Elle intervient en
Syrie à la demande du gouvernement
légal, et elle affronte les terroristes
au lieu de leur livrer des armes tout en
prétendant les combattre.
Les
Russes ne sont pas les plus forts sur le
plan militaire. Ils ne détiennent pas le
dixième de la capacité de projection
extérieure des forces dont disposent les
USA. En pleine modernisation depuis une
décennie, leur appareil militaire sert à
protéger l'immense territoire de la
Fédération. Leur stratégie est
défensive, non offensive. Ils ont deux
bases militaires à l'étranger, tandis
que les USA en ont 725. Les Russes ne se
laissent pas marcher sur les pieds, mais
ils ont le sens de la mesure. C'est
l'OTAN qui a relancé la course aux
armements en déployant un bouclier
antimissiles, et non la Russie. On
l'accuse de menacer la paix, mais son
budget militaire (48 milliards) est
inférieur à celui du Royaume-Uni (53
milliards) et il représente 8% de celui
des USA (622 milliards).
Mais
si les Russes ont des moyens modestes,
ils savent les utiliser. Inutile
d'employer des forces colossales pour
parvenir à ses fins, il suffit de le
faire à bon escient. En un mois, sans un
coup de feu, la Crimée est revenue au
giron de la Mère-Patrie. Les Occidentaux
vont devoir s'y faire. C'est définitif.
Les Russes ont aussi gagné la partie sur
le théâtre syrien. En un an,
l'intervention russe a enrayé
l'offensive des mercenaires sponsorisés
par les puissances occidentales et les
pétromonarchies corrompues. Au terme
d'une féroce bataille de 30 jours, la
libération d'Alep, deuxième ville de
Syrie, ouvre la voie à la restauration
intégrale de la souveraineté syrienne.
Avec 5
000 hommes et 70 avions, Moscou a fait
basculer le rapport de forces. Il a
déjoué les plans du « changement de
régime » conçu par Washington et
déclenché en 2011 à la faveur des «
printemps arabes ». Avec la déroute des
bandes armées d'obédience wahhabite, les
apprenti-sorciers occidentaux viennent
de recevoir une dérouillée. Elle
explique sans doute l'amertume d'un
président américain en train de faire
ses valises pour laisser la place à un
successeur qui veut reprendre le
dialogue avec Moscou. Quelle claque ! A
croire qu'il ne suffit pas d'aligner les
porte-avions sur les océans pour peser
sur le cours des choses. Les Occidentaux
n'ont rien compris, ou rien voulu
comprendre à ce qui se passait en Syrie.
Ces prédateurs arrogants ont perdu la
partie.
Ce «
petit pays qui ne produit rien » aura
administré une leçon d'humilité à des
yankees qui se prennent pour des génies
de la géopolitique. Adossé à une Chine
qui est la puissance montante, il aura
donné ses chances à l'instauration d'un
monde multipolaire. Les Américains
croyaient mener le bal, et ils sont
condamnés à faire tapisserie. Il va
falloir l'admettre. Si les Russes dament
le pion aux Occidentaux, ce n'est pas
parce qu'ils sont plus forts. C'est
surtout parce qu'ils sont plus
intelligents. Ils comprennent le monde
qui les entoure avec davantage de
finesse. Ils captent mieux les
inflexions du réel. Ils ont cette acuité
du regard qui repère le point de
bascule, l'endroit et le moment où il
faut agir pour influer sur les
événements. La supériorité russe n'est
pas quantitative, elle est qualitative.
il en coûte cher de sous-estimer le pays
de Tolstoï et Dostoïevski. Une culture
millénaire lui a appris la patience. Une
histoire tragique lui a donné le sens
des réalités.
C'est
ce qui manque le plus aux Américains.
Barack Obama peut-il seulement
comprendre ce qui se passe ? Les USA, ce
sont les moyens de la civilisation pris
pour la civilisation. Leur expérience
historique montre qu'un PIB colossal ne
se monnaye pas toujours en perspicacité.
Aucune loi physique ne fait transfuser
la puissance matérielle, comme par
enchantement, en intelligence
stratégique. Les yankees se croient
supérieurs, et ce sentiment de
supériorité les aveugle. Ils s'imaginent
que l'attrait de leur modèle culturel
vaut approbation universelle. Ils
pensent que leur croyance en eux-mêmes
est partagée par les autres. Quelle
illusion ! Le « moment unipolaire »
inauguré par la chute de l'URSS n'est
pas la « fin de l'histoire », mais une
parenthèse aujourd'hui refermée. Un
petit pays qui ne produit rien s'est
chargé de cette fermeture à double tour.
Bruno
Guigue (18/12/2016)
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