France
Ni islam, ni folie, la terreur est
politique
Bruno Guigue
Photo:
D.R.
Lundi 18 juillet 2016
Des premiers
éléments de l'enquête, il ressort que
l'auteur de l'ignoble tuerie de Nice se
moquait de la religion comme d'une
guigne, ne faisait pas la prière, ne
respectait pas le jeûne du ramadan,
collectionnait les conquêtes masculines
et féminines, menait une vie dissolue,
affectionnait les sites internet
violents et avait une fâcheuse tendance
à régler ses différends au pistolet
automatique. Il est temps, me
semble-t-il, de tirer quelques
enseignements d'un tel portrait, qui est
désormais de l'ordre des faits, et
d'analyser les dommages collatéraux
qu'il ne peut manquer d'exercer quant à
leur interprétation.
A des
années-lumière de la pratique islamique
la plus courante, ce portrait de
l'auteur de la tuerie du 14 juillet en
jouisseur compulsif, irascible et sans
tabou, en effet, n'est pas sans intérêt.
Il couvre de ridicule, c'est le moins
qu'on puisse dire, la meute des
télé-experts prompts à dénicher la quête
du frisson apocalyptique chez n'importe
quelle petite frappe du djihad global.
Pour ceux qui ne veulent voir dans le
terrorisme que le stade suprême du
fanatisme religieux, le démenti est
catégorique et sans appel. Difficile,
désormais, de soutenir la thèse de la
responsabilité immémoriale de l'islam,
quand on sait que le meurtrier était
musulman comme les Borgia étaient
catholiques et que 10 des 84 victimes du
massacre de Nice, en revanche, étaient
bien de confession musulmane.
Cet examen
impitoyable des faits renvoie aussi dans
les cordes ces politiciens avides qui se
jettent sur l'islam comme sur une proie
facile au moindre événement susceptible
de jeter de l'huile sur le feu. Rêvant
sans doute de dépasser le FN sur sa
droite en se livrant à une manoeuvre
audacieuse, ils ne voient pas qu'ils se
couvrent de honte tout en creusant leur
tombe, politiquement s'entend. Lorsque
l'un d'eux réclame à cor et à cri
l'interdiction du voile islamique, en
France, pour lutter contre le
terrorisme, on ne sait d'ailleurs s'il
faut en rire ou en pleurer, tant le
propos est grotesque et la tentative de
manipulation si patente.
A l'évidence,
l'auteur de l'abominable crime de Nice
avait en lui une violence sourde.
Nourrie de ses échecs et de ses
frustrations, cette violence, le tueur
de la Promenade des Anglais l'a soudain
déchaînée en commettant un acte
horrible, un meurtre de masse. Mais
pourquoi ? Au fond, nul ne le sait
exactement. On pourra gloser sans fin
sur ses motivations, recourir aux
expertises les plus savantes, mobiliser
toutes les ressources de la psychologie
et de la sociologie, l'objet d'étude a
disparu avec l'acte qui l'a fait naître.
Le faisceau de ses justifications s'est
volatilisé avec lui, dissipant à jamais
toute explication exhaustive. Que nous
le voulions ou non, l'engrenage qui
conduisit au drame du 14 juillet risque
de demeurer nimbé de mystère.
Cela ne signifie
pas pour autant qu'il n'y ait rien à
comprendre. On a invoqué à juste titre
l'absence de motivation politique
explicite de la part du tueur. Mais tous
les terroristes ne laissent pas à
l'usage de la postérité un testament
politique destiné à justifier leurs
forfaits. L'absence de discours, en
l'occurrence, peut valoir tous les
discours. Et puis, il faut bien admettre
que cette lecture a-politique du geste
criminel du 14 juillet est sérieusement
battue en brèche par sa revendication a
posteriori. La justification de l'acte
par l'organisation terroriste transforme
l'acte lui-même à l'insu de son auteur,
elle en dissipe l'ambiguïté initiale.
Formulée par Daech, cette revendication,
dit-on, serait opportuniste. Mais qui
peut le prouver ? Et cette preuve
serait-elle fournie, que faudrait-il en
déduire ?
Ajouté au mode
opératoire utilisé (le camion-bélier),
l'endossement de l'attentat par
l'organisation terroriste, sans
l'exclure absolument, paraît invalider
l'hypothèse d'un acte isolé, dénué de
toute signification politique et commis
sous l'effet d'un accès de folie. Oui,
un attentat a bien été accompli par un
individu décidé à tuer aveuglément, et
ce crime a été revendiqué par une
organisation terroriste internationale
qui ne cesse d'inviter ses affidés à le
faire. Disposant de partisans disséminés
partout et nulle part, Daech, en
réalité, n'a nul besoin d'organiser les
attentats en amont, puisqu'il lui suffit
de s'en attribuer la paternité en aval,
la violence de ces adeptes passés à
l'acte s'inscrivant spontanément dans le
projet de subversion par la terreur qui
constitue le fonds de commerce
djihadiste depuis la création d'Al-Qaida
sous parrainage américano-saoudien.
C'est pourquoi
l'auteur du crime (individuel) et son
parrain (collectif) en partagent
clairement la responsabilité. Ils
coproduisent cette monstruosité, l'un
parce qu'il l'a commise, l'autre parce
qu'il la revendique. Le terrorisme
n'existe que parce qu'il y a des petites
frappes pour accomplir la sale besogne,
mais il n'y aurait pas de petites
frappes s'il n'y avait aucune
organisation pour diffuser des mots
d'ordre. On ne se lassera jamais de le
répéter : le terrorisme est une
entreprise politique, et s'il fournit à
des individus désaxés le moyen d'exhaler
leur mal-être, c'est parce que
l'organisation préexiste à cette
piétaille et l'utilise comme "soldats du
djihad".
En interprétant le
terrorisme sur le mode psychiatrique, au
contraire, on s’offre un alibi qui en
occulte la signification. Exempté de
toute rationalité, y compris meurtrière,
le djihadisme est réduit au statut de
curiosité anthropologique. On en fait
une sorte de trou noir de la pensée, une
aberration sans cause assignable, comme
si rien ne pouvait l’expliquer hormis le
dérangement mental de ses acteurs. On
veut condamner les terroristes pour ce
qu'ils font, mais on les dépossède, en
même temps, de toute responsabilité
politique. Comme celle qui n'y voit que
l'empreinte de l'islam, cette
interprétation du phénomène djihadiste,
en occultant sa motivation première, le
soustrait à toute analyse rationnelle.
Et elle jette un écran de fumée devant
les raisons de ce péril mortel que nos
dirigeants, par cynisme et lâcheté, ont
fait croître en prétendant le combattre.
Bruno Guigue
(18/07/2016)
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