Analyse
Hong Kong : l’ingérence occidentale
la main dans le sac !
Bruno Guigue
Jeudi 15 août 2019 La main dans le sac
! Lorsque la presse chinoise a publié la
photo de quatre dirigeants du mouvement
de protestation hongkongais en compagnie
du chef du département politique du
consulat des Etats-Unis, on a senti
comme un trou d’air dans la rhétorique
anti-Pékin. Difficile, tout-à-coup, de
nier l’intervention d’une puissance
étrangère – à 15 000 km de ses
frontières – dans une crise qui ne la
concerne pas. Tenter d’occulter ce qui
saute aux yeux est toujours un exercice
de haute voltige, et l’on sait la
propagande occidentale coutumière de ces
acrobaties ! Depuis le début des récents
événements de Hong Kong au mois de juin
2019, la narration de ces événements par
les officines du monde libre offre un
concentré de mauvaise foi et d’inversion
des signes qui passionnera certainement
les politologues du futur. Multipliant
les distorsions de langage, en effet,
elle fait passer une affaire intérieure
chinoise pour un conflit international,
une décolonisation pour une colonisation
et l’ingérence étrangère pour une
entreprise humanitaire.
Comme celle de
Taïwan – mais pour des raisons
différentes - , la question de Hong Kong
est le legs historique d’une époque
révolue. Héritée du colonialisme
bienfaiteur de sa Gracieuse Majesté, la
particularité de Hong Kong lui vaut
aujourd’hui un « régime d’administration
spéciale » que la République populaire
de Chine a bien voulu instaurer lors de
la signature de l’accord
sino-britannique de 1984. Quitte à
enfoncer des portes ouvertes, rappelons
toutefois que Hong Kong c’est la Chine,
au même titre que Pékin ou Shanghaï. Car
l’oubli volontaire de cette évidence est
la cause de confusions en tous genres et
de manipulations sans limite. La
conquête coloniale du « port parfumé »,
au XIXème siècle, s’est déroulée en
trois étapes. Les Britanniques ont
annexé l’île de Hong Kong en 1842 à la
suite d’une « guerre de l’opium » qui a
précipité la ruine de l’empire des Qing
et livré la Chine à la voracité des
prédateurs coloniaux. La presqu’île de
Kowloon a ensuite été arrachée en 1860
lors de l’intervention militaire
franco-britannique qui a dévasté le
palais d’été à Pékin. Enfin, les «
nouveaux territoires » ont été cédés à
Londres en 1898 pour une durée de 99 ans
dans la foulée des nouvelles
humiliations infligées à la Chine par
les envahisseurs étrangers à l’orée du
nouveau siècle.
C’est cet ensemble
territorial – aujourd’hui dénommé région
d’administration spéciale de Hong Kong -
qui a été solennellement restitué à la
République populaire de Chine en 1997
selon des modalités définies par
l’accord de 1984. Bien sûr, Margaret
Thatcher aurait souhaité le conserver,
mais Hong Kong n’est pas l’archipel des
Malouines, et la Chine n’est pas
l’Argentine. Compromis entre une
puissance coloniale déclinante qui
déclare forfait et une grande puissance
émergente qui privilégie la négociation,
l’accord sino-britannique de 1984
instaure à Hong Kong un régime de
semi-autonomie et prévoit l’application
du principe : « un pays, deux systèmes »
jusqu’en 2047. Pour Pékin, ce compromis
présente un double avantage. Le premier
est d’ordre politique. Adeptes du temps
long, les dirigeants chinois ont opté
pour une transition en douceur. La
dépendance croissante du territoire à
l’égard du continent favorisera son
assimilation progressive, sans préjuger
de son futur statut au-delà de 2047. Le
second avantage est d’ordre économique.
Dotée d’une rente de situation
géographique, adossée à la puissance de
la City, la place de Hong Kong s’est
transformée en plaque tournante de la
finance asiatique. En y maintenant un
régime spécifique, Pékin pourra
l’utiliser afin d’attirer en Chine les
capitaux de la diaspora chinoise et ceux
des investisseurs étrangers.
Sas d’entrée pour
les flux de capitaux captés par les
réformes économiques, ce minuscule
territoire de 1 106 km² et 7,5 millions
d’habitants continue donc à jouir depuis
1997 d’un statut particulier dont il
n’existe aucun équivalent (hormis Macao)
en Chine populaire. Le territoire a sa
propre législation, sa propre monnaie,
ses propres équipes sportives. Mêlant
élection et cooptation des dirigeants,
son système administratif est plus «
démocratique » que celui qu’ont légué
les Britanniques. Les manifestants
réclament la démocratie en brandissant
des drapeaux britanniques, mais les
premières élections au suffrage
universel ont eu lieu en 1991,
c’est-à-dire après les accords de 1984,
afin de conformer le système
administratif aux objectifs fixés pour
le transfert de souveraineté prévu en
1997. Si la crise actuelle devait
dégénérer, les principaux perdants
seraient donc les habitants de Hong Kong
eux-mêmes. Assise sur la finance
internationale, la prospérité du
territoire serait vite ruinée et la
place de Hong Kong détrônée par les
mégapoles méridionales, Canton et
Shenzen, beaucoup plus peuplées et plus
puissantes que la cité portuaire.
Avec un PIB par
habitant dix fois supérieur à celui de
la Chine continentale, les
contestataires hongkongais feraient
mieux de méditer sur les conséquences
d’un embrasement de leur îlot de
prospérité. Au lieu de brandir des
drapeaux américains et britanniques, ils
devraient aussi réfléchir à ce que
signifie la démocratie importée
d’Occident, sans parler du destin de
ceux que Washington a abandonnés du jour
au lendemain après les avoir poussés à
l’affrontement. Le statut particulier de
Hong Kong, comme son insolente richesse,
n’ont rien d’éternel. Son régime spécial
est transitoire, même si l’échéance de
son éventuelle disparition est lointaine
(2047). Aucune règle de droit
international ne contraignait la Chine à
l’adopter, et elle l’a fait parce
qu’elle le jugeait conforme à ses
intérêts nationaux. Arraché il y a 187
ans par le colonisateur étranger, Hong
Kong revenait de droit à l’État chinois.
La restitution a eu lieu de façon
négociée, et c’est tant mieux. Mais
après cette restitution, la suite des
opérations ne concerne en rien le reste
du monde. C’est pourquoi la seule
réponse rationnelle aux admonestations
occidentales est celle qu’on peut lire
dans le Quotidien du Peuple depuis le
début de la crise : « Mêlez-vous de vos
affaires ! ».
Mais chassez le
naturel, il revient au galop ! La
plupart des dirigeants occidentaux et de
leurs porte-voix médiatiques – c’est
plus fort qu’eux - prennent leurs désirs
pour des réalités. Ils voient dans le
statut particulier de Hong Kong une
sorte de régime international – qui
n’existe nulle part - , alors qu’il
s’agit d’un aménagement interne qui
relève exclusivement de la souveraineté
chinoise. Ce tour de passe-passe donne
une apparence de légitimité à
l’ingérence étrangère. De façon
mensongère, il transforme une question
intérieure en conflit international,
semblant justifier auprès d’une opinion
manipulée le ton péremptoire des
dirigeants occidentaux. On entend alors
ces derniers, dont on sait d’expérience
le profond respect pour le droit
international, donner des leçons à Pékin
comme si Hong Kong était un territoire
occupé par la Chine ! Ils reprennent
même la rhétorique puérile des
agitateurs hongkongais pour qui Pékin
pratiquerait « l’ingérence dans les
affaires intérieures du territoire » en
oubliant que ce territoire fait partie
de la République populaire de Chine.
Heureusement pour eux, le ridicule ne
tue pas. Dépassés par la Chine sur le
plan économique et incapables de la
vaincre militairement – pour des raisons
évidentes – les Etats-Unis font feu de
tous bois pour déstabiliser leur rival
systémique. Le droit-de-l’hommisme à la
petite semaine est la seule arme qui
leur reste. Ils l’utilisent à Hong Kong
comme à Caracas ou à Téhéran, et
personne n’est dupe.
A quand, alors, une
protestation chinoise sur la façon dont
le gouvernement des Etats-Unis gère les
crises à répétition qui sévissent sur
leur territoire ou sur l’oppression
séculaire subie par les Afro-Américains
? Ceux qui dénoncent la répression
insoutenable qui régnerait à Hong Kong
sont-ils les mêmes que ceux qui
organisent des embargos meurtriers
contre l’Iran, la Syrie, Cuba ou encore
le Vénézuéla dont un économiste libéral,
Jeffrey Sachs, a calculé que les
sanctions prises contre ce pays depuis
2017 avaient provoqué la mort de 40 000
personnes dont des milliers d’enfants
privés de médicaments ? Les chœurs de
pleureuses parisiennes qui réclament
notre solidarité avec les manifestants
hongkongais soumis à une « violence
inouïe » sont-ils les mêmes que ceux qui
approuvèrent la délicatesse avec
laquelle le gouvernement français a
traité le mouvement social des Gilets
Jaunes, avec ses 10 000 arrestations,
1800 condamnations et 200 blessés graves
dont 25 mutilés ? Ou les mêmes, encore,
que ceux qui ne trouvent rien à redire à
la participation française à une guerre
d’extermination au Yémen, avec ses 50
000 morts, son million de victimes du
choléra et ses 8 millions de civils
menacés par la famine ? Mais il est vrai
que balayer devant sa porte n’est pas
l’attitude la plus répandue à Washington
ou à Paris. Et dans ces capitales du
monde civilisé, on est toujours prompt à
s’immiscer dans les affaires des autres
en invoquant des principes humanitaires
sur lesquels on s’assied tous les jours.
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