Monde
Les ombres du 11 septembre
Bruno Guigue
© Bruno
Guigue
Dimanche 11 septembre 2016
Dès le lendemain des attentats, une
chape de plomb s'est abattue. En guise
d'explication, il fallut se contenter
d'une sorte de western planétaire. A
quoi bon tenter d’expliquer l’événement
puisque l’essentiel était de punir les
coupables ? Exit l’inquiétante
complexité d’un monde que l’on répugne à
comprendre, place à l’affrontement
binaire du Bien et du Mal. L’événement
fut vidé de sens, projeté dans
l’imminence d’une croisade dont le
président américain, ce justicier
mondial, prenait la tête au nom d'une
Amérique meurtrie.
Bonne
conscience
Privée
de toute autre option intellectuelle,
l’opinion américaine se trouva confortée
dans son habituelle bonne conscience :
mais pourquoi donc nous veut-on tant de
mal, nous qui apportons la prospérité au
monde ? Le plus étonnant, au lendemain
de l’attentat, fut l’étonnement
américain. Cette nation qui impose son
hégémonie au reste du monde découvrit
alors, stupéfaite, qu'on pouvait la
détester. On se demande ce qui a
davantage blessé l’opinion
d’outre-Atlantique : le nombre des
victimes ou l’insoutenable réalité de ce
qui aurait dû rester du domaine de la
fiction ?
Tout,
dans la tragédie du 11 septembre, était
pourtant de nature à susciter
l’autocritique de l’hyperpuissance
américaine. Les attentats ont stupéfié
le monde par leur caractère
spectaculaire et leur terrifiante
efficacité. Dotée de moyens dérisoires,
une poignée de tueurs a infligé à
l’Amérique une humiliation sans
précédent. Dans un univers bardé
d’électronique de pointe, quelques
terroristes ont fait la démonstration
que l’ampleur des dégâts ne dépendait
pas de la maîtrise des technologies
dernier cri : un manuel de pilotage, un
solide entraînement et des cutters ont
fait l’affaire. Ils ont suffi, en tout
cas, à provoquer au sein de la première
puissance du monde un véritable
cataclysme, ridiculisant les systèmes de
protection sophistiqués dont elle
s'entourait à coup de milliards de
dollars.
Un
hyper-terrorisme suicidaire
L’objectif de cet hyper-terrorisme
suicidaire était d’infliger des pertes
humaines considérables en frappant des
cibles civiles et militaires. Mais rien
ne fut laissé au hasard. En frappant les
USA de façon aussi brutale, les
terroristes ont voulu délivrer un
message sans équivoque. Symboles de la
puissance politique, économique et
militaire des Etats-Unis, la Maison
Blanche, le World Trade Center et le
Pentagone ont été choisis avec le même
discernement que celui qui présidait aux
frappes chirurgicales administrées par
l’aviation US au Moyen-Orient.
Dans
la brutalité des frappes aériennes, les
Américains apprécient la rigueur qui
s’attache au châtiment, ils goûtent la
distance qui rend les opérations
invisibles, le côté abstrait d’une lutte
où l’éloignement permet d’accréditer
l’image d’une guerre aseptisée. Puritain
lui aussi, et rejeton d’un capitalisme
alimenté par les pétrodollars,
l’ex-agent de la CIA Oussama Ben Laden a
retourné contre l’Amérique la même
violence manichéenne. Comme un
boomerang, elle s'est précipitée au
visage des apprentis-sorciers qui l’ont
fait naître.
En
inventant l’hyper-terrorisme suicidaire
par voie aérienne, Ben Laden a créé le
dernier avatar de la barbarie moderne.
Mais en retournant le feu céleste contre
le « Grand Satan », il a cherché à
humilier les Etats-Unis en faisant payer
au prix fort, par des milliers
d’innocents, la facture de son audace
meurtrière. Et en frappant d’abord des
civils, il a inversé, au détriment des
Américains, leur doctrine hypocrite des
frappes chirurgicales et des dégâts
collatéraux.
Djihadisme made in USA
Les
USA portent une écrasante responsabilité
dans la montée en puissance du
djihadisme. Ce dernier fut l’antidote à
l’influence communiste, patiemment
distillé par la CIA au temps de la
guerre froide. Puis il survécut à la fin
de l’affrontement Est-Ouest, au gré
d’une stratégie opaque. Cette connivence
entre l’Amérique puritaine et
l'idéologie fondamentaliste sunnite ne
date pas d’hier, et elle est directement
liée à un enjeu qui n’a rien de
métaphysique : la maîtrise des
ressources pétrolières.
La
découverte des principaux gisements de
la péninsule arabique permit de sceller
une alliance durable entre les
Etats-Unis et la monarchie saoudienne.
Les compagnies pétrolières
d’outre-Atlantique en furent les
principales bénéficiaires. Entre les
Américains et les Saoudiens, une
convergence d’intérêts économiques
explique la permanence de leur alliance
à travers les vicissitudes du siècle.
Mais la doctrine rétrograde de la
monarchie wahhabite présentait aussi un
gage de conservatisme face à la double
menace qui se profilait à partir des
années 1950 : le communisme et le
nationalisme arabe.
Rempart contre l’influence soviétique,
antidote au nationalisme arabe, opportun
concurrent de la subversion chiite : les
stratèges de la CIA ont prêté à
l’islamisme sunnite toutes les vertus.
En échange du pétrole, les Américains
laissèrent le champ libre à la monarchie
wahhabite, qui finança dans l’ensemble
du monde musulman un immense réseau
d’officines obscurantistes. Une Arabie
saoudite ultra-conservatrice sur le plan
intérieur et docile sur le plan
extérieur constitua, au côté de
l’alliance avec Israël, le pivot de la
politique américaine au Moyen-Orient.
Le
bouillon de culture afghan
En
soutenant la lutte armée des factions
islamistes en Afghanistan, les
Américains et leurs alliés wahhabites
ont mis le doigt dans l'engrenage. Avant
même l’intervention russe, ils livrèrent
des armes aux adversaires du pouvoir
prosoviétique. Pendant dix ans,
Washington versa une moyenne annuelle de
600 millions de dollars aux adeptes du
djihad contre le Satan soviétique. Les
USA, au lendemain de l’effondrement
russe, persistèrent dans leur appui
politique et financier à la nébuleuse
djihadiste. Cédant au vertige du succès,
Washington s’extasia sur les
performances de la guérilla islamiste
qui, en Afghanistan, fit vaciller
l’Union Soviétique.
La
créature, toutefois, ne tarda pas à se
retourner contre son créateur. Au nom de
la lutte contre l’Union Soviétique, les
responsables américains ont favorisé les
extrémistes. Zbigniew Brzezinski et ses
émules croyaient qu’ils pourraient se
débarrasser des djihadistes après usage.
Ils restèrent passifs devant une
radicalisation abolissant toute
différence entre l’Est et l’Ouest et
laissèrent fermenter le bouillon de
culture du djihad afghan. Washington
avait enfanté Al-Qaida. Cette querelle
de famille fut soldée le 11 septembre.
Les
ombres du 11 septembre
Mais
cette politique n'était pas une erreur.
Elle fut délibérée. Selon Peter Dale
Scott, une partie de l'appareil
sécuritaire des Etats-Unis protégeait
deux des auteurs des attentats du 11
septembre, et il est probable qu'elle
ait sciemment laissé agir les
terroristes. « Permettez-moi de suggérer
qu'il existe au moins trois étapes
distinctes dans les attentats du 11
septembre : les détournements d'avions,
les frappes contre les bâtiments et
l'effondrement surprenant des trois
immeubles du World Trade Center. Il est
possible que le groupe de liaison de
l'équipe « Alec Station » (CIA) ait
envisagé uniquement la première étape
sans envisager les deux suivantes » («
L'Etat profond américain », Editions
Demi Lune, 2015).
Ainsi
il est probable que ces attentats aient
bénéficié de la complicité d'un certain
nombre d'agents des innombrables
services de sécurité qui fourmillent
dans le pays, se livrant à d'incessantes
querelles et à de téméraires
combinaisons au détriment de la sécurité
des citoyens. Sur la base de ces faits
extrêmement troublants, on ne saurait
évacuer la possibilité, dès lors, que
les dirigeants du pays eux-mêmes aient
couvert ces agissements occultes et
accueilli l'événement du 11 septembre
comme une formidable opportunité.
Offensive néo-conservatrice
L'émotion populaire, en effet, ne
pouvait que créer les conditions
propices à un basculement du pouvoir
vers les zones secrètes de l'Etat
profond. Elle ne pouvait que justifier
une politique agressive à l'échelle
planétaire qui était programmée depuis
plusieurs années par ses principaux
représentants. On peut toujours hausser
les épaules, mais il y a un inconvénient
: c'est exactement ce qui s'est passé.
Les
attentats ont donné le coup d'envoi
d'une offensive militaire
néo-conservatrice sans précédent. Et cet
interventionnisme a eu pour effet de
relancer à son tour de façon
exponentielle le terrorisme planétaire
qu'il prétendait éradiquer. Le 11
septembre 2001 restera dans les annales
comme un événement-prétexte qui
inaugura, de fait, la mise en œuvre
d'une stratégie du « chaos constructif »
à grande échelle dans laquelle le
cynisme des dirigeants US atteignit des
sommets.
A côté
des terroristes qui servirent de petites
frappes, les principaux responsables de
ce crime de masse ne sont autres, en
réalité, que ces marchands d'armes, ces
financiers véreux et ces politiciens
sans scrupule qui auront exploité
jusqu'au bout, depuis quinze ans, le
précieux filon de la guerre contre la
terreur. Et cette exploitation est
d'autant plus scandaleuse que cette
prétendue guerre contre la terreur ne
fut jamais autre chose que son
contraire.
Bruno
Guigue (11 septembre 2016)
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