Monde
Qu’il est beau, le “monde libre” !
Bruno Guigue
Vendredi 11 août 2017
Prodigue en bonnes paroles, l’Occident
se veut l’incarnation des valeurs
universelles. Ce parangon de la
démocratie, ce champion des “droits de
l’homme” convoque toujours ses vertus
supposées à l’appui de ses prétentions
hégémoniques. Comme si une bonne fée
s’employait, magnanime, à faire
coïncider sa morale et ses intérêts, il
revêt ses ambitions matérielles des
oripeaux de la justice et du droit.
C’est ainsi que le “monde libre”
pratique le bombardement de pays
étrangers à des fins “démocratiques”,
mais de préférence dans les contrées
riches en hydrocarbures ou en ressources
minières. Conjuguant la foi du
charbonnier et la rapacité du
capitaliste, il agit comme s’il pouvait
convertir sa puissance économique en
privilège moral.
Le reste du monde
n'est pas dupe, mais finalement peu
importe. “Le monde libre” a toujours
raison car il est du côté du Bien, et il
ne risque pas la contradiction aussi
longtemps qu'il est le plus fort - c’est
du moins ce qu’il croit dur comme fer.
La barbarie congénitale qu’il attribue
aux autres est l’envers de son monopole
autoproclamé de la civilisation. Auréolé
du sacro-saint “droit d’ingérence”, ce
mariage réussi du sac de sable façon
GI’s et du sac de riz façon Kouchner,
l’Occident vassalisé par Washington
s'imagine sans doute qu’il sauve le
monde en le soumettant matin, midi et
soir, à l'impitoyable razzia exigée par
les vautours de la finance et les
multinationales de l’armement.
Cette entreprise de
domination, on le sait, ne date pas
d’hier. Elle s’inscrit dans la longue
durée historique chère à Fernand
Braudel, celle de la constitution d’une
“économie-monde”. Porté par sa longueur
d’avance technologique, le monde
occidental s’est lancé depuis la
“Renaissance” à la conquête de l’orbe
terrestre. Patiemment, il s’est
approprié le monde des autres, il l'a
façonné à son image, le contraignant à
lui obéir ou à l’imiter, éliminant au
passage tous ceux qu’il jugeait
inassimilables. Sans que ce tour de
passe-passe ne vienne troubler ses
certitudes, l’Occident s’est pensé comme
une métaphore du monde. Il n’en était
qu’une partie, mais il voulait en
devenir le tout, de la même façon que
des pays représentant 10% de la
population mondiale, aujourd'hui, se
prennent pour la “communauté
internationale”.
La conquête
coloniale illustra au cours des trois
derniers siècles cette propension de
l’Occident à étendre son emprise au-delà
de ses frontières en prétendant y
apporter les bienfaits de la
“civilisation”. Ce projet de domination
planétaire fut mis en échec par la
révolte généralisée des peuples
colonisés au 20ème siècle, mais il
connut une seconde chance avec son
excroissance nord-américaine.
L’“Amérique”, cet extrême-Occident
découvert par un Christophe Colomb à la
recherche de l’extrême-Orient, a hérité
du Vieux Continent son ambition
conquérante et sa rapacité commerciale.
Convertissant leur absence de passé en
promesse d’avenir, ces “Etats-Unis”
surgis du néant dans l’atmosphère du
puritanisme anglo-saxon ont magnifié
cette ambition tout en l’unifiant à leur
profit. Au prix du génocide des
Amérindiens, “l’Amérique” est alors
devenue la nouvelle métaphore du monde.
Il n’est pas sûr
que ce dernier y ait gagné au change.
Les empires coloniaux ont succombé à
leur insupportable archaïsme, tandis que
l’hégémonie américaine s’exerce, elle,
par les multiples canaux de la modernité
technologique, de Google aux drones de
combat. Du coup, elle paraît à la fois
plus ductile et plus tenace. Ce qui lui
donne sa souplesse commande aussi sa
rémanence. Du casque blanc de
l’administrateur colonial européen à
l’écran digital de la cybernétique
militaire US, une révolution a eu lieu.
Elle a substitué à une domination
abrupte, liquidée au cours d’une
sanglante décolonisation, une entreprise
hégémonique multiforme. Héritiers des
trois “M” du colonialisme classique, les
ONG made in USA ont remplacé les
“missionnaires” chrétiens, les
“marchands” sont devenus des
multinationales et les “militaires” sont
désormais bardés de haute technologie.
Fort de la bonne
conscience indécrottable des “born again”
du Middle West, l’Empire américain
projette aujourd'hui sur le monde son
manichéisme dévastateur. Les yeux
ouverts, il rêve d’un partage définitif
entre les bons et les méchants, pilier
inébranlable d’un ethnocentrisme sans
complexe. Le droit est forcément de son
côté, puisqu’il incarne les valeurs
cardinales de la “démocratie libérale”,
des “droits de l’homme” et de
“l'économie de marché”. C’est à
l’évidence une idéologie grossière,
masque frauduleux des intérêts les plus
sordides, mais il faut avouer qu’elle
est efficace. Si elle ne l’était pas, il
y aurait peu de monde pour croire que
les USA ont gagné la Seconde Guerre
Mondiale, que le capitalisme est un bon
système, que Cuba est un goulag
tropical, qu’Assad est pire qu’Hitler et
que la Corée du Nord menace le monde.
De cette intimité
présumée avec le Bien, les thuriféraires
de l’Empire nord-américain déduisent
logiquement un droit préemptif à traquer
le Mal sous toutes les latitudes. Aucun
scrupule ne devant inhiber sa frénésie
salvatrice, la civilisation au singulier
dont il se croit l'incarnation
s’attribue la prérogative expresse de
réduire la barbarie par tous les moyens.
C’est pourquoi l’impérialisme
contemporain fonctionne comme une sorte
de tribunal universel, qui distribue les
récompenses et inflige les punitions à
qui bon lui semble. Devant cette
juridiction hautement “morale”, la CIA
tient lieu de juge d’instruction, le
Pentagone de bras séculier, et le
président des Etats-Unis de juge
suprême, sorte de “deus ex machina”
d’une justice divine qui frappe de la
foudre les suppôts de “l’Axe du Mal” et
autres empêcheurs de tourner en rond
dans l’arrière-cour de l’Empire du Bien.
Manifestement,
cette tendance à se prendre pour
l’incarnation de la Morale se situe du
côté des structures, car la succession
conjoncturelle - et trépidante - des
locataires de “White House” n'y change
rien. A Washington, la croisade contre
les barbares sert invariablement de
cache-sexe à la cupidité sans limite du
complexe militaro-industriel et à
l'emprise séculaire de l'Etat profond.
D’Harry Truman à Donald Trump en passant
par Barack Obama, de la Corée à la Syrie
en passant par le Vietnam, l’Indonésie,
l’Angola, le Mozambique, le Salvador, le
Nicaragua, le Chili, l’Afrique du Sud,
la Serbie, l’Afghanistan, le Soudan, la
Somalie, l’Irak et la Libye, on
administre la mort, directement ou par “proxies”,
à tous ceux qui s’opposent au règne
salvateur de la justice universelle.
Pour exécuter ses
basses besognes, “l’Amérique”
bienfaitrice a toujours su utiliser la
main d’oeuvre locale. Franco, Hitler et
Mussolini (jusqu'en 1939), Tchang Kaï-Tchek,
Somoza, Syngman Rhee, Ngo Dinh Diem,
Salazar, Batista, Mobutu, Marcos,
Trujillo, Pik Botha, Duvalier, Suharto,
Papadopoulos, Castelo Branco, Videla,
Pinochet, Stroessner, Reza Chah Pahlevi,
Zia Ul Haqq, Ben Laden, Uribe, le roi
Salmane, Netanyahou, les nazis
ukrainiens et les “terroristes modérés”
du Moyen-Orient ont fourni un précieux
concours. Leader incontesté du
merveilleux “monde libre”, “l’Amérique”
prétend incarner la civilisation au
moment où elle vitrifie des populations
entières à l'arme atomique, au napalm ou
au missile de croisière, à défaut de
leur infliger la mort lente par l’agent
orange, l’uranium enrichi ou l’embargo
sur les médicaments. Et elle ne manque
pas de zélateurs jurant qu’elle rend des
services irremplaçables à l’humanité,
alors qu’à l’évidence la défaite de cet
Empire criminel serait une excellente
nouvelle.
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