Palestine
Palestine, un Etat pour tous !
Bruno Guigue
Lundi 6 juin 2016
Loin des discours
fumeux des conférences internationales,
les réalités palestiniennes parlent
d’elles-mêmes. En pulvérisant son assise
territoriale, la colonisation juive a
tué dans l’œuf la possibilité concrète
d’un Etat palestinien. Cette
impossibilité saute aux yeux comme une
évidence géographique : on ne bâtira
jamais un Etat viable sur les fragments
épars d’un territoire rabougri. Avec les
funestes accords d’Oslo, les
Palestiniens ont obtenu par charité
quelques miettes de leur propre pays.
Mais ce n’était pas assez humiliant.
Lacérée de routes flambant neuf et
truffée de colonies, la Palestine a été
laminée par le rouleau compresseur de
l’occupation. Les dirigeants occidentaux
peuvent toujours prononcer des
incantations magiques en faveur de la
solution à deux Etats, elle est bel et
bien finie.
La spoliation
territoriale
Cette mainmise sur
la Palestine n’est pas un accident de
l’histoire, mais le résultat d’une
planification délibérée. De l’achat
privé de terres au XIXème siècle
jusqu’aux conquêtes militaires de 1948
et 1967, le mouvement sioniste a
accompli son rêve séculaire. Il a saisi
par la force ce qu’il estimait lui
appartenir de plein droit au nom de la
Bible, puis ce qu’il estimait devoir lui
revenir en réparation de l’Holocauste.
Cette spoliation territoriale, cette
appropriation coloniale de la Palestine
est l’essence même du sionisme, et il
faut faire preuve d'un robuste optimisme
pour croire qu’Israël lâchera la moindre
parcelle des territoires qu’il a ravis à
leurs propriétaires.
C’est pourquoi
l’idée d’un Etat palestinien coexistant
avec l’Etat d’Israël sur le territoire
de la Palestine historique n’a aucun
sens. Aussi longtemps que le sionisme
demeure la doctrine de l’Etat
autoproclamé en 1948, cette solution à
deux Etats est une aberration. L’OLP a
eu la mauvaise idée de s’y jeter à corps
perdu, et on voit le résultat. Désireuse
de rompre son isolement, elle a fait en
1993 le choix de la collaboration. La
bourgeoisie palestinienne et la
bureaucratie du Fatah ont touché les
dividendes d’une autonomie fantoche.
Mais cette reddition spectaculaire du
courant majoritaire de l'OLP n’a porté
que des fruits pourris.
La direction
palestinienne a déposé les armes en
échange de vagues promesses. Reniant sa
propre histoire, elle a non seulement
renoncé à la libération de la Palestine,
mais elle a accepté de jouer les
supplétifs. Abandonnant sa carte
maîtresse, elle a lâché la proie de
l’indépendance nationale pour l’ombre
d’une autonomie illusoire. Des
dirigeants qui ont acquis leur
légitimité dans la lutte l’ont dilapidée
dans la compromission. Ils ont tout cédé
à Israël, mais Israël n’a rien cédé.
Mettant fin à la résistance, une OLP
épuisée a renoncé à 78% de sa patrie
pour un plat de lentilles. Et en guise
de remerciement, la puissance occupante
est en train de s’approprier le reste.
L’idée binationale
Une fois cette
supercherie dénoncée, la solution
binationale, tout naturellement, devait
revenir au devant de la scène. Elle
repose sur une idée simple : si deux
Etats ne peuvent se partager la
Palestine, alors un seul Etat devra voir
le jour. Faute de pouvoir faire
coexister les Etats, il faudra faire
coexister les peuples. Pour certains
Israéliens, comme Avraham Yehoshua, « la
solution binationale n’est pas idéale,
mais elle est la seule disponible » si
l’on veut réellement la paix. Elle
consisterait à élargir progressivement
la citoyenneté israélienne aux
Palestiniens des territoires, à
l’exception de Gaza, « sous une forme
fédérale ou cantonale ».
Inspirée par le
sionisme de gauche, cette version de
l’Etat binational compte sur une
évolution graduelle des mentalités, elle
parie sur l’apprentissage du
vivre-ensemble. Mais si elle reconnait
des droits civiques aux Palestiniens des
territoires, elle élude la question des
droits politiques du peuple palestinien.
Elle ouvre la porte à l’intégration des
populations arabes, mais elle ne
conteste pas le caractère sioniste de
l’Etat d’Israël. Enfin, et c’est
l’essentiel, elle fait l’impasse sur le
sort des habitants de Gaza et de
millions de réfugiés chassés de leur
terre natale. En faisant le tri parmi
les Palestiniens, un tel projet
s’interdit en réalité de fonder un
véritable Etat binational.
Un seul Etat pour
tous
Compte tenu de
l’échiquier politique israélien, la
solution binationale est vouée à
demeurer un vœu pieux du côté sioniste.
Mais qu’en est-il des Palestiniens ?
Avant de se rallier à la solution à deux
Etats sous les auspices des puissances
occidentales, l’OLP en avait fait son
cheval de bataille. Dans la charte de
1969, le Fatah prônait le remplacement
de l’Etat d’Israël par « un Etat
palestinien indépendant et démocratique
dont tous les citoyens, quelle que soit
leur confession, jouiront de droit égaux
». Les autres formations palestiniennes
proposent des formules analogues fondées
sur l’égalité civile au sein d’un même
Etat. Le Hamas préconise dans sa charte
historique l’instauration d’un Etat
islamique en Palestine, mais il affirme
le droit des juifs et des chrétiens à y
vivre en paix.
Les Palestiniens,
au fond, n’ont pas tous la même idée du
futur Etat, mais l’idée d’un Etat unique
est le fil rouge qui relie toutes les
sensibilités politiques. Seul un Etat
binational permettrait de reconnaître
les droits de tous ceux qui vivent dans
la Palestine historique. En même temps,
seul un tel Etat permettrait de
reconnaître les droits de tous les
Palestiniens où qu'ils vivent. L’Etat
unique est le seul qui garantisse à la
fois l’égalité entre tous et le retour
des réfugiés. Il leur offrirait ce
qu’aucun accord avec l’occupant ne leur
offrira jamais : non pas une « solution
équitable », comme disent les textes
avalisés par l’OLP, mais une solution
véritable.
Les réfugiés
palestiniens jouissent du droit
imprescriptible de rentrer chez eux, et
aucun compromis ne saurait y porter
atteinte. Aucune indemnisation, aucun
quota, aucun pays d’accueil ne peut
remplacer le retour au pays de tous ceux
qui le veulent. Par la résolution 194 du
11 décembre 1948, l’assemblée générale
des Nations Unies a inscrit ce droit
dans la loi internationale. Croire que
la Palestine puisse renoncer à ses
enfants exilés constitue à la fois un
déni de droit et une insulte au bon
sens. Les bonnes âmes qui recommandent
aux Palestiniens de se montrer
raisonnables et d’accepter une
compensation oublient l'essentiel : le
droit à l’autodétermination et le droit
au retour, c’est la même chose.
La fin du projet colonial
La réussite de ce
projet unitaire suppose évidemment la
disparition de l’Etat colonial au profit
d’un Etat démocratique. La Palestine
s’élèvera sur les décombres du sionisme
comme le sionisme s’est élevé sur les
décombres de la Palestine. Aucun
faux-semblant, aucun plan B ne permettra
de s’y soustraire. La Palestine pour
tous, c'est l’abandon définitif du
projet colonial, l’entrée effective dans
l’ère post-sioniste. Artefact colonial
bâti au forceps, l'Etat sioniste se
croit éternel. Mais la ténacité de la
résistance, les changements d'alliances
et les bouleversements géopolitiques
dans un monde en mutation rapide
pourraient changer la donne. A moyen et
long terme, Israël doit s’attendre à des
révisions déchirantes.
Car les
Palestiniens vont poursuivre la
résistance armée, ils vont signifier à
l’occupant que la colonisation a un prix
à payer. Le Hezbollah a balayé le mythe
de l’invincibilité israélienne en
chassant l’envahisseur du Liban, puis en
le repoussant victorieusement en 2006.
La résistance palestinienne, elle aussi,
rend coup pour coup à l’agresseur, elle
se dote peu à peu d’un instrument de
dissuasion, elle transforme
progressivement le rapport de forces.
Les combattants du Hamas ont appris à se
battre contre une armée que sa brutalité
n’immunise pas contre la défaite. Les
Palestiniens savent que si leur
mouvement national parvient à conjurer
ses divisions, les lignes finiront par
bouger. Ils savent que leur libération
nationale sera obtenue de haute lutte et
qu'aucune conférence internationale ne
les aidera à briser le joug colonial.
Bruno Guigue (6
juin 2016)
Le sommaire de Bruno Guigue
Le dossier
chronologie du conflit
Les dernières mises à jour
|