Russie
Comment peut-on être "pro-russe" ?
Bruno Guigue
© Bruno
Guigue
Lundi 5 septembre 2016
Comme
si elle avait les vertus d'un exorcisme
incantatoire, une véritable litanie
inonde les médias occidentaux. La
Russie, dit-on, est une menace pour
l'Occident, un péril mortel pour ses
intérêts, un ferment corrosif pour ses
valeurs. Insensible à la diplomatie,
cette puissance aux allures de brute
épaisse ne comprend que la force.
Hermétique à la négociation, elle est
totalement imperméable au code de
conduite des nations civilisées. Il faut
regarder la réalité en face, et cesser
de croire que la Russie a changé,
qu'elle n'est pas la réplique d'une URSS
dont elle charrie le sinistre héritage.
Si l'on veut s'opposer aux ambitions
effrénées de l'ogre russe, inutile d'y
aller par quatre chemins : il faut
réarmer au plus vite et se préparer au
pire.
Résumé
bêtifiant de tous les lieux communs de
l'atlantisme vulgaire, ce discours
belliciste n'est pas qu'un discours. Il
y a aussi des actes, et ils sont lourds
de signification. Les USA ont installé
chez leurs vassaux d'Europe orientale un
bouclier antimissile qui fait peser sur
Moscou la menace d'une première frappe
et rend caduc tout accord de désarmement
nucléaire. L'OTAN multiplie les
manoeuvres conjointes aux frontières
occidentales de la Fédération de Russie,
de la Mer Baltique à la Mer Noire.
Colossal, le budget militaire US
représente la moitié des dépenses
militaires mondiales. En pleine
expansion, il équivaut à neuf fois celui
de la Russie. A l'évidence, l'essentiel
des dépenses nouvelles vise à développer
une capacité de projection des forces à
l'extérieur, et non à défendre des
frontières que personne ne menace.
Dans
un monde régi par un minimum de
rationalité, ces réalités
géostratégiques devraient suffire à
couvrir de ridicule les gogos de droite
et de gauche qui avalent la propagande
antirusse comme on boit du petit lait.
Mais les idées les plus stupides ont la
vie dure, et il y a encore des
semi-habiles pour croire que la Russie
est une puissance impérialiste au même
titre que les Etats-Unis d'Amérique. Si
l'impérialisme désigne l'attitude
consistant pour une grande puissance à
imposer de gré ou de force son hégémonie
à d'autres puissances, on se demande en
quoi la politique russe relève de cette
catégorie. Où sont les Etats envahis ou
menacés par la Russie ?
L'Ukraine est en proie à une crise
intérieure gravissime consécutive au
coup d'Etat qui a porté au pouvoir une
clique ultra-nationaliste dont la
politique n'a cessé d'humilier la
population russophone des régions
orientales. C'est cette provocation
délibérée des autorités usurpatrices de
Kiev, soutenues par des groupes
néo-nazis, qui a poussé les patriotes du
Donbass à la résistance et à la
sécession. Mais aucun char russe ne
foule le territoire ukrainien, et Moscou
a toujours privilégié une solution
négociée de type fédéral pour son grand
voisin. En témoignent les accord de
Minsk I et II, qui ont été bafoués par
le gouvernement ukrainien, et non par
celui de la Russie. Aujourd'hui, la
seule armée qui tue des Ukrainiens est
celle de Kiev, cyniquement portée à bout
de bras par les puissances occidentales
pour intimider Moscou. Dans toute cette
région, les choses sont claires : c'est
l'Occident qui défie outrageusement la
Russie à ses frontières, et non
l'inverse. Que dirait-on à Washington si
Moscou menait des manœuvres militaires
conjointes avec le Mexique et le Canada,
et encourageait à coups de millions de
roubles la déstabilisation de l'Amérique
du Nord ?
Que le
terme d'impérialisme s'applique à la
politique US, en revanche, ne fait pas
l'ombre d'un doute. Elle est d'ailleurs
revendiquée par Hillary Clinton qui
vient de rappeler que les USA sont "la
nation indispensable du monde", un "pays
exceptionnel, champion inégalé de la
liberté et de la paix", qui montre le
chemin à ces peuplades innombrables qui
n'ont pas le bonheur d'être américaines,
mais qui savent se montrer
reconnaissantes à l'égard de leur
sauveur à la bannière étoilée. "Les
peuples du monde nous regardent et nous
suivent. C’est une lourde
responsabilité. Les décisions que nous
prenons, ou que nous ne prenons pas,
affectent des millions de vies.
L’Amérique doit montrer le chemin",
proclame la candidate démocrate. On
imagine la teneur des commentaires si M.
Poutine avait affirmé urbi et orbi que
la Russie doit guider le monde et sauver
l'humanité. Mais c'est l'Amérique, et
elle a une "destinée manifeste".
Investie d'une mission civilisatrice à
vocation planétaire, l'Amérique est le
nouvel Israël, apportant la lumière aux
nations confites d'émotion et saisies
d'admiration devant tant de bonté.
Pour
le cas où l'enthousiasme des vassaux
viendrait à mollir, toutefois, la
présence de 725 bases militaires US à
l'étranger devrait probablement suffire
à y remédier et à entraîner malgré tout
l'adhésion des populations
récalcitrantes. 725 bases militaires :
un chiffre froid et objectif qui donne
un minimum de consistance matérielle à
ce joli mot d'impérialisme dont abusent
les amateurs en géopolitique lorsqu'ils
l'attribuent à la Russie de Vladimir
Poutine. Car la Russie, elle, n'a pas
725 bases militaires hors de ses
frontières. Précisément, elle en a 2, ce
qui fait une sacrée différence. La
première base est au Kazhakstan, pays
allié et limitrophe de la Russie, dont
40% de la population est russophone. La
seconde est en Syrie, près de Lattaquié,
installée en 2015 à la demande expresse
d'un Etat souverain soumis à une
tentative de déstabilisation pilotée
depuis l'étranger.
Il est
amusant de constater que l'accusation
d'impérialisme proférée contre la Russie
est une ânerie partagée par ces
officines de propagande
quasi-officielles de l'OTAN que sont les
médias français et par des groupuscules
gauchistes qui ne sont décidément pas
guéris des pustules de leur maladie
infantile. Vieille répartition des
tâches, au fond, dont il y a d'autres
exemples. Ce sont les mêmes groupes qui
s'imaginent défendre la cause
palestinienne tout en soutenant les
mercenaires wahhabites en Syrie,
lesquels servent surtout de piétaille à
l'OTAN et de garde-frontière à l'entité
sioniste. Mais demander à ces benêts de
comprendre ce qui se passe au
Moyen-Orient relève sans doute du voeu
pieux, la réalité concrète ayant
manifestement perdu à leurs yeux le
privilège que Marx lui reconnaissait.
"L'impérialisme russe", cette bouteille
à l'encre d'un atlantisme presque
séculaire, finira sans doute au
cimetière des idées reçues, mais il se
peut qu'elle continue un certain temps à
empoisonner les esprits faibles.
En
attendant, c'est plus fort que lui, le "pro-Russe"
n'en démord pas. Obstiné, il tient à ses
chimères. Il croit par exemple que celui
qui envahit des pays lointains est
impérialiste, tandis que celui qui
défend ses frontières ne l'est pas. Il
pense que celui qui utilise les
terroristes pour semer le chaos chez les
autres est impérialiste, et non celui
qui les combat à la demande d'un Etat
allié. Il a la naïveté de penser que le
respect de la loi internationale
s'applique à tout le monde, et pas
seulement aux pays faibles comme l'Irak,
la Libye et la Syrie. Dans son
incroyable candeur, il juge absurde le
reproche fait à la Russie d'annexer la
Crimée quand 95% de sa population en a
fait la demande, alors même que ses
accusateurs ont poussé le Kosovo à la
sécession. Têtu pour de bon, le "pro-Russe"
préfère un monde multipolaire, un monde
pacifié, à ce champ de ruines que la
fureur néo-conservatrice d'une Hillary
Clinton va continuer à répandre si le
complexe militaro-industriel et le lobby
sioniste réussissent, comme d'habitude,
à imposer leur poulain à la tête de la
première puissance militaire mondiale.
Bruno
Guigue (05/09/2016)
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