Politique
Quand la démocratie dégénère en
bouffonnerie
Bruno Guigue
Vendredi 3 mars 2017
On parle beaucoup des mésaventures de M.
et Mme Fillon, mais la crise
conjoncturelle gravissime que travers la
droite française, en réalité, révèle
surtout la perte de substance
démocratique de notre système politique.
Ce scandale politico-financier somme
toute assez banal (si ce n'est que le
principal intéressé est un candidat
majeur à l'élection présidentielle) ne
nous a pas appris que les élus
considéraient les deniers publics comme
de l'argent de poche. On le savait déjà.
Il n'a pas dévoilé, non plus,
l'imbrication suspecte des pouvoirs
politique, médiatique, judiciaire et
financier. Le phénomène est connu, et
aussi ancien que la démocratie formelle,
suspendue aux rapports de forces des
acteurs sociaux qui se saisissent de ses
procédures comme on investit un champ de
bataille.
Ce que
montre cette crise, c'est l'inanité d'un
système où tout est suspendu au sort
d'un politicien transformé par les
primaires en « deus ex machina ». Que ce
champion s'effondre, et tout est fini.
On peut comprendre la colère des
électeurs de droite, frustrés d’une
représentation digne de ce nom lors
d’une compétition majeure. Mais ce
danger systémique est la rançon d'un
régime qui fait du scrutin présidentiel
la clé de voûte des institutions. Si
elle lâche, tout s'effondre. Depuis la
fondation de la Vème République, la vie
politique a été mise en orbite autour de
l'élection suprême. La compétition
élyséenne en constitue l'alpha et
l'oméga. L'instauration du quinquennat a
accentué cette tendance, en faisant
dépendre l'issue des élections
législatives du verdict présidentiel.
Ce
dispositif institutionnel taillé sur
mesure pour le général de Gaulle
fonctionne désormais à rebours de son
projet initial. Destiné à souder la
nation autour d'un chef élu par le
peuple, il dépossède ce dernier en
dévitalisant le débat démocratique.
Emmanuel Macron est à la fois le
théoricien et le bénéficiaire de cette
politique de la terre brûlée qui évacue
scrupuleusement la politique (au sens
noble du terme) du débat électoral.
Complètement artificielle, calquée sur
les tempos instantanés et les codes
débilitants de la télévision, la
personnalisation du scrutin relègue les
programmes au second plan. Les candidats
sont lancés sur le marché comme des
savonnettes, la confrontation dégénère
en coups tordus, l'obsession du « buzz »
supplante le débat d'idées. Le résultat
final, c'est qu'on a un cheval de cirque
à la place d'un cheval de course.
On
pointe à juste titre la vacuité de cette
joute électorale, on peste contre la
débilité de ce Barnum politicien, mais
on oublie généralement de souligner
l'américanisation qui en est la cause.
Au lieu de confronter des projets
incarnés par des forces sociales
organisées, la compétition
présidentielle met aux prises des
compétiteurs sans envergure, des
bateleurs rodés à la « com » qui font
des moulinets avec leurs bras en
débitant des banalités. Si les électeurs
sont dépolitisés, inutile de se demander
pourquoi ! La crise de la politique est
entretenue par le débat politique
lui-même, soigneusement vidé de sa
substance par les professionnels du
décervelage.
Cette
dégénérescence de la démocratie en
bouffonnerie est d'autant plus nocive
qu'elle s'accompagne d'un autre
phénomène. C'est l'emprise des milieux
financiers sur les médias de masse,
phénomène qui semble avoir désormais
atteint son maximum historique ! Dans un
pays où neuf milliardaires possèdent la
quasi-totalité des organes de presse, la
délibération démocratique est au mieux
une illusion consolatrice, au pire une
vaste fumisterie. Naïfs, nous croyons
que nous choisissons nos dirigeants et
que ce choix est transparent. Mais deux
idées fausses ne feront jamais une idée
vraie. Et ce qui est sûr, c'est que
cette double illusion est indispensable
à la perpétuation de l'oligarchie.
La
promotion d'Emmanuel Macron sur les
décombres d'un fillonisme faisandé
illustre à merveille ce poids des
structures. La candidature du père Noël
des possédants ayant explosé en plein
vol, la caste lui a aussitôt trouvé un
substitut. L’insoutenable légèreté de ce
candidat à programme variable tient lieu
de boussole d’une élection dont le
résultat est programmé d’avance. La mine
réjouie du jeune banquier d'affaires,
très fier d’avoir gagné deux millions
d’euros en deux mois en montant une OPA
pour Nestlé, orne les couvertures des
magazines, M. Bourdin lui sert
copieusement la soupe sur Bfm, et « Le
Monde » fait sa campagne grâce aux 13
millions d'euros de subventions
publiques. Tout va pour le mieux dans le
meilleur des mondes de l'oligarchie.
Contrôlant les médias qui formatent
l'opinion, elle préside à une foire
d'empoigne électorale qui distraira le
bon peuple et ne lui réservera aucune
mauvaise surprise.
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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