Opinion
Impasse néo-coloniale au Sahel
Bruno Guigue
Samedi 2 septembre 2017
Alimentée par une
intervention française qui devait
“rétablir la paix”, la guerre continue
de plus belle au Sahel. Loin de
diminuer, les attaques terroristes se
multiplient, soulignant le chaos
grandissant dans lequel est plongée
toute la région. Le 13 août, 19 civils
ont été tués à Ouagadougou. Cette
tragédie - dont les médias occidentaux
se moquent comme d’une guigne - succède
aux raids meurtriers menés par Al-Qaida
en Côte d’Ivoire, à Ouagadougou (déjà)
et à Bamako au cours des derniers mois.
Menée au Mali en
janvier 2013, l'opération militaire
française “Serval” s'est achevée en
juillet 2014, aussitôt remplacée par un
dispositif élargi aux Etats de la
région, l'opération “Barkhane”. Mais ce
changement d'étiquette ne trompe
personne. Selon la version officielle,
l'intervention étrangère devait soutenir
l'effort des troupes maliennes contre
les groupes armés ayant pris le contrôle
de l'Azawad, la partie nord du pays.
Elle visait à “rétablir la paix” et à
“vaincre le terrorisme”. On en est loin
!
Aux portes du
désert, civils et militaires sont pris
pour cibles par des djihadistes qui
multiplient attentats et coups de main
depuis leur défaite militaire, en 2013,
face à des forces françaises
suréquipées. D'abord accueillis en
libérateurs par une partie de la
population, les soldats français, en
outre, subissent un tir croisé de
critiques acerbes. Parmi les
autochtones, ceux qui comptaient sur les
Français pour terrasser le terrorisme en
sont pour leurs frais, et ceux qui
soupçonnaient dans la lutte contre le
terrorisme un prétexte néo-colonial
voient dans la prolongation de la guerre
la confirmation d’un tel soupçon.
Les discours
officiels répètent que le temps des
colonies est terminé, mais il y a
davantage de militaires français dans
l'Ouest africain en 2017 qu'au lendemain
des indépendances en 1960. À la fin du
mandat de François Hollande, en mai
2017, 4000 soldats étaient déployés dans
la région. Marchant dans les pas de son
prédécesseur, le nouveau président y a
effectué son premier déplacement à
l'étranger, visitant la base de Gao, au
Mali, pour rencontrer les troupes
françaises présentes sur place. Tout un
symbole ! De Hollande à Macron, la
Françafrique bat son plein.
En janvier 2013, la
France a jeté ses forces dans une guerre
civile au cœur de l’Afrique. Les
partisans de cette intervention disent
que la France n’est plus une puissance
coloniale, et qu'elle intervient à la
demande expresse du gouvernement malien.
L’article 51 de la Charte de l’ONU
prévoit en effet la possibilité pour un
Etat de demander l’aide militaire d’un
autre Etat, et l’Etat malien l'a fait.
Les Etats africains voisins, dont
certains contribuent à l’effort de
guerre contre la rébellion, ont
également cautionné l’opération.
Mais la question de
l’autorité légitime se posait à propos
du gouvernement malien. Car le coup
d’Etat de mars 2012 perpétré par le
capitaine Sanongo n’a pas seulement
destitué l’ancien président pour lui en
substituer un autre, il a aussi suspendu
la Constitution. L’allié de la France,
en février 2013, était un pouvoir de
fait, détenu par des militaires
putschistes issus du sud du pays et
pressés d’en découdre avec la rébellion
du nord. L'élection d'un nouveau
président sous des formes plus légales
n'a pas fait disparaître cet héritage
douteux.
Une autre question
est de savoir si cette guerre était
inévitable. On disait en janvier 2013
qu'une menace imminente pesait sur
Bamako et qu'il fallait agir au plus
vite pour protéger les ressortissants
français. Mais l’action militaire
française, outrepassant cet objectif,
visa d'emblée l’élimination des forces
rebelles et la reconquête du nord,
faisant plus de 700 morts. De plus,
donner quitus à l’intervention française
au nom d’un péril immédiat ne répond pas
à la question, car il faut se demander
pourquoi ce conflit local s’est
subitement radicalisé.
La victoire du
“Mouvement national de libération de l’Azawad”,
début 2012, fut le point culminant de la
quatrième rébellion touareg depuis
l’indépendance du Mali. Elle provoqua
l’implosion de l’armée et de l’Etat
malien, désarçonné dans la foulée, en
mars, par le coup d’Etat militaire du
capitaine Sanongo. Mais devant le refus
de toute négociation par les militaires
putschistes, le MNLA perdit le contrôle
du nord au profit de la mouvance
islamiste, et notamment d’Ansar Eddine,
dissidence du MNLA.
On annonça la
reprise des négociations, et le 21
décembre 2012, à Alger, des
représentants du MNLA et d’Ansar Eddine
se déclarèrent prêts à cesser les
hostilités. Mais le chef d’Ansar Eddine,
qui fut tenu à l’écart par les
responsables algériens, dénonça ces
pourparlers et appela à la reprise du
combat. La prise de Konna par la
rébellion, le 8 janvier 2013, fut la
conséquence directe de la rupture
inopinée des discussions d’Alger le 7.
C’est l'échec de ces discussions avec la
rébellion touareg qui favorisa sa
radicalisation.
Bien sûr, cette
responsabilité de Bamako ne dédouane pas
de la sienne une nébuleuse de groupes
armés qui ont prétendu imposer par la
force une doctrine sectaire et des mœurs
rétrogrades. S'il est hypocrite de
justifier l’action militaire de la
France en prétextant l’échec des
négociations, il n'y a aucune excuse à
la brutalité des milices islamistes.
Mais il il est clair que cette démission
du politique au profit du militaire a
fourni aux organisations extrémistes une
moisson de recrues parmi les déshérités
du Sahel.
La rébellion armée
comptait à l'origine quatre composantes
entretenant des relations variables, de
la rivalité à l’affrontement et de
l’alliance à la surenchère. La plus
nombreuse, Ansar Eddine, est issue d’une
scission du MNLA, et ses combattants
combattent l’Etat malien. Les deux
autres composantes sont Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI) et le Mouvement
pour l’unité et le jihad en Afrique de
l’Ouest (Mujao). En refusant de négocier
avec le MNLA, Bamako précipita son
déclin au profit d’une dissidence plus
radicale.
Mais AQMI est une
organisation internationale dépourvue de
base locale et aux effectifs limités. Le
Mujao représente une tendance de la
guérilla fidèle aux figures historiques
de la lutte anticoloniale d'inspiration
islamique du XIXème siècle. Les
objectifs de ces différentes
organisations diffèrent : ils sont
régionaux pour le MNLA (l’indépendance
touareg), nationaux pour Ansar Eddine
(l’imposition de la charia au Mali), et
transnationaux (la destruction des
Etats) pour les djihadistes du Mujao et
d’AQMI.
Le discours
lénifiant des dirigeants français, d’un
manichéisme frôlant parfois le
grotesque, a jeté une lueur trompeuse
sur cette guerre lointaine, dont
l’intelligence échappe pour de bon à une
opinion qui voit dans les petites
lucarnes ce que la “com” de l’armée
française veut bien lui montrer. A en
croire l'Elysée, la France se bat
exclusivement “pour la paix”, et elle
lutte “contre le terrorisme” au côté de
ses alliés régionaux. Bref, de nobles
idéaux guident les pas de la patrie des
droits de l’homme, étrangement
insensible à l’appel d’intérêts
prosaïques.
Les gisements
d’uranium du Niger exploités par AREVA
assurant le tiers des approvisionnements
de ses centrales nucléaires, c'est un
heureux hasard si le combat
chevaleresque de la France coïncide avec
ses besoins miniers ! Ancien dirigeant
du consortium européen, le premier
ministre français Edouard Philippe en
sait quelque chose. Et parmi les
habitants de la région, qui croit que
l'action militaire de la France sert à
autre chose qu'à perpétuer
l’exploitation néo-coloniale du sous-sol
africain ?
La France s'expose
d’autant plus à l’amertume des
populations que la déstabilisation du
Sahel provient aussi de la
démobilisation des combattants touareg
de Kadhafi. Rentrés chez eux avec
davantage d’armes que de bagages, ils
ont contribué au désordre dont la
fragile société sahélienne a fait les
frais. Toute la région paie les pots
cassés de l'agression occidentale contre
la Libye, et les militaires français
affrontent des ennemis auxquels le
retour de l’ex-puissance coloniale, en
outre, donne des lettres de noblesse
anti-impérialistes !
En détruisant
l'Etat libyen, la France, la
Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont
semé le chaos dans la région. Après
avoir indirectement fourni à la
rébellion son matériel militaire, Paris
lui procure par sa présence militaire
les armes idéologiques qui en justifient
l’emploi. La nouvelle vague de tueries
qui frappe les pays de l'Ouest africain,
ces derniers mois, a fini par persuader
les populations que la France fait
partie du problème et non de la
solution. Au Sahel, le néo-colonialisme
tricolore est dans l'impasse.
« Afrique-Asie »,
1er septembre 2017 (version actualisée).
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