Syrie
Les meilleures perles des charlatans
de la révolution syrienne
Bruno Guigue
© Bruno
Guigue
Jeudi 1er septembre 2016
Paru dans le N° de
septembre du mensuel "Afrique-Asie".
Fiction forgée de
toutes pièces, la « révolution syrienne
» devait fournir un alibi démocratique
au « regime change » planifié de longue
date par l'administration US. Comme
l'écrit Hillary Clinton dans son fameux
email, « la meilleure manière d’aider
Israël à gérer la capacité nucléaire
grandissante de l’Iran est d’aider le
peuple syrien à renverser le régime de
Bachar el-Assad ». Mais pour garantir le
succès de cette opération, deux
conditions étaient requises. La
première, c'est la manipulation des
desperados du djihad global, auxiliaires
zélés et toujours prêts à l'emploi de
l'impérialisme occidental. La seconde,
c'est le déferlement d'une propagande
destinée à persuader l'opinion mondiale
que Bachar Al-Assad est un monstre
sanguinaire.
La France s'étant
rangée derrière les USA dans cette
entreprise de déstabilisation d'un Etat
souverain, une meute de charlatans,
depuis 2011, y abreuve de ses
affabulations les plateaux télévisés et
les colonnes des journaux. Avec le
concours de ces plumitifs, un déluge de
mensonges s'est abattu sans répit sur la
Syrie, ajoutant à la cruauté de cette
guerre par procuration l'effet délétère
d'une manipulation à grande échelle.
Voici une première esquisse, non
exhaustive, du florilège de ces
impostures. Des experts douteux, des
intellectuels vendus et des journalistes
serviles y ont excellé depuis cinq ans.
Ce sont les meilleures perles des
charlatans de la révolution syrienne.
PERLE N°1 : La
théorie des deux mamelles
« Les deux mamelles
de Daech, c'est la guerre en Irak en
2003, et la répression menée par Bachar
el-Assad depuis 2011. Ceux qui étaient
pour la guerre d'Irak comme ceux qui
soutiennent le président syrien sont mal
placés pour nous donner des leçons sur
la meilleure façon de gagner la guerre
contre Daech. »
Pascal Boniface,
Metronews, 15/11/2015.
Si l'agression
américano-britannique de 2003 contre
l'Irak est effectivement à l'origine de
Daech, le gouvernement syrien, lui,
n'est pour rien dans la percée d'une
organisation qui a juré sa perte et
qu'il affronte sans répit. En
juxtaposant de façon maligne les deux
événements, Pascal Boniface pratique un
amalgame grotesque entre George W. Bush
et Bachar Al-Assad. Mêlant le vrai et le
faux, il attribue au président syrien,
dans la genèse du prétendu « Etat
islamique », une responsabilité qui
n'existe que dans son imagination.
PERLE N°2 : Bachar
extermine son peuple à l'arme chimique
« Syrie :
l'extermination chimique que prépare
Bachar » (titre de l'article)
Jean-Pierre Filiu,
L'Obs-Rue89, 25/08/2013.
Pour ôter toute
légitimité au pouvoir syrien, il fallait
absolument lui imputer les pires
horreurs. Une indignation vengeresse
devait alors justifier, sur le modèle
libyen, une intervention militaire
occidentale. Pièce maîtresse de cette
opération, l'imputation à Damas du
massacre du 21 août 2013 n'a jamais fait
l'objet du moindre commencement de
preuve. L'ONU a confirmé la réalité
d'une attaque au gaz de combat, mais
elle ne l'a jamais attribuée à qui que
ce soit. Une enquête indépendante menée
par le « Massachusetts Institute of
Technology », en revanche, a conclu sans
hésitation que l'attaque chimique ne
pouvait venir que de la zone rebelle.
PERLE N°3 : Le
complot contre la Syrie est imaginaire
« Malgré la
violence qu’il exerce contre son peuple,
M. Bachar Al-Assad et son régime sont
présentés comme les victimes d’un plan
savamment concocté à Washington pour
affaiblir l’un des rivaux régionaux de
l’Etat hébreu. »
Akram Belkaïd, Le
Monde Diplomatique, juin 2015.
Le propos se veut
sans doute ironique, mais il sombre dans
le ridicule. Comme l'a écrit Hillary
Clinton, le renversement du gouvernement
syrien visait à sanctuariser Israël en
éliminant le principal allié de l'Iran
et du Hezbollah. Que l'administration US
et ses vassaux aient propagé le « chaos
constructif » en Syrie par djihad
interposé ne relève pas d'une
interprétation subjective, c'est un fait
avéré. Quitte à mettre le Moyen-Orient à
feu et à sang, Washington a pactisé avec
le diable en poursuivant son objectif de
toujours : la fragmentation
ethno-confessionnelle de la région.
PERLE N°4 : Les
réfugiés fuient Bachar
« Les réfugiés
syriens ne fuient pas Daech, ils fuient
Bachar el-Assad. On n'a pas à choisir
entre lui et Daech. »
Pascal Boniface,
France TV Info, 24/09/2015.
Si les réfugiés
syriens fuyaient Bachar Al-Assad, les
régions contrôlées par le gouvernement
n'accueilleraient pas la grande majorité
des personnes déplacées à l'intérieur du
pays. Les réfugiés syriens au Liban
n'auraient pas provoqué une énorme
cohue, à Beyrouth, pour aller voter en
faveur de M. Assad lors de l'élection
présidentielle du 3 juin 2014. Et
puisqu'il affirme cyniquement que « les
réfugiés ne fuient pas Daech », nous
invitons M. Boniface à se rendre dans
les zones où sévit cette organisation
pour y vérifier par lui-même
l'allégresse de la population.
PERLE N°5 : La
division inter-confessionnelle, c'est la
faute à Bachar
« Le régime ne
protège pas vraiment les minorités mais
il s'en sert habilement pour se
protéger. C'est lui et certainement pas
les islamistes qui a joué dès le début
cette carte pernicieuse de la division
sectaire. »
François Burgat,
cité par Catherine Gouësët, L'Express,
15/03/2013.
Chez notre expert
hexagonal de l'islamisme, l'inversion
accusatoire est une seconde nature. Le
régime baasiste a sans doute beaucoup de
défauts, mais c'est un régime non
confessionnel qui garantit la liberté
des cultes et la coexistence des
communautés. Attachées à ce modèle
unique au Moyen-Orient, les autorités
religieuses, musulmanes et chrétiennes,
accordent un soutien unanime au
gouvernement légitime. Et c'est
l'opposition islamiste armée, inspirée
par la détestation wahhabite pour les
chiites et les alaouites, qui veut
instaurer un Etat confessionnel fondé
sur une lecture sectaire de la charia.
PERLE N°6 : Le
régime syrien écrase la majorité sunnite
« Ceux qui
s'indignent des menaces qui pèsent sur
les chrétiens ou les alaouites ne
s'embarrassent guère de justifier
l'oppression de la majorité sunnite (70%
de la population) : ils préfèrent la
tyrannie exercée sur la majorité afin de
préserver la minorité, constate Ziad
Majed. »
Ziad Majed, cité
par Catherine Gouësët, L'Express,
15/03/2013.
Cette lecture
confessionnelle du conflit syrien est
conforme aux exigences des parrains
wahhabites de l'opposition syrienne,
mais elle se situe à des années-lumière
de la réalité. Aucune minorité
religieuse n'opprime la majorité en
Syrie, puisqu'il s'agit d'un Etat
séculier qui ne favorise aucune
confession. Si les sunnites sont
victimes de la tyrannie alaouite, comme
le sous-entend M. Majed, on se demande
par quel miracle le premier ministre, la
majorité des ministres, mais aussi la
majorité des officiers et des soldats de
l'armée arabe syrienne sont sunnites.
PERLE N°7 : Les
pétromonarchies n'y sont pour rien
« Les élites
politiques saoudiennes n'ont jamais
soutenu les radicaux islamistes. »
François Burgat,
auditionné par la Mission d'information
de l'Assemblée nationale, 12/01/2016.
Venant de François
Burgat, cette échappée hors du monde
réel n'est pas étonnante. Depuis trente
ans, il explique que l'islamisme, pour
les peuples arabo-musulmans, est une
voie express vers la démocratie. Que
cette collusion entre les
pétromonarchies et le jihadisme soit
dénoncée inlassablement par Marc
Trévidic, ex-juge anti-terroriste, Alain
Chouet, ex-directeur du renseignement à
la DGSE, ou encore par le général
Vincent Desportes, ex-directeur du
Collège Inter-armées de défense, est
sans importance. Régulièrement invité à
Riyad, M. Burgat est sans doute mieux
informé par ses amis saoudiens.
PERLE N°8 : Les
jihadistes sont quantité négligeable
« Les jihadistes ne
représenteraient que 10 à 15% des
combattants de la révolution syrienne,
selon le chercheur Romain Caillet. Ils
sont mieux entraînés, mais le rapport de
forces sur le terrain est en train de
changer en faveur des laïques et des
islamistes modérés. »
Pierre Puchot,
MediaPart, 12/09/2013.
Expert renommé en
jihadisme, le moins qu'on puisse dire
est que Romain Caillet connaît son sujet
de l'intérieur. On peut toutefois douter
de sa capacité d'analyse et de
prévision. Car on n'a pas vu, depuis
cinq ans, les « laïques » et les «
islamistes modérés » prendre le dessus
au sein de l'opposition armée en Syrie.
C'est exactement le contraire. Les
jihadistes d'Al-Nosra règnent désormais
en maîtres, et leurs alliés islamistes
se sont alignés sur leur agenda
politique. Quant aux combattants
présumés « laïques », cette fable est
éventée depuis longtemps.
PERLE N°9 : La
solution, c'est de livrer des armes
« Il s’agit d’une
guerre où l’armée d’Assad ne recule
devant rien pour écraser l’adversaire.
Il faut donc envoyer des armes pour
tenter de rééquilibrer ce rapport de
forces ; et surtout des armes capables
de tenir en échec les chars, les
hélicoptères et les avions. »
Jean-Paul
Chagnollaud, Confluences-Méditerranée,
28/09/2012.
Partisan
enthousiaste d'une révolution
imaginaire, Jean-Paul Chagnollaud est
l'incarnation parfaite de « l'idiot
utile » au service de l'impérialisme.
Décidé à parler à leur place, il exige
la démocratie pour les Syriens, dénonce
Bachar Al-Assad et réclame des armes
pour la rébellion. François Hollande l'a
entendu et les armes ont été livrées.
Malheureusement, cet arsenal a fini
entre les mains d'Al-Qaida. La prochaine
fois qu'il accompagnera François
Hollande en visite officielle en Israël,
il est souhaitable que M. Chagnollaud
s'abstienne de lui parler de la Syrie.
PERLE N°10 : Bachar
ne sert à rien contre Daech
« Et puis, soyons
justement réalistes : que peut rapporter
Assad dans la lutte contre Daesh? Des
soldats? Non, il n’en a pas. Des
informations? Il n’en a pas. Une
légitimité politique? Il n’en a pas. Il
n’y a plus d’Etat en Syrie. On est face
à une bande mafieuse soutenue à bout de
bras par la Russie et par l’Iran. »
Jean-Pierre Filiu,
Le Soir, 05/02/2016.
Prenant ses désirs
pour des réalités, le distingué
professeur à Sciences-Po n'a visiblement
pas entendu parler de Palmyre, arrachée
en avril 2016 aux griffes des jihadistes
qui y ont laissé 450 morts. Il ne sait
pas que l'armée arabe syrienne affronte
durement Daech à l'est d'Alep, qu'elle
progresse vers Raqqa et qu'à Deir Ezzor
la Garde républicaine met en échec
depuis trois ans les offensives de
l'organisation jihadiste. Quant à la
légitimité politique de Bachar Al-Assad,
elle est supérieure à celle d'un
président français dont l'affligeante
politique étrangère reflète largement
les conseils insensés que lui prodigue
M. Filiu.
Bruno Guigue
(01/09/2016)
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