Opinion
Un « printemps républicain » de
pacotille
Bruno Guigue
Vendredi 1er avril 2016
Si l'on en croit ses partisans, le «
printemps républicain » est une
initiative citoyenne qui entend
restaurer l'esprit républicain et
refonder la gauche par un retour aux
sources laïques. Il s'agit de pourfendre
« le communautarisme, le racisme et
l'antisémitisme » en réaffirmant haut et
fort les valeurs de la République. Fort
bien. Au fond, qui n'y souscrirait ?
Mais force est de constater que
l'invocation des nobles principes y
côtoie étrangement des mots d'ordre qui
les contredisent.
Ainsi, lors du
premier meeting du mouvement, le 20
mars, l'un des orateurs lance une
injonction dont le courage, par les
temps qui courent, sera apprécié à sa
juste valeur : « N'ayez pas peur du mot
islamophobe, car c'est nous le rempart
contre les extrémismes » ! (Libération,
21/03). On voudrait formuler un appel
explicite à transgresser les règles dont
on se réclame, qu'on ne s'y prendrait
pas autrement. Car le mot « islamophobie
» a un sens, et l'on ne fera pas
l'injure au « printemps républicain » de
penser qu'il l'ignore. Selon le
dictionnaire Larousse, ce mot désigne «
l’hostilité à l’égard de l’islam et des
musulmans ». La « phobie », du grec «
phobos », désigne la terreur inspirée
par quelque chose d’épouvantable. Et en
français, la « phobie » accolée à ce qui
la provoque désigne sans ambiguïté une
hostilité viscérale, une répugnance
instinctive.
L’ « islamophobie »
n'est donc pas un terme neutre,
passe-partout, démonétisé parce qu'il
serait utilisé à tort et à travers. Ce
terme désigne une attitude de rejet des
musulmans en tant que musulmans, à
l'instar de la « judéophobie » qui
désigne à son tour le rejet, tout aussi
détestable, des juifs en tant que juifs.
En assumant le discours islamophobe, le
« printemps républicain » se jette
immédiatement dans l'abîme de ce qu'il
prétend dénoncer, il jette le soupçon
sur sa propre démarche et se discrédite
à peine sorti au grand air. Car il
brandit avec emphase l'étendard de
l'universalisme républicain, mais il
prend soin, aussitôt, d'extraire les
musulmans de son bénéfice. Portant la
contradiction à l'extrême, il désigne
comme bouc-émissaire des maux de la
société une population assignée à son
identité supposée, tout en prétendant
conjurer les affres du communautarisme.
Mais cet
universalisme de pacotille ne pèche pas
seulement par son incohérence manifeste.
Il est aussi à géométrie variable.
Apparemment sans concession, la
dénonciation du péril communautaire
admet en effet une exception notable. A
l'évidence, le « printemps républicain »
ne condamne les entorses à la laïcité
que lorsqu'elles viennent de l'islam,
oubliant au passage les compromissions
de l’État républicain avec une instance
communautaire dont l'influence politique
est nettement supérieure. Il est vrai
que la moindre critique à son égard,
ainsi qu'à l'égard de l’État étranger
dont elle défend bec et ongles les
intérêts, est désormais passible de
sanctions et poursuites en tout genre.
Cet accroc de taille au principe de la
neutralité confessionnelle de l’État,
visiblement, ne semble provoquer aucun
embarras chez ces partisans
intransigeants de la laïcité
républicaine.
Ajoutons, enfin,
que leur détermination affichée à lutter
contre le « terrorisme islamiste »
laisse perplexe. Tout en se flattant de
ce purisme idéologique à l'égard de
l'hydre islamiste, le « printemps
républicain » soutient un pouvoir
politique qui a livré des armes aux
factions djihadistes en Syrie et accordé
des distinctions honorifiques à ses
bailleurs de fonds saoudiens. Une fois
encore, ses affirmations doctrinales
sont le reflet inversé de ses pratiques
effectives. Comme Guy Mollet dans les
années Cinquante, il soutient
verbalement, la veille des élections, à
grand renfort de phrases pompeuses, le
contraire de ce qu'il fait au pouvoir.
La prochaine fois que le « printemps
républicain » enfourchera ce cheval de
bataille, le gouvernement sera inspiré
d'éviter, l'avant-veille, les
distributions de Légions d'Honneur aux
dynasties esclavagistes et misogynes qui
constituent désormais les « meilleurs
alliés » de la France au Moyen-Orient.
Car on avouera que,
pour un public non averti, cette
contribution « républicaine » à la
diffusion des Lumières et à
l'émancipation de la femme est
difficilement intelligible et
passablement obscure. Mais fort
heureusement, une hirondelle
républicaine ne fait pas le printemps !
Et la République, la vraie, se passera
aisément de ces zélotes à
l'intransigeance sélective et à l'échine
courbe.
Bruno Guigue (1er
avril 2016).
Bruno Guigue est un haut
fonctionnaire, essayiste et politologue
français né à Toulouse en 1962. Ancien
élève de l’École Normale Supérieure et
de l’ENA. Professeur de philosophie dans
l’enseignement secondaire et chargé de
cours en relations internationales dans
l’enseignement supérieur. Il est
l’auteur de cinq ouvrages et d’une
soixantaine d’articles. Aujourd’hui
professeur de philosophie, Bruno Guigue
est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont
« Aux origines du conflit
israélo-arabe, l’invisible remords de
l’Occident » (L’Harmattan, 2002).
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