The Independant
Yémen : silence, on tue
Betham McKernan
Des
milliers de civils tués, des millions de
réfugiés
Lundi 1er mai 2017
« Aidez-nous à mettre un terme à
cette guerre au lieu de tenir des
conférences « désolées » presque chaque
année ». Tels sont les propos des
Yéménites aux diplomates réunis pour une
conférence de 24 heures à Genève.
« Dans
l’ignorance du monde, la guerre
au Yémen déchire le tissu social du pays
», par Betham McKernan (revue de
presse: The Independent,- 25/4/17)*
Plus de 10 000
morts et approximativement 19 millions
de personnes ayant désespérément besoin
d’aide humanitaire dont 7,3 millions au
bord de la famine. Les chiffres de cette
guerre qui dure depuis deux ans sont
étourdissants mais ils ne traduisent pas
la souffrance du peuple au quotidien.
« Les chiffres
ne montrent pas l’aspect humain. Au
contraire de la Syrie, où les nouvelles
des destructions et des victimes
parviennent rapidement aux médias, les
Yéménites souffrent en silence » dit
Sherine Al-Traboulsi-McCarthy, chercheur
à l’Overseas Development Institute.
Avec les aéroports
et les frontières terrestres et
maritimes contrôlés par l’Arabie
Saoudite, aucun réfugié yéménite ne peut
rejoindre l’Europe. N’ayant aucun impact
significatif sur l’Occident, aucun acte
de violence n’y étant répertorié, le
conflit est resté largement invisible.
Les Nations Unies
évaluent à 2 milliards de dollars ce
qu’il faudrait pour empêcher ce pays de
s’effondrer, mais seulement 14% de cette
somme ont été versés par les pays
donateurs à cette date.
Souvent réduit à
des clichés comme « le pays le plus
pauvre du Moyen-Orient », l’identité
culturelle du Yémen de par sa position
unique entre le Moyen-Orient, l’Afrique
et l’Asie est plus riche et plus
complexe que ce qu’en donnent les
reportages de guerre.
L’Etat yéménite,
créé en 1990, a toujours été pauvre et
dévoré par les guerres mais son peuple a
montré sa résilience. Après le printemps
arabe de 2011 contre le président Ali
Abdallah Saleh, le Dialogue National de
2013, composé de douzaines de partis,
qui s’est engagé pendant des mois
semblait suggérer que le pays était sur
la voie de réformes politiques et
économiques. L’espoir était palpable.
« Après avoir été au bord de la guerre
civile, les Yéménites ont négocié un
accord en vue d’un changement pacifique,
le seul dans la région » observe
Jamal Benomar, envoyé spécial de l’ONU à
l’époque. « Le Dialogue National
avait établi un nouveau contrat social
et ouvert une nouvelle page dans
l’histoire du Yémen ».
L’accusation de
complicité de crime de guerre
Les rebelles
chiites Houtis, Al-Qaïda a et autres
insurgés ont continué leur travail de
sape de cette paix fragile qui a abouti,
cependant, au renversement du
gouvernement quand les Houtis se sont
emparés de Sanaa en 2014. Souvent
qualifiée de guerre par procuration
entre Téhéran et Riad, l’influence
iranienne sur les Houtis est très
surfaite. Les renseignements US pensent
que Téhéran a conseillé aux Houtis de ne
pas attaquer Sanaa, mais les objectifs
politiques des Houtis ne sont pas
clairs. Il n’en reste pas moins que
l’Arabie Saoudite et ses alliés ont, au
cours des deux dernières années, agité
le spectre de l’Iran pour justifier des
bombardements intensifs sur le pays à la
demande du président yéménite exilé
Abdallah Mansour Hadi, reconnu par la
communauté internationale. Les dommages
infligés l’ont été grâce aux armes
vendues au royaume saoudien par les
Occidentaux, la Grande Bretagne et les
USA, une décision que certains officiels
d’Obama à la Maison Blanche s’inquiètent
de l’accusation de complicité pour
crimes de guerre qui pourrait être
retenue.
L’étranglement
économique des Saoudiens, par le blocus
des ports et des aéroports, a empêché
l’importation de nourriture et de
médicaments et a visé l’infrastructure
vitale comme les routes et les ponts, et
même les hôpitaux ou les funérailles,
contribuant à la situation
catastrophique actuelle des Yéménites.
« Décrire les
choses que j’ai vues ces derniers mois
est douloureux» dit Tawfik al-Ganad,
écrivain et historien, à Beyrouth en
provenance du Yémen. Il décrit comment
les journalistes, des militants de la
société civile, sont devenus des cibles
d’assassinat ou d’enlèvement par des
sympathisants Houtis. « Non seulement
le peuple meurt de faim mais ceux qui
essaient de soulager la situation en
sont empêchés ». Pour Mansour Rageh,
collègue de M. Al-Ganad, au Sanaa
Research Center et cadre à la Banque
centrale du Yémen : « Habituellement,
les Yéménites sont là pour s’aider ;
vous pouvez toujours emprunter de
l’argent à vos amis ou obtenir d’eux et
de vos voisins ce dont vous avez
besoin…(…)… Mais maintenant, il n’y a
plus d’argent pour un prêt ; les
salaires n’ont pas été payés et tous
sont pauvres. C’est là un bouleversement
culturel qui détruit le corps de la
société yéménite et transforme la
manière dont les gens se traitent ».
Bien que bienvenue
à court terme, l’aide d’un montant de
116 millions promis à Genève
dernièrement par la Commission
européenne est insuffisant pour
permettre aux Yéménites de prendre le
contrôle de leur vie. « Nous
demandons que les Nations Unies
s’engagent sur un processus de paix bien
défini au Yémen. Une aide est inutile
aussi longtemps que la guerre est là.
Nous aider, c’est y mettre un terme et
non envoyer des armes ou tenir des
conférences « désolées » chaque année »
déclare Farid al-Muslimi, chercheur au
Middle East Institute de
Washington. « L’Arabie saoudite
s’efforcera de maintenir le Yémen à
flot, elle le maintiendra dans une
situation de nécessité constante. Leur
intérêt au Yémen est seulement de garder
le leadership et le pouvoir dans le
monde arabe. … (…)… Les Yéménites ne
veulent pas d’aide : ils veulent la paix
et la possibilité de reconstruire leur
pays pour eux-mêmes » dit Mme. Al-Traboulsi.
Traduction et
Synthèse : Xavière Jardez
Intertitre : AFI-Flash
Version originale :
The Independant
Le dossier
Yémen
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