Opinion
Vers la régionalisation de la rente -
pétrole - gaz - eau, du Golfe à l'Océan,
pour un monde apaisé en codéveloppement
durable
Bernard Cornut
Lundi 13 janvier 2014
Il y a cent ans l’Italie
envahissait la Tripolitaine, les guerres
balkaniques faisaient rage aux
portes de
Constantinople, les empires français et
allemand s’entendaient sur le dos du
Maroc et de l’Afrique
centrale, les Jeunes Turcs avaient déjà
accepté la séparation du Koweït de
l’empire ottoman,
suscitée par l’Empire britannique, et
des accords de concession divisaient la côte sud du Golfe.
Aujourd’hui
et depuis deux mois, des vents de
révolte et de liberté soufflent sur une
vaste région dont presque toutes les
frontières ont été tracées par les
européens. Avant, pendant et juste après
la « guerre européenne » de 1914 que les
empires français, anglais, allemand,
austro-hongrois et russe ont laissé
éclater en espérant se partager les bons
morceaux de l’empire ottoman
vieillissant : la Mésopotamie et son
pétrole, la Syrie dite
intégrale jusqu’au Taurus pour ses
mines de cuivre, la soie, le potentiel
hydraulique de l’Euphrate, la Palestine,
le port de Smyrne et les belles
oliveraies de la côte égéenne.
Au jeu des
dominos alternent aujourd’hui nations
pauvres et nations riches, en termes de
ressources fossiles et de densité
humaine. Non pas de 1 à 6 mais de 1 à 60
mille $ de PIB par personne entre le
Yémen et l’Arabie. Nulle réserve de
pétrole au Maroc mais sans doute 300
milliards de barils dans l’Iraq qui
résiste à une division recherchée. Le
petit Qatar a d’immenses réserves de
gaz, la Tunisie les aura bientôt
épuisées. Les ressources en eau par
habitant sont tout au bas de l’échelle
des nations dans le monde, souvent à
moins de 1000m3/an. Quelques tentatives
partielles de regroupement par le haut
n’allèrent guère audelà de réunions sans
suite économique. L’Union du Maghreb
Arabe se heurte au conflit du Sahara
occidental. Le périmètre de l’Union pour
la Méditerranée en a écarté
l’arrière-pays pétrolier et le bassin
amont du Nil.
Pourtant
grâce aux migrations du travail, à la
télévision et à internet, les sociétés
arabes sont plus en interaction que
l’Occident suffisant et protégé par ses
visas ne pouvait percevoir. La péninsule
arabique est déjà aux mains des
travailleurs et cadres yéménites,
égyptiens, soudanais, palestiniens qui
l’ont construite et la gère, mais depuis
les années 1980 leur souci n’était que
d’épargner pour envoyer de l’argent à
leurs familles. Du Maroc à Bahreïn, ce
n’était qu’une mosaïque « que la peur
unissait » sous des régimes durs,
corrompus et policiers au semblant
populiste. Néanmoins depuis quinze ans,
la télévision Al Jazira, sa belle langue
arabe moderne, ses documentaires et
reportages, et ses débats fougueux ont
revivifié les vieux souvenirs d’une
histoire commune et désormais les
opportunités d’un destin commun.
Le
sentiment d’injustice et le ressentiment
était et reste très largement partagé
dans les pays arabes. Plus fortement que
les cohortes de touristes et les
diplomates ne pouvaient le percevoir, le
ressentiment croissait envers les
classes dirigeantes liées à des pouvoirs
abusifs, mais aussi envers les
gouvernements occidentaux alignés
derrière les Etats-Unis, leur dollar et
leur dette colossale abusive, à l’abri
absolu de leur droit de veto au Conseil
de Sécurité, et flattant trop souvent
des régimes honnis. Dans les pays
riches, l’état rentier a pu financer
l’éducation, la santé et des emplois de
sinécure pour ses nationaux, pour éviter
les revendications sociales, sans
prélever d’impôts. Dans tous les pays,
des ressources importantes étaient
allouées à l’armée et aux services de
sécurité, hors de tout débat et contrôle
démocratique. De grands projets
servaient à dépenser et à générer des
commissions pour les classes
dirigeantes.
Pour
assurer un développement humain par une
éducation de qualité, et des emplois
diversifiés et durables, ni l’état
rentier ni un pays sans ressources ne
peuvent réussir. Au bout des révoltes en
cours, souhaitons qu’émerge une
perspective d’intégration régionale,
désirable et volontariste. Sur de
nouvelles bases de représentation
démocratique, à plusieurs niveaux
territoriaux pouvant assumer des
compétences subsidiaires, la vaste
région du Golfe à l’Océan a la chance de
ressources diversifiées et d’une langue
principale qui pourrait être commune en
quelques décennies de réformes
concertées. Après le Yémen et Bahreïn,
l'Arabie des émigrés arabes bougera; au
terme du processus amorcé, ne serait-il
pas juste et opportun de régionaliser
les rentes minières (pétrole, gaz…) et
aussi la rente hydrographique, en les
distribuant équitablement par personne.
A court
terme les nations actuelles seraient
dotées d’une part des recettes nettes de
l’exploitation du pétrole et du gaz
devenue compétence commune, en
proportion de leur population. Un
engagement commun viserait à faire
converger les fiscalités, et donc les
prix des carburants et du gaz, ce qui
éliminerait les contrebandes actuelles
aux frontières internes à la région, qui
amènent inexorablement aux trafics
d’armes, de drogues et de migrants.
Cette fiscalité définie en commun
inclurait une part environnementale,
pour doter les budgets des collectivités
locales chargées de réduire les
pollutions locales en améliorant la
gestion de l’eau, des transports publics
urbains, l’urbanisme et les bâtiments.
Elle prévoirait aussi une une dotation
de restauration environnementale à long
terme, pour assurer les travaux de
reforestation et de restauration des
terroirs dégradés, partout où c’est
utile et encore réalisable. Ceci peut
créer des millions d’emplois, pour
mettre un frein aux processus de
désertification et de concentrations
polluantes sur la côte méditerranéenne,
amorcés depuis très longtemps par des
empires inconscients, amateurs de bains,
de bronze, de céramique, de verreries et
d’or, puis de grosses voitures et de
climatisation d’immeubles inadaptés au
climat.
Voilà le
processus à quoi l’Union Européenne doit
contribuer, dans l’intérêt d’une
cohabitation du monde. La guerre mal
terminée de 14-18 pourrait ainsi enfin
se clore dans la justice et une
espérance commune.
Bernard
CORNUT (24/02/2011)
Parcoureur du Golfe à l’Océan depuis
1965, expert en environnement et
efficacité énergétique, ingénieur et
écrivain.
bernardcornut@orange.fr
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