Palestine
Les médias occidentaux
blanchissent la violence
israélienne
Ben White
Dimanche 6 mars 2016
Le mercredi février, l’armée
d’occupation israélienne a tiré sur Omar
al-Jawabreh, un jeune homme de 16 ans
vivant dans le camp de réfugiés de al-Arrub,
et l’a tué. L’armée a affirmé que ses
soldats ont ouvert le feu “en visant
les jambes des suspects” sur des
Palestiniens qui jetaient des pierres
sur les véhicules des colons, à
proximité du camp. L’incident, a affirmé
le porte-parole militaire, s’est produit
“pendant des activités de sécurité
de routine” de l’armée.
Les médecins de l’hôpital al-Mizan de
Hébron, ont pourtant affirmé que le
jeune homme a été tuée “pendant des
heurts dans le camp”. C’est aussi
la version de la population locale, qui
a raconté que Omar al-Jawabreh a trouvé
la mort pendant une confrontation “entre
des résidents du camp et les forces
israéliennes” qui faisaient un raid
dans le camp de al-Arrub. Des témoins
ont affirmé que les soldats ont affronté
“des douzaines de jeunes du camp,
après que l’armée ait envahi al-Arrub”.
D’autres ont ajouté, en parlant à des
journalistes palestiniens, que “les
soldats israéliens n’étaient pas exposée
à un danger imminent au moment où ils
ont tué Omar al-Jawabreh”. La
famille du jeune homme a décrit ce qui
s’est passé comme “un meurtre de
sang froid”.
Depuis le mois d’octobre 2015, les
médias occidentaux ont rendu compte des
événements en Palestine d’une manière
profondément distordue, se contentant
très souvent de répéter sans aucun
esprit critique les affirmations des
autorités israéliennes, et – quoique ce
soit souvent involontairement – en
minimisant, voire en passant totalement
sous silence, la violence coloniale
systématique et l’occupation militaire.
La manière dont l’agence Reuters a
rapporté la mort de al-Jawabreh, par
exemple, en constitue une parfaite
illustration. Pour commencer, l’article
de Reuters, et son titre, reposent
entièrement sur la version de
l’événement donnée par l’armée
israélienne, et si l’agence disposait
d’autres sources confirmant cette
version elle n’a pas pris la peine d’en
faire état.
“Les troupes israéliennes ont
ouvert le feu et tué un jeune
Palestinien, dont l’armée a déclaré
qu’il avait lancé des pierres sur des
véhicules israéliens circulant sur une
route en Cisjordanie occupée, ce
mercredi. Une porte-parole militaire a
dit que des troupes qui patrouillaient
près de la ville de Hébron, en
Cisjordanie, ont constaté que des jeunes
Palestiniens lançaient des pierres sur
des véhicules, sur une grand-route et
ont abattu l’un d’entre eux.”
Deuxièmement, voici comme l’agence a
rendu compte du contexte.
“Depuis le début d’une
recrudescence de la violence, en
octobre, 27 Israéliens et un citoyen des
États-Unis ont été tués lors d’une des
attaques pratiquement quotidiennes par
des Palestiniens, qu’il s’agisse
d’attaques au couteau, de coups de feu
ou d’usage d’une voiture bélier. Les
forces israéliennes ont tué 157
Palestiniens au moins durant la même
période, dont 101 étaient des
assaillants selon les autorités
israéliennes. D’autres Palestiniens sont
morts au cours de violentes
manifestations anti-israéliennes. Le
bain de sang a été en partie alimenté
par la frustration des Palestiniens face
à l’enlisement persistant des
pourparlers de paix et par la colère
devant ce qu’ils perçoivent comme un
empiètement juif croissant sur un
sanctuaire contesté de Jérusalem.”
Ce résumé ne contient rien à propos
du fait que 99% des “attaques”
enregistrées par l’agence de sécurité
israélienne, le Shin Bet, entre octobre
et janvier ont eu lieu à l’intérieur des
territoires palestiniens occupés, en ce
compris 87% de toutes les attaques au
couteau, réelles ou prétendues. Mais qui
plus est, les affirmations israéliennes
à propos des assaillants palestiniens
sont répétées sans la moindre distance,
en dépit des preuves – et des précédents
– que les versions des événements
présentées par les autorités
israéliennes ne sont pas dignes de foi.
Prenons par exemple cas de Fadi
Alloun, un Palestinien de al-Issawiya,
abattu par un officier de police
israélien près de la Porte de Damas [à
Jérusalem]. Les médias israéliens ont
rapporté qu’il avait été abattu alors
qu’il “essayait de fuir les forces
de sécurité qui avaient commencé à le
poursuivre. Après avoir refusé de lâcher
son couteau, les forces [de
sécurité] ont tiré et l’ont tué”.
C’était un mensonge. Alloun n’essayait
pas du tout de fuir, et il ne tenait
aucun couteau au moment où il a été tué,
ainsi que le montre une vidéo [1].
Dans les instants qui ont précédé sa
mort, les policiers ont été
incités par “de jeunes Juifs
Israéliens” à le tuer. Et selon ses
proches, “Alloun n’a jamais
poignardé qui que ce soit”.
Ensuite, il y a l’exécution de Fadel
al-Qawasmeh, 18 ans, habitant Hébron,
qui a été abattu par un colon israélien
en se rendant à son travail. Selon la
description donnée par Amnesty
International, “les militaires
israéliens ont affirmé qu’il avait un
couteau et avait l’intention de
poignarder le civil israélien, mais ils
n’ont produit aucune preuve à l’appui de
ces affirmations, en dépit du fait que…
l’endroit où l’incident a eu lieu est
étroitement surveillé par des caméras
appartenant aux forces israéliennes”.
al-Qawasmeh a franchi un checkpoint
israélien peu de temps avant d’être
abattu, “ce qui rend très improbable
…qu’il ait été en mesure de cacher un
couteau sur lui à ce moment”.
En novembre et décembre, des
militants des droits humains ont
identifié “un grand nombre
d’incidents” survenus durant les
mois précédents, au cours desquels “les
soldats, la police et des gardes privés
armés [sont] devenus juges,
jurés et bourreaux” d’auteurs de
prétendus assaillants palestiniens. Dans
certains cas, “l’usage qui a été
fait d’armes à feu semble excessif”,
et d’autres cas ont constitué “des
exécutions sommaires”. Comme l’ont
noté des agents de terrain des
Nations-Unies dans un rapport en
janvier, “les circonstances de
plusieurs incidents [de prétendues
attaques par des Palestiniens]
demeurent contestées”.
Le 9 décembre, les forcés
israéliennes opérant à un checkpoint
volant près de Ramallah ont arrêté
une voiture à bord de laquelle trois
jeunes Palestiniens, des frères âgés de
14,15 et 18 ans, se rendaient à l’école.
Après inspection, les soldats ont permis
au conducteur de continuer sa route et
aussitôt après ont tiré dans la vitre
arrière de la voiture. Un des enfants
aurait pu être tué. L’armée a par la
suite affirmé qu’un des garçons “avait
lancé un tournevis sur les soldats”,
affirmation qui n’est confirmée par
aucun élément de preuve, relève Amnesty.
Cependant, selon Reuters, chacun des
Palestiniens qui n’ont pas été tués dans
le contexte d’une attaque – ou d’une
prétendue attaque – est “mort durant
de violentes protestations
anti-israéliennes”.
Des Israéliens “sont tués”,
alors que des Palestiniens, eux, “meurent”
: même le vocabulaire suggère que la
faute en incombe aux “violents”
protestataires.
Mais pour quelles raisons les
manifestants palestiniens sont-ils
décrits comme “violents” –
est-ce parce que les jeunes jettent des
pierres ou des “cocktails Molotov”
? Reuters ne décrit certainement pas de
manière habituelle les raids des soldats
israéliens contre des villages
palestiniens comme “violents”,
et cela en dépit du fait que des gaz
lacrymogènes, des grenades
assourdissantes, des balles enrobées de
caoutchouc et des balles réelles sont
fréquemment utilisées. Et pourquoi les
manifestants sont-ils dits “anti-israéliens”
plutôt que “anti-occupation” ou
“pro-liberté” ?
Les médias
ont échoué à
rendre compte de
l’ampleur de la violence
infligée
par les forces
israéliennes
lors de
la répression
des protestations
par des civils
non armés
protestant contre
un demi-siècle
d’occupation militaire. Dès les deux
premières semaines d’octobre, le nombre
de morts palestinien a atteint 31, “dont
au moins 17 abattus lors de
manifestations”. En deux mois,
(octobre et novembre), 4.192
Palestiniens ont été atteints par des
tirs des forces israéliennes, soit avec
des balles réelles soit avec des balles
enrobées de caoutchouc.
En
janvier, les forces israéliennes ont tué
plus de 50 Palestiniens et en ont blessé
14.000 de plus, uniquement dans le
contexte de manifestations et durant des
raids [menés par les forces
israéliennes].
Examinons quelques cas. Entre le 9
octobre et le 14 novembre, les forces
israéliennes stationnées dans le
périmètre de la Bande de Gaza ont tué 14
manifestants palestiniens, dont 13 ont
été atteints par des tirs à balles
réelles. L’un d’entre eux était un
enfant de 10 ans “frappé dans le dos
par une balle réelle”. Au cours de
cette période de 5 semaines, 357
manifestants supplémentaires ont été
atteints par des tirs et blessés.
L’un des morts, pendant une
manifestation qui eut lieu le 9 octobre,
était Shadi, un électricien sur le point
de se marier. Selon le témoignage de son
frère, des soldats israéliens étaient
occupés à tirer à balles réelles sur la
foule des manifestants, “en
s’abritant derrière un tas de sable”
à une distance d’environ 60 mètres.
Shadi a été atteint à l’abdomen et “il
est mort avant même d’atteindre la salle
d’opérations” de l’hôpital.
Les ruines
de la maison de la famille Hassan,
bombardé à deux heures du matin le 11
octobre 2015. Photo Khaled al-‘Azayzeh,
B’Tselem.
Les médias semblent aussi avoir déjà
tout oublié à propos du bombardement par
la force aérienne israélienne de la
maison de la famille Hassan, à Gaza le
11 octobre. Cette attaque aérienne a eu
lieu à 2 heures du matin, et a coûté la
vie à une mètre enceinte, nommée Nur, et
à un enfant de trois ans, Rahaf. La
maison a été complètement détruite. Un
porte-parole de l’armée a affirmé que
cette attaque visait “des sites de
production d’armes”, une
affirmation que l’ONG israélienne de
défense des droits humains
B’Tselem a déclarée “inappropriée”.
En Cisjordanie, pendant ce temps, les
forces israéliennes ont tué un écolier
palestinien de 13 ans, Abdel-Rahman
Shadi Obeidallah. Il se trouvait avec un
ami dans le camp de réfugiés de Aida,
dans le nord de Bethléem, lorsque des
soldats ont ouvert le feu. Le 11
novembre, des soldats israéliens ont tué
un autre enfant, âgé de 16 ans, Ibrahim
Dawoud, atteint d’une balle dans le cœur
au cours d’une manifestation à proximité
d’un checkpoint au nord de Al-Bireh.
Ou bien prenons le cas de la mort de
Srour Ahmad Abu Srour, 21 ans, atteint
dans la poitrine par une balle réelle
tirée par les forces israéliennes au
moment où elles entraient dans Beit Jala,
envahissant des immeubles et
établissant un checkpoint
temporaire. Dans un article de la presse
israélienne, il était noté en passant
que le jeune homme avait été tué “après
avoir jeté des pierres sur les troupes”.
Autrement dit, Abu Srour était un civil
non armé tué pendant qu’il protestait
contre la présence des troupes
d’occupation dans sa ville. Dans les
médias, il n’est rien de plus que “un
autre mort durant des affrontements”.
La mort de Nashat Asfour, le 8
décembre, a quelque chose d’encore plus
perturbant. La version de l’événement
présentée par le porte-parole militaire,
dont les propos ont été cités par Gideon
Levy dans Haaretz, est la suivante : «Il
y a eu un important trouble de l’ordre
public près du village de Sinjil, durant
lequel des forces de l’armée dans la
zone a tiré des coups de feu, selon la
“procédure de détention de suspects”. Un
rapport faisant état de la mort d’un
Palestinien a été reçu dans le courant
de la journée, mais le rapport médical
n’a pas encore été réceptionné. Les
circonstances entourant l’incident font
l’objet d’une enquête, après laquelle
l’auditorat militaire décidera de ce
qu’il y a lieu de faire».
En fait, ainsi que Gideon Levy le
décrit
dans le même article, le père de trois
enfants a été abattu alors qu’il était
en route pour se rendre au mariage d’un
de ses amis. Il était aux environs
de 16 heures. Quelques heures plus tôt,
des forces israéliennes avaient traversé
Sinjil, et des jeunes leur avaient lancé
des pierres. Un certain nombre de
soldats étaient restés positionnés dans
le village, et il y avait eu encore
quelques jets de pierres sporadiques.
Alors que Asfour marchait, un soldat
israélien a tiré une unique balle sur
lui, d’une distance de 150 à 200 mètres.
Il a été atteint à l’estomac, et la
balle est ressortie dans son dos. Il est
mort à l’hôpital.
Il n’y a rien de nouveau dans le fait
que les autorités israéliennes mentent
ou fassent des déclarations trompeuses à
propos des circonstances dans lesquelles
des Palestiniens ont été tués.
Lorsque deux adolescents palestiniens
ont été tués pendant une manifestation
du “Jour de la Nakba” en 2014,
les enquêteurs militaires ont suggéré
que “les balles ont pu être tirées
par des Palestiniens”, et des “officiers
supérieurs israéliens ont affirmé que
les vidéos de la fusillade qui avaient
déclenché un tollé étaient probablement
truquées”. En fin de compte, un
officier de la Police des frontières fut
accusé du meurtre de Nadim Nuwara, 17
ans. Néanmoins, s’il n’y avait pas eu
une vidéo, des preuves médico-légales et
la détermination farouche de la famille
et de militants des droits humains, ces
morts seraient devenues comme tant
d’autres des cas de décès dans des
conditions “contestés” durant “des
affrontements”.
En juillet de l’année dernière, un
colonel israélien a tiré sur Muhammad
Kasbeh, 17 ans, et l’a tué, après que
des jeunes Palestiniens aient lancé une
pierre sur sa jeep, non loin du
checkpoint de Qalandiya. A
l’époque, un porte-parole de l’armée
affirma que l’officier “avait
ressenti un danger mortel et avait mise
en œuvre la procédure d’arrestation d’un
suspect”. Des officiels israéliens
décrivirent le jet de pierres comme une
embuscade préméditée. Or, une vidéo
obtenue par l’ONG
B’Tselem est venue confirmer les
déclarations des témoins et des médecins
: Kabeh a été tué au moment où le
colonel sortit de sa jeep et tira dans
le dos du jeune homme qui s’enfuyait, à
trois reprises.
Maintes et maintes fois, il a donc
été prouvé que les déclarations des
autorités israéliennes sont peu fiables,
voire franchement malhonnêtes, quand
elles rendent compte de meurtre(s) de
Palestiniens, à propos d’assaillants ou
de prétendus assaillants ou du contexte
de manifestations ou de raids. Et
pourtant, Reuters comme d’autres agences
de presse et publications continuent à
prendre les déclarations de l’armée
israélienne pour argent comptant.
Ce faisant, et en faisant silence sur
des éléments cruciaux du contexte, les
médias nient la légitimité d’une révolte
anti-coloniale, “blanchissent”
la violence exercée par l’armée
d’occupation et masquent l’existence de
l’occupation elle-même.
Cet article a été publié par “Palestine
Square – the blog of the Institue for
Palestine Studies”, sousle titre
“Western Media Whitewashes Israeli Violence”.
Traduction : Luc Delval
Ben
White est l’auteur de plusieurs
ouvrages, dont : Être
Palestinien en Israël
Ségrégation, discrimination et
démocratie (Ed. La Guillotine –
ISBN 9782954380612) et
Israeli Apartheid: A Beginner’s
Guide.
Ses articles ont été publiés par divers
médias, dont Middle East Monitor,
Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post,
The Electronic Intifada et The
Guardian.
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