Palestine
Le « laboratoire » Gaza booste les
profits
de l’industrie de guerre d’Israël
Gabriel Schivone
Gaza fonctionne
comme une zone de tests en conditions
réelles pour les fabricants d’armes
israéliens
Mohammed Zaanoun ActiveStills
Dimanche 7 octobre 2018
Gabriel Schivone
The Electronic Intifada 5 octobre
2018
Ayant exploré le
vaste régime de surveillance le long de
la frontière Etats-Unis—Mexique et
trouvé des systèmes israéliens installés
à chaque tournant, l’écrivain
Todd Miller et moi-même étions
poussés à investiguer Israël en tant que
plus grande industrie de sécurité
intérieure du monde. L’industrie
d’armement d’Israël est deux fois la
taille de son homologue américaine en
exportations par habitant et emploie un
pourcentage de la force de travail
nationale qui est le double de celui des
Etats-Unis ou de la France, deux des
plus importants exportateurs globaux
d’armes.
Pendant notre
voyage en 2016, il ne nous a pas fallu
longtemps pour cibler quelques-uns des
industriels les plus entreprenants
d’Israël, qui nous ont dit comment ils
faisaient en contrôlant une zone à peu
près de la taille de New Jersey.
Notre premier jour
sur place, tout en assistant à une
conférence annuelle sur les drones, nous
avons rencontré Guy Keren, un homme
charismatique d’âge moyen, PDG d’une
firme de sécurité intérieure israélienne
appelée iHLS. L’iHLS de Keren avait
organisé la conférence sur les drones.
Quelques jours plus
tard, nous étions assis avec Keren dans
les quartiers généraux alors flambant
neufs d’iHLS dans la ville de
Raanana, sur la côté
méditerranéenne, une ville connue pour
sa zone industriel high-tech. Nous lui
parlions dans la salle de conférence aux
allures de bocal à poisson au-dessus du
laboratoire informatique de la
compagnie.
Au-dessous de nous,
des bandes de techniciens juniors
tapaient avidement sur leurs claviers.
Ce
Complexe du phare, nous dit Keren,
pouvait héberger jusqu’à 150 start-ups.
Keren a expliqué
comment la bande de Gaza offre à Israël
—et iHLS – un avantage compétitif sur
d’autres pays à cause des opportunités
en temps réel de tester de nouveaux
produits l’année durant. Israël a gagné
le surnom de « nation start-up » parmi
les élites d’affaires du monde entier.
Une boîte de
Petri humaine
Nous avons demandé
à Keren pourquoi l’industrie
technologique d’Israël fonctionne à un
étonnant niveau de productivité,
particulièrement dans le secteur
militaire.
« Parce que nous
testons nos systèmes en conditions
réelles », a-t-il dit. « Nous
sommes dans une situation de guerre tout
le temps. Si cela n’arrive pas juste
maintenant, cela arrivera dans un
mois ».
« Il ne s’agit pas
seulement de construire la technologie »
et d’avoir à attendre des années pour
tester les systèmes, nous a dit Keren.
Le secret du succès du secteur tech
israélien, a-t-il expliqué, est dans le
fait de pouvoir « faire opérer la
technologie plus vite que n’importe quel
pays en conditions réelles ».
Keren n’est pas le
premier à faire cette connexion. Gaza
est perçu largement comme une boîte de
Petri humaine —pour améliorer la
capacité de tuer et cultiver des
méthodes de pacification — chez les
influenceurs et décideurs des secteurs
high-tech et militaires israéliens.
Quand Roei Elkabetz,
un brigadier général de l’armée
israélienne,
a pris la parole à une convention de
spécialistes en technologie des
contrôles de frontière en 2012 à El
Paso, Texas, il a projeté sur l’écran
une photo du mur, construit par Magal
Systems, qui isole Gaza du monde
extérieur.
« Nous avons appris
énormément de Gaza », a-t-il dit.
« C’est un laboratoire génial ».
Leila Stockmarr,
une universitaire danoise, a assisté aux
mêmes sortes de salons de sécurité
israéliens que Todd Miller et moi.
« Comme la plupart des représentants de
compagnies que j’ai interviewé l’ont
dit, il est central pour les capacités
militaires et policières de pointe
d’Israël que les nouvelles pièces de
technologie soient développées et
testées dans une situation concrète pour
contrôler une population, comme dans la
bande de Gaza », écrit-elle dans son
essai de 2016, « Au-delà de la thèse du
laboratoire : Gaza comme courroie de
transmission pour la technologie de
guerre et de sécurité ».
Ajustement
fin en temps réel
Comme un
représentant d’une entreprise de
sécurité majeure l’a dit à Stockmarr : «
Dès qu’une commande est faite par
l’armée israélienne, et après un
déploiement initial sur le terrain, les
départements techniques de l’entreprise
sont souvent contactés avec des demandes
pour des corrections ou des réglages
basés sur l’expérience. Donc chaque fois
que l’armée utilise une technologie de
sécurité intérieure israélienne, elle le
teste automatiquement. Les entreprises
bénéficient beaucoup de cela et chaque
fois qu’une nouvelle commande est
passée, ce feedback du champ de bataille
est injecté pour améliorer la procédure
d’appel d’offres et garantir la qualité
et l’efficacité ».
De manière
inhabituelle pour l’industrie d’armement
d’un pays, Israël a un laboratoire dans
un territoire qu’il occupe —Gaza— tout
près des établissements de production de
ses armes et de sa technologie de
surveillance. L’engagement dans la Bande
de Gaza, comme Stockmarr l’a remarqué en
2016, aide les entreprises à engendrer
et à raffiner de nouvelles idées et à
peaufiner les lignes de production.
En avril 2018, Saar
Koursh, alors PDG de Magal Systems –un
candidat pour les additions proposées
par le président Donald Trump à
l’infrastructure de surveillance sur la
frontière Etats-Unis-Mexique– a même été
signalé comme ayant décrit Gaza
comme un « showroom » pour les
« barrières intelligentes » de
l’entreprise, dont les clients
« apprécient que les produits soient
testés sur le champ de bataille ».
Stockmarr note que
les Palestiniens de Gaza eux-mêmes ont
leur rôle dans la phase de tests, jouant
« un rôle crucial » dans ce cycle de
l’industrie de sécurité intérieure :
« Pour évaluer un produit donné,
l’inclusion systématique des réponses
des populations ciblées aux nouvelles
technologies de sécurité sont cruciales
pour les acheteurs étrangers ».
De nombreux clients
globaux sont acquis à l’idée, au moins
si l’on en croit la marge de profit.
« Les actions cotées aux Etats-Unis de
Magal ont fait un bond fin 2016 lorsque
Trump a parlé d’un mur-frontière avec le
Mexique », selon Bloomberg.
Et pendant le
premier mois de l’attaque israélienne de
2014 sur Gaza, le prix de l’action de la
plus grande entreprise d’armes d’Israël,
Elbit Systems,
a augmenté de 6.1 %. Plus de 2 200
Palestiniens ont été tués dans
l’attaque.
Une expérience
sans fin
Cette année, depuis
que les manifestations de la
Grande Marche du retour ont
commencé, le 30 mars,
la dernière ligne israélienne de
drones de contrôle de foules à faire ses
débuts à Gaza inclut le drone dénommé de
manière appropriée « la mer de larmes »
– un drone-caméra chinois produit
commercialement et modifié par la police
israélienne pour émettre des gaz
lacrymogènes sur les foules en-dessous –
et le Drone Shocko qui déverse de l’«
eau de moufette » sur les
manifestants.
Le ministre de la
santé de Gaza a observé au cours de six
derniers mois les effets humains des
balles papillons – qui explosent à
l’impact. Elles font partie des balles
les plus léthales qu’Israël ait jamais
utilisées.
Le personnel de
Médecins sans frontières a traité des
blessures de balles de type papillon
dans
50 % de plus de 500 patients qu’ils
ont traités pendant les manifestations.
La plupart des
manifestants qui n’ont pas été tués
immédiatement ont été sévèrement
blessés, faisant gagner aux balles
papillons un nouvelle place dans la
longue histoire de l’armée israélienne
des
pratiques de tirer-pour-mutiler, que
Jasbir K. Puar détaille dans son livre,
The Right to Maim: Debility, Capacity,
Disability [Le droit de mutiler :
souffrance, capacité, invalidité.
Au premier octobre,
plus de
150 Palestiniens ont été tués dans
la Grande Marche du retour, y compris 30
enfants. Plus de 10 000 ont été blessés,
la moitié par des balles réelles.
Pendant ce temps,
de retour à la zone industrielle de
Raanana, Keren et son équipe dans les
bureaux climatisés d’iHLS s’activent à
développer les prochains acteurs de
l’industrie d’armement d’Israël, mettant
à jour leurs systèmes et étendant leurs
marges de profit.
Gabriel M.
Schivone est chercheur invité à
l’université d’ Arizona et l’auteur du
livre à paraître MakingtheNew “Illegal”:
How Decadesof US Involvement in Central
AmericaTriggeredtheModern
Traduction CG pour
Campagne BDS France Montpellier
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