Opinion
Le Mossad israélien et ses alliés
saoudiens "modérés"
Asa Winstanley
Photo:
D.R.
Mardi 2 décembre 2014
Cette semaine, dans le journal
Haaretz,
l'article de l'ancien directeur du
Mossad Shabtai Shavit donnait des
indications utiles sur la pensée et la
stratégie d'un certain segment très
influent des élites sionistes libérales.
Dans mon précédent article, j'ai
examiné ce que Shavit avait à dire sur
les BDS, le mouvement de boycott,
désinvestissement et sanctions contre
Israël, dirigé par des Palestiniens.
L'ancien chef de l'espionnage estimait
que les BDS faisaient partie de « la
masse critique des menaces à notre
encontre ».
Un second aspect remarquable de
l'article, c'est qu'il argumentait
explicitement en faveur d'une alliance
ouverte avec des dictatures tyranniques,
financées par les États-Unis, dans le
Moyen-Orient, et « dirigées par
l'Arabie saoudite et l’Égypte ». De
façon grotesque, Shavit qualifie ces
régimes d'oppression d'« États
arabes modérés ».
Quelle mauvaise plaisanterie ! La
monarchie absolue de l'Arabie saoudite
est le pire État intégriste islamique,
le plus fanatique et le plus puissant au
monde. Des décennies de soutien solide
de la part des États-Unis et du
Royaume-Uni à ce régime despotique
rendent ridicule la prétention de
l'Occident de vouloir combattre les
forces du sectarisme et de l'intégrisme
religieux quand il part en guerre contre
l'« État islamique » en Syrie
et en Irak, ou contre les Talibans en
Afghanistan.
En fait, les États-Unis et le
Royaume-Uni ne s'opposent à ces entités
que pour des raisons cyniques de pouvoir
– il se fait qu'elles constituent de
petites menaces, mais bien réelles,
contre l'hégémonie régionale des
États-Unis. Le régime saoudien a la même
idéologie que l'« État islamique
», mais avec une stratégie
différente, proaméricaine.
Voici quelques mois, le chercheur et
activiste saoudien dissident Faud
al-Ibrahim a montré dans un article
important publié dans le journal
libanais al-Akhbar que le
groupe « État islamique »
partage exactement la même vision
déformée de l'Islam que l’État saoudien,
le wahhabisme.
Bien qu’al-Qaïda et, plus tard, l'«
État islamique » rejettent
aujourd'hui l’État saoudien, cette
querelle porte sur des différences avant
tout mineures et/ou tactiques plutôt que
théologiques ou idéologiques. Ces
opposants « l'ont critiqué [Ibn
Saoud, fondateur de l’État] parce qu'il
avait négligé l'obligation de djihad »
et qu'il avait introduit des
innovations (bidah) comme la
transmission sans fil et le télégraphe
dans le pays de l'Islam ».
En outre, « les sites internet de
l’État islamique (...) révèlent
l'identité idéologique du groupe (...),
les écrits de Mohammed ibn Abdelwahhab
[cofondateur de l’État saoudien], comme
Le livre de l'unicité, L'élucidation des
équivoques, Les détracteurs de l'islam
et autres, sont distribués dans les
zones sous contrôle de l’État islamique
et sont enseignés et expliqués dans des
classes privées de religion tenues par
le département éducatif de
l'organisation ».
Voilà le type de régime que les élites «
libérales » israéliennes comme
Shavit considèrent comme « modéré
» - un régime aux bases
idéologiques identiques à celles des
tueurs fanatiques du prétendu État
islamique.
L'Arabie saoudite est un État «
modéré » qui n'a aucune liberté
d'expression, condamne à mort ses
critiques et ennemis de secte, où les
femmes sont privées des droits les plus
élémentaires, où les travailleurs
immigrés sont traités comme des esclaves
et punis de centaines de coups de fouet,
et où la peine capitale (pour de
prétendus délits comme le trafic de
drogue ou la « sorcellerie »)
est appliquée par décapitation (en
grande partie à l'instar des zones
contrôlées par l’État islamique).
La liste des abus est interminable.
Voilà le type de despotisme fanatique
que les fanatiques sionistes comme
Shavit veulent que nous considérions
comme « modéré ». Rien ne
pourrait mieux démontrer à quel point le
terme s'est politisé dans le
traditionnel discours occidental.
Dans son article d'opinion, Shavit
prétend qu'Israël devrait renvoyer les
exigences internationales en faveur des
droits palestiniens en se servant de
nouvelles négociations régionales
dirigées par les régimes despotiques
saoudien et égyptien. Le point essentiel
de cette alliance renouvelée semble être
d'ôter aux Palestiniens la possibilité
de négocier autre chose que leur propre
destinée. Israël devrait « ouvrir un
canal secret de dialogue avec les
États-Unis afin d'examiner cette idée »,
insiste Shavit.
J'ai prétendu antérieurement que, ces
quelques dernières années, une alliance
de plus en plus ouverte entre les
Israéliens et les Saoudiens se
déployait. L'alliance représente ce que
j'appelle une « contre-révolution
permanente » dans la région.
Tant que les régimes despotiques
saoudien et israélien n'auront pas été
renversés, toute forme de progrès vers
une vraie démocratie et une
autodétermination économique dans le
monde arabe sera susceptible d'être
étouffé dans l’œuf – comme nous l'avons
vu en 2011, lorsque l'argent saoudien et
l'agitation diplomatique israélienne ont
fait irruption dans la région afin de
déjouer des soulèvements populaires
contre des dictatures soutenues par
l'Occident.
Publié le 28 novembre 2014 sur
Middle East Monitor.
Traduction pour le site de la
Plate-forme Charleroi-Palestine : JM Flémal.
Asa Winstanley est
un journaliste freelance installé à
Londres et qui a vécu en Palestine
occupée, où il a réalisé des reportages.
Son premier ouvrage : Corporate
Complicity in Israel’s Occupation (La
complicité des sociétés dans
l’occupation israélienne) a été publié
chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine
is Still the Issue (La Palestine
constitue toujours la question) est
publiée chaque mois. Son site Internet
est le suivant :
www.winstanleys.org
Les dernières mises à jour
|