France
Théo et les autres,
ou le racisme institutionnel en France
Annamaria Rivera
Mardi 14 février 2017
Traduit par
Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو
جيوديشي
La
pratique du contrôle d'identité au
faciès, comme on dit dans l'Hexagone,
c'est-à-dire en fonction de la
"couleur", l'apparence, l'aspect
extérieur, la façon de se vêtir, l'
origine nationale ou la foi religieuse
présumée, est une des pratiques
policières françaises (et autres) si
enracinée, coutumière et systématique
qu'elle a résisté jusqu'ici aux
condamnations de tribunaux, aux
mobilisations de la société civile, aux
appels des organisations
internationales, aux rapports et
enquêtes, même de l'Union européenne. Si
bien qu'elle n'a même pas été égratignée
par le fait que le 9 novembre 2016,
la Cour de cassation française ait
condamné définitivement l'État pour
cette pratique discriminatoire.
Et
c'est d'un contrôle au faciès
particulièrement brutal, qu'a été
victime Théo, 22 ans,
d'Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis
(Île-de-France), à quelques kilomètres
de Paris, le 2 février dernier. Les
quatre agents qui l'interpellent
soumettent le jeune
homme à un tabassage
ponctué d'insultes racistes, au cours
duquel l'un d'eux en arrive à le
sodomiser avec une matraque, causant des
blessures si graves qu'elles nécessitent
une intervention chirurgicale d'urgence.
Comme preuve des faits il y a une vidéo
rapidement rendu publique : elle
provient des caméras de surveillance,
devant lesquelles Théo s'était
délibérément déplacé ès son
interpellation par
les agents. Bien que mis en examen (les
preuves sont écrasantes), l'un pour
viol, tous quatre pour violence
en groupe, les policiers restent pour le
moment en liberté, suspendus
temporairement de leur service, mais
avec maintien de leur salaire.
Théo
n'est pas la première victime d'une
telle forme extrême de sadisme de la
part des forces de l'ordre. Le 20
février on attend la sentence pour un
cas similaire survenu le 26 octobre 2015
à Drancy, aussi en Seine-Saint-Denis.
Un homme de 28 ans avait été
interpellé, menotté et brutalisés par
trois agents de la police municipale,
dont l'un, selon l'acte d'accusation,
l'avait sodomisé avec une matraque
télescopique.
Très
récemment, le 20 janvier, c'est Maxem,
un lycéen de seize ans, qui a fait les
frais d'un contrôle au faciès musclé :
arrêté par trois policiers au Raincy,
toujours en Seine-Saint-Denis, il reçoit
des coups de poing, est presque
étranglé, et - ça va sans dire –
abreuvé d'insultes racistes, étant
«d'origine asiatique". Enfin, conduit au
commissariat de police de Bobigny, il
est détenu pendant dix-sept heures sans
nourriture ni eau,
sans possibilité de
se reposer. Pour confirmer le témoignage
direct de Maxem - qui a également posté
un selfie avec des signes évidents du
tabassage -, il y a deux vidéos: la
première, aussi dans ce cas, provenant
des caméras de surveillance, la seconde,
d'un témoin oculaire des violences.
À
cette galerie des horreurs du racisme
d'État, il convient
d'ajouter une autre affaire récente,
celle d'Adama Traoré, vingt-quatre ans,
d'origine malienne, mort le 19 juillet,
2016, dans des circonstances plutôt
obscures, à la gendarmerie de Persan
(dans le Val-d'Oise , également en
Île-de-France), quelques heures après
avoir été interpellé par trois gendarmes
à Beaumont-sur-Oise. Bien qu'il se soit
plaint de ne pas pouvoir respirer, il a
été forcé, menotté comme il était, de
rester couché en plein soleil dans la
cour de la gendarmerie. Finalement, il
perd connaissance et meurt asphyxié,
peut-être par compression thoracique :
une source judiciaire a révélé que les
trois gendarmes l'auraient écrasé avec
tout le poids de leur corps, selon une
méthode assez souvent pratiquée par la
police. Mais,
selon le procureur, Adama serait
mort d'une affection cardiaque.
Quant
à la pratique de la sodomisation
et autres violences sexuelles,
elle a un précédent «historique», et de
poids : pour ce cas, la France a été
condamnée par la Cour de Strasbourg pour
usage de la torture. La victime –inutile
de le préciser - était une personne
«d'origine immigrée»: Ahmed Selmouni, 49
ans, à double nationalité, marocaine et
néerlandaise. Le contexte est le même :
le département de la Seine - Saint -
Denis, plus précisément Bobigny. Ici, le
25 novembre 1991, Selmouni, arrêté par
la police dans une enquête pour trafic
de drogue, a été arrêté et interrogé au
commissariat de police pendant trois
jours, pendant lesquels il est massacré
de coups, et pas
seulement ça : cinq policiers urinent
sur lui, le forcent à une fellation, et
enfin – pour ne pas changer - le
sodomisent avec une
matraque. Pendant sa garde à vue, il a
été visité six fois par des médecins qui
détectent des
signes de violence sur tout son corps
.
Les
cinq policiers ne seront jugés et
condamnés par un tribunal qu'en février
1999. Mais au mois de juin de la même
année, la Cour d'appel de
Versailles va réduire considérablement
les peines à quelques mois. Un mois plus
tard, la Cour européenne des droits de
l'homme, comme cela a été dit, va
condamner laFrance en
vertu des articles 3 et 6§1: à savoir
pour avoir pratiqué la torture et
infligé des traitements inhumains et
dégradants, ainsi que pour violation du
droit à un procès équitable dans un
délai raisonnable.
http://www.altrodiritto.unifi.it/ricerche/carcere/gori/cap2.htm
Pour
faire de l'humour noir, on pourrait se
demander si la
formation des forces de l'ordre, en
particulier celles de
la Seine - Saint - Denis, intègre
l'utilisation de la violence sexuelle
contre les interpellés qui ne sont pas
franco – français, de
préférence avec un outil professionnel
de dernière génération comme la matraque
télescopique.
Sanaa-K
Au -
delà du sarcasme, on est en droit de se
demander quelle est la part de l'
héritage colonial non seulement dans les
contrôles d'identité au faciès et dans
l'acharnement répressif et raciste
envers les descendants des colonisés,
mais aussi, en particulier, dans la
pratique de l'humiliation et de
l'anéantissement de l' estime de
soi par le viol mécanique. À cet égard,
il convient de rappeler que, pendant la
guerre d'Algérie les séances de torture
infligées aux résistants comprenaient
également la sodomisation avec des
matraques et des canons de pistolets. Et
que le viol des femmes, mais aussi des
hommes, faisait partie d'une stratégie
militaire à l'enseigne de la terreur.
Il a
longtemps qu'en France les gens racisés
subissent un tel traitement: il est si
quotidien et systématique que l'ont peut
dire (avec une expression un peu
galvaudée, mais appropriée dans ce cas)
que l'état d'exception est désormais
devenu permanent. L'état d'urgence en
vigueur depuis le 14 novembre 2015, avec
le durcissement de la répression qu'il a
entraîné, n'a fait qu'accentuer
l'opacité et l'impunité habituelles de
ces pratiques policières.
Il
n'est donc pas étonnant que, dans
les "zones urbaines sensibles " (ZUS),
chaque épisode de ce genre soit suivi de
manifestations pas toujours pacifiques.
Que cette colère et cette humiliation
s'expriment sous des formes de
protestation ou de révolte collectives,
parfois marquées par
des débordements, est une
chose qui devrait être considérée
comme moins grave que le risque que les
mortifications et la rage quotidiennes
conduisent certains au djihadisme. Et
pourtant, même dans ces cas, la réponse
est purement répressive, avec des
arrestations souvent arbitraires ou
excessives. Et il n'existe pas non plus,
pour le moment, de sujets politiques
susceptibles de donner aux
protestations un sens et un
débouché politiques rationnels et de
longue haleine...
En
passant, il convient de noter que, sur
une échelle beaucoup plus petite, le
même aveuglement est affiché par une
grande partie de l' information
italienne, même celle grand public,
qui ne rend compte, la plupart du
temps avec du retard, d'incidents très
graves comme le supplice infligé à Théo
que lorsque des
protestations plus ou moins violentes
suivent les bavures policières. Et cela
donne lieu à des récits
sensationnalistes, immanquablement
titrés selon le stéréotype de la
"révolte dans les banlieues» (écrit
parfois sans même le e
final).
En
outre, il n'y a pas lieu de s'étonner
que la haine des flics monte et se
renforce dans les cités. Ceux-ci ne sont
d'ailleurs pas les seuls à pratiquer le
mépris et le racisme envers les
habitants de ces quartiers, en
particulier pour les jeunes non
franco-français. L'Hexagone a une longue
tradition de dirigeants coutumiers de
petites phrases et de noms d'oiseaux
à leur égard. Un vrai spécialiste
dans ce domaine était Nicolas Sarkozy,
en particulier en 2005, en tant que
ministre de l'Intérieur. Son racaille
pour définir les jeunes difficiles d'un
quartier sensible d'Argenteuil
(Val-d'Oise) est presque devenu un
classique. Tout comme la malheureuse
métaphore par laquelle il promettait de
"nettoyer au karcher" une cité
problématique de La Courneuve
(Seine-Saint-Denis).
Deux
jours après sa promesse, le 27 octobre
2005, à Clichy-sous-Bois
(Seine-Saint-Denis, encore une fois),
Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15
ans, meurent électrocutés par un
transformateur d'une cabine électrique,
où ils avaient trouvé refuge dans une
tentative d'échapper à un contrôle de
police au faciès. Ce qui va déclencher
la révolte longue et étendue du
prolétariat juvénile métropolitain,
qu'on évoque encore souvent, mais dont
on n'a cependant jamais tiré de leçon.
Presque rien n'a changé depuis. Au
contraire : l'état d'urgence, la crise
économique, le chômage galopant des
jeunes comme la discrimination et le
racisme, ainsi que la croissance
exponentielle du Front national et
d'autres formations d'extrême-droite
Front national, tout cela ne laisse rien
présager de positif pour les «indigènes
de la République". Ceux-ci semblent
voués à une condition de quasi-caste,
comme l'a écrit en son temps la
sociologue féministe Christine Delphy,
privés qu'ils sont non seulement de
dignité, de respect et d'égalité, mais
aussi de tout espoir de mobilité
sociale. Il suffit de rappeler, encore
une fois, qu'un-e jeune qui a un nom à
consonance arabe ou sub-saharienne a
beaucoup moins de chance d'être appelé-e
à un entretien d'embauche, par rapport à
un-e Franco-français-e de même âge et de
même niveau de formation.
Pourtant, quelques indices positifs
peuvent s'entrevoir en marge des
épisodes, si terribles, que nous avons
évoqué. Aujourd'hui la racaille
ne semble plus avoir peur de dénoncer
les violences policières subies et met
en œuvre des formes d'auto-défense
qui ne sont qu'en apparence
secondaires, comme
celle consistant à s'en procurer des
preuves, préventivement.
Merci
à Tlaxcala
Source:
http://temi.repubblica.it/micromega-online/theo-e-gli-altri-ovvero-il-razzismo-istituzionale-in-francia/?refresh_ce
Date de parution de l'article original:
11/02/2017
URL de cette page:
http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=19895
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