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IRIN
Aide européenne aux Palestiniens :
providence ou entrave ?
Andreas Hackl
Photo: Ahmed Dalloul/IRIN
Lundi 24 février 2014
JÉRUSALEM, 24 février 2014 (IRIN) -
L’Union européenne (UE) est de longue
date l’une des sources internationales
d’aide humanitaire, économique et
politique les plus fiables pour les
territoires palestiniens occupés,
auxquels elle a consacré 426 millions
d’euros (575 millions de dollars) rien
que pour l’année 2013.
En 2011, la totalité de l’aide
internationale au développement destinée
aux territoires occupés a atteint les
2,5 milliards de dollars US, a
rapporté l’Organisation de
coopération et de développement
économiques (OCDE).
Selon les fonctionnaires de l’UE,
l’essentiel de l’aide au peuple
palestinien est affecté à un
unique objectif à long terme :
l’instauration d’institutions pour un
futur État palestinien démocratique,
indépendant et viable, coexistant en
paix et en sécurité avec Israël.
Mais compte tenu du manque de progrès
enregistrés par les pourparlers de paix
actuels engagés sous les bons offices
des États-Unis, et plus généralement par
le projet de création d’un État
indépendant, certains en Europe – où les
efforts d’austérité sont plus prononcés
– s’interrogent sur la bonne utilisation
de cette aide, dans un contexte de crise
au Mali et en Syrie où l’argent fait
défaut.
« Il n’existe pas d’État palestinien à
ce jour. La question c’est : que
finançons-nous ? Aidons-nous Israël à
maintenir l’occupation, ou aidons-nous
véritablement les Palestiniens à
construire leur indépendance ? », a dit
à IRIN Caroline du Plessix, une
politologue française spécialiste de la
politique européenne prônant la solution
des deux États.
« Les États membres de l’UE sont
aujourd’hui bien plus conscients
qu’autrefois du fait que leur argent n’a
pas permis la création d’un État
palestinien indépendant », a-t-elle dit,
en ajoutant : « L’UE cherche à savoir
quelle pourrait être la meilleure
stratégie. Les États membres doivent
prouver que leur politique parvient à
ses fins et est efficace. Mais la
principale solution reste celle des deux
États et nous ne nous dirigeons pas
vraiment dans cette direction, cette
politique n’est pas viable et ne peut
pas continuer éternellement ».
La carotte
et le bâton
Une coupe importante de l’aide
européenne semble peu probable à l’heure
qu’il est. Une telle décision
s’accompagnerait de conséquences
dramatiques pour l’économie
palestinienne et pour les moyens de
subsistance de dizaines de milliers de
familles.
« Il y aura un prix à payer si les
négociations s’enlisent », a dit Lars
Faaborg-Andersen, ambassadeur de l’Union
européenne en Israël,
fin janvier. En décembre 2013,
Haaretz – un journal israélien – a
repris les propos d’un fonctionnaire de
l’UE selon qui l’Union européenne
pourrait couper son aide financière à
l’Autorité palestinienne en cas d’échec
des pourparlers de paix, tandis que «
certaines personnes suggéraient de
reverser l’argent à la Syrie, au Mali ou
ailleurs dans le monde ».
D’un autre côté, les ministres des
Affaires étrangères de l’UE formulent
des offres sans précédent, et proposent
une importante série de mesures
incitatives destinées à encourager les
deux parties à parvenir à un accord de
paix.
« Ces mesures incitatives visent à
stimuler la prospérité tant du côté des
Israéliens que du côté des Palestiniens,
en ouvrant l’accès aux marchés
européens, en facilitant les échanges
commerciaux et en renforçant les liens
culturels et commerciaux », a dit à IRIN
John Gatt-Rutter, un représentant de
l’UE. « Donc, à ce stade, notre approche
consiste à encourager les deux parties à
saisir cette opportunité unique offerte
par les pourparlers de paix », a-t-il
ajouté.
« Malgré la lassitude des bailleurs de
fonds en Europe, nous n’observerons
qu’une baisse progressive et limitée –
de l’ordre de 10 pour cent par an – de
l’aide européenne en cas d’échec des
négociations, car les dirigeants
européens ne veulent pas risquer de
provoquer une forte instabilité ou une
crise humanitaire », a dit à IRIN Ofer
Zalzberg, analyste principal chez
International Crisis Group.
Construire
l’État à venir
Sur les 426 millions d’euros versés par
l’Union européenne aux Palestiniens en
2013, 168 millions l’ont été sous forme
d’appui financier direct à l’Autorité
palestinienne dans le cadre du mécanisme
PEGASE.
PEGASE aide l’Autorité palestinienne à
faire face à ses dépenses récurrentes en
finançant les salaires, les retraites et
les prestations sociales des
Palestiniens en situation d’extrême
pauvreté, en subventionnant les services
publics essentiels, et en revitalisant
le secteur privé par le biais de
réformes politiques, de l’instauration
d’institutions et du renforcement des
relations entre les entreprises
palestiniennes et leurs homologues
européennes.
Les fonds sont directement transférés
aux personnes bénéficiaires, à l’instar
de Nabila, 55 ans, qui vit au camp de
réfugiés de Qaddura. « Je reçois 750
shekels [210 dollars US] tous les trois
mois. J’ai un fils handicapé et mon mari
est mort il y a 10 ans. Comment
voulez-vous que je m’en sorte ? »,
a-t-elle dit à IRIN à l’antenne
régionale du ministère des Affaires
étrangères de l’Autorité palestinienne à
Ramallah.
« C’est la misère et nous sommes las de
cette situation », a-t-elle dit, en
ajoutant toutefois que les restrictions
de circulation (induites, entre autres,
par la barrière de séparation et les
nombreux postes de contrôle israéliens
prétendument établis pour des raisons de
sécurité) ne font que souligner un
problème plus vaste que l’aide ne pourra
jamais résoudre. « Comment voulez-vous
résoudre ce problème ? Pourquoi
devons-nous subir cette situation de
malheur ? »
Outre l’appui financier direct, l’aide
humanitaire provient de l’Office de
l’aide humanitaire et de la protection
civile de la commission européenne
(ECHO), qui a consacré 35 millions
d’euros en 2013 à des secteurs tels que
la coordination humanitaire, l’aide
judiciaire et la réponse d’urgence aux
démolitions et aux expulsions.
Appuyer le
statu quo
L’aide européenne se trouve confrontée
aux mêmes
problèmes que les organisations
humanitaires non gouvernementales : en
apportant son soutien, le risque est de
jouer sans le vouloir un rôle politique
en favorisant le maintien du statu quo,
avec la fourniture de services vitaux
qu’Israël – en tant que puissance
occupante – devrait normalement assurer.
« Le financement de l’UE est
stratégique. Son principal objectif est
de prévenir l’instabilité. Elle craint
donc l’effondrement de l’Autorité
palestinienne », a dit Caroline du
Plessix.
Pour Sami Abu Roza, ancien conseiller en
politique économique du président
palestinien, ce système de dépendance a
comme un arrière-goût politique.
« Si vous enlevez les bonnes intentions
derrière cet argent, l’aide n’est qu’un
substitut à défaut de vrais remèdes », a
dit M. Roza à IRIN depuis le ministère
de l’Éducation de l’Autorité
palestinienne où il travaille désormais.
L’approche de résolution du conflit de
l’UE, dit-il, s’inscrit dans une
tendance plus large qu’il qualifie d’«
économie de la paix », consistant à
alimenter l’idée illusoire qu’une aide
économique et l’instauration
d’institutions puissent contribuer à un
véritable progrès, alors que les causes
politiques réelles derrière cette
situation difficile sont laissées de
côté et restent irrésolues.
Une
attitude « condescendante »
« L’attitude de l’UE envers les
Palestiniens est condescendante, comme
si l’argent était la seule chose dont
les Palestiniens avaient besoin »,
a-t-il dit. « Ils sacrifient de vraies
solutions au profit de l’aide
économique, et tirent un écran de fumée
autour des vrais problèmes ».
« Les Palestiniens savent que le moindre
centime qu’ils reçoivent est politique.
Mais ils savent aussi que le monde
n’arrêtera pas de verser de l’argent à
la Palestine tant qu’elle sera occupée.
Voilà l’étrange sorte de paix dans
laquelle vivent les Palestiniens. »
Dans une tentative de dissocier aide
humanitaire et politique, le ministère
de l’Éducation a mis en place un nouveau
mécanisme, l’accord de cofinancement, en
application depuis près de trois ans.
L’argent de l’aide afflue de la Banque
allemande d’aide au développement KfW,
de Finlande, d’Irlande, de Norvège et de
Belgique et atterrit directement dans le
fonds commun du ministère des Finances
de l’Autorité palestinienne. Ainsi, le
ministère de l’Éducation a l’entière
responsabilité des fonds, et décide de
la façon et de l’endroit où il souhaite
les dépenser.
« C’est un petit pas vers
l’indépendance, vers l’indépendance
politique », a dit Abu Roza.
Mais pour l’un des hauts fonctionnaires
du ministère – qui a souhaité rester
anonyme – la notion d’indépendance reste
irréelle. « Nous n’avons pas le contrôle
de nos propres frontières, pas de
fiscalité, et toute la zone C est sous
le contrôle d’Israël. De quelle
indépendance économique parlons-nous ?
», a-t-il dit, en ajoutant que
l’Autorité palestinienne n’avait pas été
créée pour devenir une entité sociale
fournissant des salaires et des services
aux Palestiniens. « Son objet était
politique, et nos problèmes le sont
aussi. »
« L’aide humanitaire n’a pas permis de
réaliser les rêves palestiniens »
Un rapport
récent de la Cour des comptes européenne
a révélé certaines anomalies dans le
financement de l’UE à l’Autorité
palestinienne. Il critiquait notamment
le versement par l’Union européenne de
salaires à des fonctionnaires
palestiniens dans la bande de Gaza « qui
ne travaillent plus ». Le rapport
suggère « une interruption et une
réallocation [de l’aide financière] à la
Cisjordanie ». Le Hamas, qui a pris le
contrôle de la bande de Gaza en 2007,
est considéré comme une organisation
terroriste par l’Union européenne.
« Aidons-nous Israël à maintenir
l’occupation, ou aidons-nous
véritablement les Palestiniens à
construire leur indépendance ? »
L’UE continue donc d’apporter son
soutien à l’ancienne structure de
l’Autorité palestinienne à Gaza en
versant des salaires, alors même que
cette dernière n’y a plus le moindre
contrôle : le coût politique d’une
interruption de ces financements est
jugé trop élevé.
Entre 2008 et 2012, le nombre moyen de
fonctionnaires et de retraités dont les
salaires étaient au moins partiellement
financés par l’UE est passé de 75 502 à
84 320, soit près de la moitié des 170
000 fonctionnaires et retraités que
compte l’Autorité palestinienne.
Pendant la même période, la masse
salariale mensuelle moyenne versée à
l’Autorité palestinienne pour les
bénéficiaires de l’UE a grimpé de 45,1
millions d’euros à 62,9 millions
d’euros, soit une hausse de 39 pour
cent. Mais dans le même temps, les
contributions au mécanisme PEGASE pour
les fonctionnaires et les retraités a
chuté de 21,3 millions d’euros (47 pour
cent des subventions totales aux
bénéficiaires éligibles) en 2008 à 10,4
millions d’euros (16 pour cent) en 2012,
essentiellement en raison d’une baisse
des contributions de la part des
bailleurs de fonds, notamment l’Espagne.
Ces difficultés laissent entrevoir un
nouvel
environnement de financement dans
lequel l’Autorité palestinienne a de
plus en plus de mal à verser ses
salaires et ses retraites en temps
voulu.
L’Office de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de
Palestine (UNRWA) est confronté à des
difficultés du même ordre.
L’organisation accuse le coup du
déclin des financements internationaux,
avec un budget de base affichant un
déficit de 65 millions de dollars cette
année. L’UE est le principal bailleur de
fonds de l’UNRWA.
« L’aide humanitaire n’a pas permis de
réaliser les rêves palestiniens, pas
plus qu’elle n’a permis un développement
durable. L’indépendance est encore moins
accessible aujourd’hui qu’il y a 20 ans
», a dit à IRIN Alaa Tartir, directeur
de programme auprès d’Al-Shabaka – The
Palestinian Policy Network.
En dépit des contradictions de la
politique d’aide de l’UE, il apparaît
clairement que sans les fonds européens
la situation dans les territoires
palestiniens occupés se dégraderait
considérablement.
« Si nous en arrivons à une situation où
il n’y a plus d’aide pour les employés
de l’Autorité palestinienne, qui
comblera ce fossé ? L’impact humanitaire
serait considérable », a dit Tommaso
Fabri, le directeur du bureau de
Médecins sans frontières à Jérusalem.
Said Samara, 49 ans, enseignant au
lycée-internat de Ramallah, compte parmi
les bénéficiaires de l’aide directe de
l’UE à l’Autorité palestinienne.
« En tant qu’enseignant, j’espère que
cette aide sera maintenue. Mais en tant
qu’enseignant, et pour mes élèves, j’ai
également besoin d’espérer un État
palestinien indépendant », a-t-il dit.
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Publié le 24 février2014 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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