La guerre
médiatique se poursuit en Syrie. Ici, un
groupe d’une quarantaine de membres de
l’Armée de l’islam (Jaysh al-Islam)
accusent le président démocratiquement
élu el-Assad et la Résistance libanaise
d’affamer 40 000 Syriens à Madaya.
Mardi 12 janvier 2016
Alors que le Hezbollah encercle
la localité de Madaya, autorisant les
civils à circuler, mais interdisant la
sortie des 600 combattants d’Al-Qaïda et
d’Ahrar al-Cham, l’Arabie saoudite et le
Qatar ont lancé une campagne dénonçant
le siège de la ville. Selon Médecin du
Monde, 23 personnes y seraient mortes de
faim. Mais selon les habitants, comme à
Yarmouk, les jihadistes ont confisqué
l’aide alimentaire et la leur revendent
hors de prix. Le gouvernement syrien a
conditionné l’envoi de nouveaux convois
d’aide humanitaire à l’accès à deux
autres localités encerclées par les
jihadistes, Fouaa et Kéfarya. En
définitive, un accord est survenu
permettant à l’Onu de pénétrer dans les
trois villes. Rendant impossible la
continuation de l’intoxication
médiatique, le Hezbollah a couvert
l’événement en direct, via sa télévision
Al-Manar. Interrogés par la chaîne, des
habitants ont précisé qu’ils avaient
exigé que l’aide leur soit directement
donnée. André Chamy revient sur cet
épisode de la guerre de la communication
prétendant que le Hezbollah et la
République arabe syrienne affamaient le
Peuple.
Aux origines
La guerre en Syrie
aura été le champ d’une guerre
médiatique d’une intensité
exceptionnelle et d’une grossièreté sans
nom. Nous aurons eu droit à tous les
stratagèmes dignes d’un Goebbels des
temps modernes.
Citons ainsi le déclenchement du
mouvement dit « printemps syrien « qui
se déchainait, comme par hasard tous les
vendredis après la prière sunnite de
midi, alors que nul signe avant-coureur
d’une quelconque agitation ne s’était
manifesté auparavant dans aucune ville.
Les médias qui devaient relayer ces
informations étaient toujours là pour
diffuser des images et interviewer des
manifestants qui criaient leur colère
indifféremment contre le gouvernement,
l’armée, les services de sécurité et par
la même occasion contre les alaouites,
les druzes, les chiens de chrétiens, et
évidemment contre la famille Assad !
Le choix des prises de vue étaient
orchestré pour donner l’impression
qu’une masse importante de la population
voulait tout changer. Alors qu’en
réalité, les vidéos étaient envoyées à
l’étranger, pour être travaillées et
versées dans le circuit mondial de
diffusion, web et télévision.
Avant même la première manifestation
syrienne, un millier de téléphones
satellites avaient été introduits dans
le pays et distribués à des personnes
formées pour les utiliser. Tout cela
pour un budget d’un million de dollars
minimum, ce qui n’était pas à la portée
de jeunes cyberactivistes désorganisés.
Les vidéos syriennes étaient d’emblée
diffusées sous un logo unique, Cham
(appellation historique de la Syrie)
dessiné pour l’occasion. Les
cyberactivistes coordonnaient l’ensemble
de ce travail. Ces derniers interrogés
sur l’origine des fonds, font cette
invariable réponse : un homme d’affaires
de la diaspora, qui veut garder
l’anonymat pour des raisons de
sécurité ! [1]
Le tout était relayé pour démarrer
par les chaînes des pays du Golfe,
notamment les fameuses chaînes qatarie
Al-Jazeera et saoudienne Al-Arabiya,
épaulées par une chaîne moins connue
nommée Barada [2]
basée à Londres. Cette chaîne ne cachait
pas ses liens avec le Mouvement pour la
Justice et le Développement, un réseau
d’opposants syriens, qui avait reçu au
cours des cinq dernières années avant le
début des évènements pas moins de six
millions de dollars du département
d’État US.
Selon le Washington Post,
s’appuyant sur des télégrammes
diplomatiques diffusés par Wikileaks,
les opposants syriens commençaient à
être financés dès 2005. Ces financements
se sont poursuivis sous l’ère Obama [3]
Les images et interviews fabriqués
par ces chaînes étaient opportunément
diffusées par les chaînes d’information.
La toile d’internet faisait le reste
pour diffuser cette masse d’informations
non vérifiée et non analysée.
Rappelons que ces mêmes procédés
avaient été expérimentés avec un succès
certain au cours de ce qui a été appelé
les révolutions multicolores suite à la
chute du Mur de Berlin. Toutes ces
révolutions seraient basées sur la
mobilisation de jeunes activistes locaux
pro-occidentaux, de nombreux articles et
une enquête extraordinaire de Camille
Gangloff [4]
adaptée à la télévision par Manon
Loizeau et Milos Krivokapic [5]
ont disséqué le mode opératoire de ces
révoltes et ont montré que ce sont les
États-Unis qui tiraient les ficelles.
Ces mêmes procédés avaient été
utilisés également en Égypte, ce qui a
été confirmé par les câbles divulgués
par Wikileaks, notamment les deux câbles
« Demande d’assistance pour restaurer
l’accès des blogueurs égyptiens à
YouTube » [6]
et « Militants, blogueurs arrêtés lors
d’une tentative de visite à Naga Hamadi » [7],
qui démontrent l’implication de
l’ambassade des États Unis au Caire. Les
mêmes mouvements ont été constatés du
côté de Robert Ford, l’ambassadeur des
États Unis au début de la crise
syrienne.
Cette opération de manipulation
nommée « Freedom of Internet »
(la liberté d’Internet) consistait à la
poursuite et au renforcement de la
diffusion de logiciels permettant aux
opposants de crypter leurs messages et
de contourner les systèmes de censure [8].
Cette diffusion se poursuivrait
naturellement à travers les diverses ONG
à la solde de Washington, permettant
ainsi aux jeunes intellectuels du Proche
et du Moyen-Orient de se rencontrer
virtuellement, de débattre, de critiquer
et finalement de se rassembler malgré
les contre-mesures déployées par leur
gouvernement [9].
Une intoxication se faisait en
parallèle pour inonder les forums de
messages de supposés rebelles créés de
toutes pièces dans les bureaux de la NSA
afin de conforter les opposants bien
réels en leur donnant l’impression de
faire partie d’un mouvement important,
un véritable raz-de-marée capable
d’emporter le régime dans le flot de sa
contestation.
La seconde phase « A Way to
reality » (un chemin vers la
réalité) devait justement créer les
outils permettant de transposer la
grogne exprimée sur les différents
forums en manifestations bien réelles.
C’était le point le plus délicat de
toute l’opération Domino, car,
comme on ne pouvait s’appuyer sur un
réveil spontané des populations
asservies, il fallait que des éléments
extérieurs viennent mettre le feu aux
poudres, comme dans toutes révolutions.
Ainsi, il fallait déployer des
stringers (membres spéciaux de la
CIA chargés d’infiltrer les milieux
hostiles, mais ne faisant officiellement
pas partie de l’Agence et n’étant
souvent même pas de nationalité
états-unienne), préalablement formés à
l’agitation urbaine et à haranguer les
foules [10].
De plus, pour conserver le caractère
éminemment secret de toute l’opération,
il était indispensable de ne faire appel
qu’à des nationaux, ce qui impliquait le
recrutement préalable aux États-Unis de
réfugiés des différents pays visés par
l’opération Domino afin de les
former et de les préparer avant de les
renvoyer discrètement vers leur pays
d’origine pour y accomplir leur délicate
mission. Durant cette phase
préparatoire, il fallait éviter le
recrutement de dissidents trop connus
qui seraient immédiatement arrêtés dès
leur retour au pays.
Évidemment, comme c’étaient ces
stringers qui allaient prendre le
maximum de risques, il fallait prévoir
une enveloppe budgétaire suffisante pour
étouffer toutes les craintes.
La dernière partie, la plus aisée,
appelée simplement « The Recolt »
(la récolte), consistait à entretenir
l’enthousiasme populaire une fois la
rébellion démarrée et, si nécessaire, à
fournir des armes aux manifestants tout
en lançant une nouvelle campagne de
désinformation contre le régime en place
pour renforcer la colère des foules et
provoquer le rejet de la part de la
communauté internationale.
Les manipulations
sans limite
Cette opération bien rodée n’a rien
épargné aux Syriens. D’abord il y a eu
les scènes où les soldats syriens
étaient censés avoir tiré sur les
manifestants pacifistes et sans armes,
cette image a été surtout commercialisée
par l’ambassadeur US à l’époque à Damas,
Robert Ford. Ensuite on a diffusé les
images d’hommes armés commettant des
atrocités sur les soldats syriens, et
l’on a fini par légitimer ces images au
prétexte que le peuple se vengeait de
son bourreau.
Chaque assassinat était justifié
d’une manière où une autre. Les voitures
piégées notamment dans les quartiers
chrétiens ou devant les bâtiments
gouvernementaux étaient d’abord
attribuées au « régime ». Toutes les
explications même les plus absurdes
étaient validées par les différentes
rédactions. À quoi bon chercher à
comprendre puisque la messe était dite,
le président syrien devait partir.
Tous les jours un nouveau délai était
donné pour sa chute, qui allait de
quelques semaines à quelques mois
maximum !
« Plus c’est gros plus ça passe »,
pour employer une expression familière !
Des charniers découverts et imputés
aux services de sécurité à l’utilisation
des armes chimiques par l’armée, tout
est bon à prendre pour discréditer le
président el-Assad et les institutions
syriennes, alors que l’on sait
maintenant que ce sont notamment les
services de renseignement turcs qui sont
à l’origine de l’utilisation de ces
armes [11].
Rien n’arrête cette propagande. Comme
si cela ne suffisait pas, depuis
plusieurs jours les mêmes médias se sont
emparés du cas des habitants de la ville
de Madaya, en Syrie, à la frontière avec
le Liban, qui seraient en train de
mourir de faim…
Mais que s’est- il passé ? Des
rapports visant l’utilisation par
l’Arabie Saoudite d’armes à
fragmentation interdites au Yémen ont
été publiés, ils étaient accompagnés
d’informations continues sur l’exécution
par le royaume wahhabite du leader de
l’opposition aux Saoud, cheikh El-Nimr ;
il fallait détourner l’attention de
cette mise en cause d’un régime
innommable, trouver d’urgence une
parade.
Le royaume a mobilisé immédiatement
sa chaîne Al-Arabiya, qui aurait passé
des appels à des habitants de cette
localité, alors qu’il existe un certain
nombre de localités encerclées par
l’État islamique ou par le Front Al-Nosra
(Al-Qaïda) tel que Fouaa, Kefraya,
Noubble, et Zohra…
Subitement l’on a parlé de famine,
alors que les habitants n’en avaient pas
parlé aux équipes de l’Onu qui sont
présentes et négocient constamment des
accords pour faire passer des camions de
nourriture et d’autres produits vers
l’ensemble des localités, qu’elles
soient assiégées par l’armée syrienne ou
bien par les bandes armées.
D’ailleurs la localité de Madaya
avait reçu de l’Onu, en octobre 2015,
trente-cinq camions chargés d’aides de
toutes sortes ; mais il s’est avéré que
les jihadistes qui y règnent se seraient
emparés de l’essentiel de cette aide
pour la vendre au prix d’or à la
population locale. Cette aide a été
livrée en même temps qu’à d’autres
localités assiégées par l’État
Islamique, dans le cadre d’un accord
négocié par l’Onu.
Il fallait provoquer un choc ! Des
images ont été diffusées par les chaines
chargées de cette manipulation. Elles
ont été analysées de très près.
Al-Jazeera a diffusé ces images d’une
fillette censée être mourante après
avoir perdu l’essentiel de son poids,
selon un article du 5 janvier 2016.
Cette photo provient d’un article
publié par Al-Jazeera, dans lequel l’on
parle de famine à Madaya !
Or, un an plutôt la chaîne Al-Arabiyya
affirmait qu’il s’agissait d’une enfant
syrienne qui vivait en Jordanie, dans le
camp des réfugiés de Zaatari, et vendait
des chewing-gums pour survivre (article
de janvier 2014).
Un autre article du journal en ligne
jordanien Al-Dostour prétendait à
la même date qu’elle était palestinienne
et vivait dans le camp palestinien de
Yarmouk près de Damas… avant de
découvrir enfin que ce beau visage est
celui d’une petite Libanaise du sud du
Liban, ce qui n’avait rien à voir avec
les visages squelettiques qui
l’accompagnaient sur la toile !
Une autre photo relayée par al-Jazeera,
montrant un homme amaigri sur la
chaussée et présenté comme étant
également un habitant affamé de Madaya,
a été diffusée par les médias
bien-pensants.
Il s’est avéré qu’il s’agit de la
photo d’un toxicomane. Cette photo a été
détournée du site internet états-unien
The Worldrace.
Quant à La septuagénaire allongée,
elle n’était pas en Syrie et encore
moins syrienne. Elle est atteinte d’une
maladie grave. Ses images avaient été
diffusées sur Mailone !
Celles-là étaient déjà en circulation
sur Twitter avant le siège :
Ces photographies et des dizaines
d’autres démontrent que la guerre des
images ne s’est pas arrêtée. Ces mêmes
médias ont été jusqu’à déformer les
propos tenus par le représentant de la
Croix-Rouge en Syrie, lequel a
clairement indiqué qu’il ne pouvait pas
confirmer la réalité des informations
diffusées sur les réseaux sociaux et
dans les médias. Il confirme qu’il n’a
pas pu vérifier ces données.
Il précise qu’il est obligé de
prendre au sérieux toute information
concernant la souffrance du peuple
syrien qu’il soit à Madaya, Fouaa, ou
Kefraya [12].
Il se dit également préoccupé par le
sort de ces dernières villes assiégées
par les jihadistes, car elles manquent
de nourritures et de médicaments.
Or, ces médias ont prétendu qu’il
confirmait.
Cette campagne illustre qu’une
véritable manipulation médiatique est à
l’œuvre, accompagnée d’appel à la haine
et à la vengeance contre les chiites et
la famille el-Assad ;
À quand la prochaine campagne ? Et à
quand un réveil des médias occidentaux
qui osent dire « quelques-unes des
images circulant sur la toile et
présentées dans différents médias comme
des photos prises à Madaya proviennent
effectivement de drames antérieurs. On
peut donc dire qu’une petite partie des
photos a été erronément légendée comme
illustrant la famine de Madaya. » [13]
[5]
Comment la C.I.A. prépare les
révolutions colorées diffusé par
canal Plus sous le titre Les
États-Unis à la conquête de l’Est,
par Manon Loiseau et Milos Krivokapic,
51 minutes 37 secondes, 2005.
[8]
Le Nouvel Observateur dans un
article consacré à l’opposition syrienne
cite l’un d’entre eux : « Il n’envoie
pas de téléphones satellites Thuraya,
trop facilement écoutables, et préfère
les Iridium, plus chers mais beaucoup
plus sûrs. Pour poster les vidéos sur
YouTube, il conseille à ses contacts
d’utiliser un logiciel sécurisé :
YouSendt. Avec lui, pas de traces sur
votre ordinateur. Si vous êtes arrêté,
les Moukhabarat n’y verront que du
feu ». « Syrie :
les vidéos de la liberté », Vincent
Jauvert, Le Nouvel Observateur,
18 mai 2011.
[9]
Le tout est élaboré selon la « théorie
des dominos ». Une stratégie US énoncée
au XXe siècle, selon laquelle le
basculement idéologique d’un pays en
faveur du communisme serait suivi du
même changement dans les pays voisins
selon un effet de domino. Cette théorie
fut invoquée par différentes
administrations états-uniennes pour
justifier leur intervention dans le
monde. La « théorie des dominos » a été
formulée pour la première fois le 7
avril 1954 par le général-président
Dwight D. Eisenhower.
[10]
En anglais le terme stringer
désigne habituellement un correspondant
de presse qui peut-être soit un simple
informateur, soit un photographe, soit
encore un journaliste pigiste.
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