Réseau Voltaire
L'axe de l'espoir, de Pékin à Beyrouth,
en passant par Moscou, Téhéran et Damas
André Chamy
Dokou
Oumarov, émir d’Al-Qaïda au Caucase du
Nord, était chargé de paralyser la
Russie
durant les Jeux Olympiques de Sotchi,
pendant que l’Otan changeait le régime
en Ukraine.
Samedi 8 mars 2014
La stratégie états-unienne, imaginée par
Zbigniew Brzezinski, de soutenir
l’obscurantisme islamiste pour lutter à
la fois contre les politiques musulmanes
progressistes et contre la Russie a
suscité une alliance pour lui résister.
Désormais, la Chine, la Russie, l’Iran,
la Syrie et le Hezbollah sont contraints
de faire bloc pour survivre. En
définitive, observe André Chamy, le
piège se retourne contre celui qui l’a
posé.
Islam contre islam…
L’Iran, la Syrie et
le Liban grâce au Hezbollah et à ses
alliés, considérés par les occidentaux
depuis des années comme une source du
Mal, en raison de leur soutien à ce que
l’Occident appelle « le terrorisme »,
n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Après un traitement individuel pour
chacun d’entre eux en fonction des
clivages politiques dans la région, un
axe s’est mis en place qui commence aux
portes de la Russie et de la Chine pour
finir à celles de Tel-Aviv.
Cet axe trouve ses racines dans la
politique occidentale réservée à cette
région du monde. Les États-Unis, suivis
des principaux pays occidentaux, ont
décrété la manière dont leurs intérêts
économiques devaient être préservés
coûte que coûte. Cette politique
partiale a généré au fil des années des
tensions, source de conflits armés et de
combats de rue qui n’en finissent pas
d’alimenter les journaux télévisés.
Cette politique, inscrite dans la
durée, a été être mise en œuvre avec
l’appui d’acteurs locaux. Toutefois, une
accélération s’est opérée après la chute
du Mur de Berlin, vécue comme un
événement historique, ce qui est
évidemment le cas, mais qui a marqué
l’avènement d’une stratégie agressive et
méprisante à l’égard du Proche-Orient.
L’URSS ayant disparu, les pays de la
région ne pouvaient plus rien espérer
comme autre salut que de s’en remettre à
la volonté occidentale, et notamment à
celle des États-Unis. Au lieu de tirer
profit de cette position privilégiée
d’arbitre, ces derniers et certains pays
occidentaux allaient privilégier
l’écrasement et la domination du
« Proche-Orient élargi », à travers des
interventions directes en Irak, en
Afghanistan, mais également au Liban, au
Yémen, dans le Maghreb avec l’intention
déclarée d’intervenir en Syrie et en
Iran.
Les États-Unis savent, depuis les
années soixante dix, suite au choc
pétrolier, qu’ils doivent contrôler les
sources de matières premières, tout
particulièrement celles du pétrole,
ainsi que les voies d’acheminement de
ces ressources, car ils ont fait l’amère
expérience de découvrir cette nécessité
vitale tant pour leur économie que pour
le confort de leurs citoyens.
Les avis des experts divergent dans
l’évaluation des réserves en gaz et
d’hydrocarbures, mais une idée reste
constante, celle du caractère épuisable
de ces trésors qui se trouvent selon eux
entre les mains de bédouins cupides qui
n’ont que faire de l’utilisation qui
sera faite de leur or, dès lors que
leurs loisirs et plaisirs sont financés.
À l’heure où les « chocs de
civilisation » de Samuel Huntington ont
remplacé la Guerre froide, l’islamisme
est devenu pour les États-Unis le nouvel
ennemi utile, « allié » à eux, en
quelque sorte, contre l’Europe.
Pragmatiques et opportunistes, ils ont
vu dans le mouvement islamique une
« lame de fond », et ont choisi de jouer
la carte musulmane pour mieux contrôler
les artères de l’or noir. Cet allié
dangereux qu’est l’islamisme, ils
avaient pressenti son intérêt bien avant
l’implosion du communisme.
À partir des mêmes années 1970, les
États-Unis vont soutenir les extrémistes
islamistes, des Frères musulmans syriens
aux islamistes bosniaques et albanais,
des Talibans à la Jamaa Islamyah
égyptienne. L’on évoqua même leurs liens
avec le FIS (Front islamique du salut,
devenu le groupe violent « GIA ») en
Algérie. Ils ont choyé les wahhabites à
la tête de la monarchie pro-US d’Arabie
Saoudite qui finance la quasi-totalité
des réseaux islamistes dans le monde.
Ils ont joué les apprentis sorciers, et
les mouvements fondamentalistes qu’ils
croyaient manipuler se seraient parfois
retournés contre le « grand Satan » pour
réaliser leurs propres objectifs.
En revanche, les USA ont abandonné ou
voulu neutraliser les pays musulmans
susceptibles d’acquérir une puissance
politique et une relative autonomie.
Songeons au président Jimmy Carter
abandonnant le Shah, alors que l’Iran
était en train de devenir maître de son
pétrole. À cela se rajoute la volonté
d’écraser toute velléité d’indépendance
même intellectuelle des pays arabes
laïques tels que la Syrie, l’Égypte ou
l’Irak.
Jouer avec l’islamisme s’est fait au
détriment des mouvements laïques pouvant
représenter une alternative à l’islam
politique radical, celui-ci redevenant
une valeur refuge après chaque échec
dans cette région. Cependant, cet
« islamisme » n’est évidemment pas à
confondre avec la République
« islamique » d’Iran qui a un parcours
atypique. D’ailleurs, plusieurs auteurs
de travaux de qualité sur les mouvements
islamistes font parfois l’erreur de
confondre la République islamique d’Iran
avec les islamistes, alors qu’ils n’ont
rien de commun, si ce n’est le fait de
revendiquer la référence à l’islam et à
la charia. La différence
fondamentale vient de la définition même
de l’islam politique prôné par les uns
et les autres.
Tout les sépare fondamentalement, et
si effectivement les États-uniens n’ont
pas fait grand chose pour sauver le
Shah, cette attitude était justifiée
selon eux par des raisons stratégiques,
car l’Iran ne devait d’après eux en
aucun cas devenir une grande puissance
régionale. Ce qui expliquera que
quelques temps après la chute du Shah,
les États Unis aient initié la guerre
menée par Saddam Hussein à l’encontre de
son voisin, ce qui permettait de ruiner
les deux seuls pays qui pouvaient
exercer une influence déterminante dans
la région du Golfe.
Or, l’évolution de l’Iran après sa
guerre avec l’Irak va lui permettre de
devenir une véritable puissance
régionale, crainte par certaines
monarchies du Golfe, lesquelles ont
préféré jusqu’alors confier leur
sécurité à l’Occident, plus
particulièrement aux États-Unis. En
contre partie, elles confiaient leurs
« ressources » aux économies
occidentales, et finançaient des
activités ainsi que des mouvements que
leur désignaient les services secrets de
Washington.
Ces mêmes monarchies devaient fermer
les yeux sur les événements en cours
dans certaines régions y compris en
Palestine, alors même qu’ils prétendent
soutenir les aspirations du peuple
palestinien. Ils vont être les premiers
pays arabes à avoir des contacts directs
ou secrets avec l’État d’Israël, ce qui
aboutira plus tard au rapprochement du
mouvement de résistance palestinienne
avec les Iraniens.
Ces derniers apparaissent aujourd’hui
comme les seuls à vouloir défendre les
lieux saints de l’islam avec les hommes
d’Al-Qods, branche des Gardiens de la
Révolution, et à travers leur soutien au
Hamas. La magie états-unienne s’est
retournée contre le magicien.
Le monde arabo-musulman doit rester
pour l’Amérique du Nord un monde riche
en pétrole, exploitable à volonté, mais
pauvre en matière grise et maintenu dans
une totale situation de dépendance
technologique ; un marché d’un milliard
de consommateurs incapables d’autonomie
politico-militaire et économique. Le
carcan coranique est, selon elle,
favorable à l’indigence intellectuelle.
Dans la
nuit du 1er au 2 mars 2014, alors que la
Russie s’apprête à intervenir en Crimée,
un groupe islamiste attaque des
voyageurs dans une gare du Yunnan
(une région où les musulmans sont très
rares),faisant au moins 29 morts et 130
blessés graves.
Les États-Unis envoient ainsi un message
au gouvernement chinois de ne pas
intervenir dans le conflit en cours.
À la surprise générale, l’ambassadeur de
Chine au Conseil de sécurité se bornera
le lendemain
à quelques phrases générales lors du
débat sur la situation en Ukraine.
Les règles du jeu
Un axe Téhéran-Beyrouth en passant
par Bagdad et Damas s’est installé au
fur et à mesure au détriment de la
stratégie de Washington dans la région.
Il était indispensable au fil des années
que cet axe se dote d’alliés et de
partenaires notamment en raison des
sanctions prises à l’encontre de l’Iran
et de la Syrie.
Par ailleurs, historiquement, la
ligne Damas-Moscou n’a jamais été
suspendue malgré la disparition de
l’Union Soviétique et malgré la période
tumultueuse qu’a traversée la Fédération
russe. Mais l’arrivée du président
Vladimir Poutine, ambitionnant de rendre
à la Russie son rôle sur la scène
internationale et de préserver ses
intérêts stratégiques, n’était pas du
goût des États-Unis.
De son côté, l’Iran devait développer
ses relations avec la Russie, devenue
son alliée objective dans les
négociations avec les occidentaux au
sujet de son programme nucléaire. La
Chine a également renforcé ses relations
avec Téhéran, plus particulièrement
suite à l’embargo imposé à l’économie
iranienne.
Ces deux grandes puissances sont
devenues par la force des choses, les
bases arrières, sinon stratégiques de
cet « Axe de l’espoir ». Il est évident
que chacun y trouve son compte, mais les
Russes et les Chinois ne sont pas
mécontents d’avoir des partenaires qui
dament les pions à leurs adversaires
historiques, tout en profitant des
hydrocarbures et du gaz iraniens, et des
positions stratégiques qu’offre la
situation de la Syrie par rapport aux
positions états-uniennes avancées.
Dans son livre Le grand échiquier,
l’Amérique et le reste du monde,
publié en 1997, Zbigniew Brzezinski,
ancien conseiller de sécurité nationale
du président Carter, et très écouté dans
les États-Unis de Clinton, révélait avec
une franchise cynique les raisons
profondes de la stratégie islamique de
son pays. Selon lui, l’enjeu principal
pour les États-Unis, c’est l’Eurasie,
vaste ensemble qui va de l’Europe de
l’Ouest à la Chine via l’Asie centrale :
« Du point de vue américain, la
Russie paraît vouée à devenir le
problème… »
Les États-Unis manifestent donc de
plus en plus d’intérêt pour le
développement des ressources de la
région, et cherchent à empêcher la
Russie d’avoir la suprématie. « La
politique américaine vise par ailleurs à
la fois l’affaiblissement de la Russie
et l’absence d’autonomie militaire de
l’Europe. D’où l’élargissement de l’OTAN
aux pays d’Europe centrale et orientale,
afin de pérenniser la présence
américaine, alors que la formule de
défense européenne capable de contrer
l’hégémonie américaine sur le vieux
continent passerait par "un axe
anti-hégémonique Paris-Berlin-Moscou".
».
En réalité à travers leurs choix, les
États-uniens semblent s’être trompés sur
tous les terrains qui devaient leur
servir de bases pour conquérir les
sources d’hydrocarbures et de gaz,
s’attirant de cuisants échecs
politiques. Quant aux occidentaux ils
ont pratiquement abandonné toute
stratégie et ont confié leur politique
étrangère aux États-Unis. Même s’ils
tentent de sauver les apparences par
quelques gesticulations, ils savent que
ce ne sont pas eux qui dirigent.
L’exemple récent de François Hollande et
de Laurent Fabius jouant aux
va-t-en-guerre en est une illustration :
n’ont-ils pas dû en rabattre rapidement,
comprenant que les négociations en
Messieurs Lavrov et Kerry primaient sur
leurs annonces péremptoires,
Le 8 mai
2007, à Ternopol (ouest de l’Ukraine),
des groupuscules nazis et islamistes
créent
un prétendu Front anti-impérialiste afin
de lutter contre la Russie.
Des organisations de Lituanie, de
Pologne, d’Ukraine et de Russie y
participent, dont les séparatistes
islamistes de Crimée,
d’Adyguée, du Dagestan, d’Ingouchie, du
Kabardino-Balkarie, du Karatchaïévo-Tcherkessie,
d’Ossétie, de Tchétchénie.
Ne pouvant s’y rendre du fait des
sanctions internationales, Dokka Umarov,
y fait lire sa contribution.
Le Front est présidé par Dmytro Yarosh,
qui deviendra lors du coup d’État de
Kiev,
en février 2014, secrétaire adjoint du
Conseil de sécurité nationale d’Ukraine.
La riposte du
tigre
Constatant l’échec de leurs
manœuvres, les États-uniens
souhaitaient faire monter la tension
face à des autorités russes
déterminées à s’y opposer, tandis
que la Chine restait en embuscade
pour évaluer la situation, peu
encline de surcroît à faire
confiance à Washington…
Rappelons que la Chine
s’intéresse autant que la Russie au
Proche-Orient : sa première marque
d’intérêt remonte à 1958 lors de la
crise du Liban qui a abouti au
débarquement US sur les côtes
libanaises, intervention à laquelle
elle s’est farouchement opposée,
bien avant l’URSS.
Ces manœuvres états-uniennes sont
particulièrement bien rodées,
puisque le procédé s’avère
relativement simple ; l’on participe
à la création d’ONG censées militer
pour les droits de l’homme, l’on
encourage certains « lanceurs
d’alerte », et l’on offre une
tribune à d’obscurs opposants sans
grande envergure pour aboutir à un
moment donné à créer les conditions
de la déstabilisation d’un pays.
C’est un travail qui se prépare
pendant des années. Il a été
expérimenté pendant la Guerre
froide, l’exemple le plus criant
étant celui du Chili, et s’est
poursuivi jusqu’à nos jours avec les
fameuse « révolutions colorées », et
plus récemment les « printemps
arabes ». Les mêmes actions se
préparent dans d’autres pays que
l’on verra sur les manchettes des
journaux, notamment en Azerbaidjan.
C’est dans ce contexte que des
« événements » ont éclaté au mois de
juin 2009 en Iran, au prétexte de
contester les conditions d’élection
du président Mahmoud Ahmadinejad. La
République islamique a dû y faire
face pendant près de neuf mois. Le
Hezbollah a été confronté lui aussi
après l’attaque israélienne qui a
duré 33 jours, à un nouveau complot
gouvernemental qui visait à le
priver d’un outil directement lié à
sa sécurité, en l’occurrence son
réseau de communication. Sa riposte
a été l’intervention rapide et
efficace du 7 mai 2008 que les
comploteurs considèrent comme un
affront alors qu’il s’agissait de la
réponse du berger à la bergère !.
Il ne restait dans « l’Axe de
l’espoir » que la Syrie, qui avait
été avertie par les États-uniens que
si elle ne pas cessait toute
relation avec l’Iran et avec le
Hezbollah, elle allait subir le sort
des autres pays arabes touchés par
« un printemps » censé faire venir
les hirondelles de la démocratie,
mais qui n’a amené que les corbeaux
de la terreur et de l’instabilité.
C’est dans ce contexte que les
fameuses « révolutions colorées »
viennent impacter la Russie à
travers l’exemple ukrainien. Ces
révolutions ont fait perdre à la
Russie l’essentiel de son champ
stratégique. L’on a utilisé l’Europe
(l’UEE), qui devait accueillir les
Ukrainiens en son sein, pour leur
promettre de meilleures conditions
économiques et des aides. Mais en
réalité, ces événements ont permis
aux États-Unis d’installer des bases
militaires aux portes de Moscou. À
l’époque, la Russie, affaiblie par
un pouvoir qui n’avait ni ambition,
ni envergure n’était pas en mesure
de riposter.
La Russie d’aujourd’hui ne peut
plus accepter que cet exemple se
reproduise à travers l’Ukraine. Cela
explique sa réaction immédiate. Sa
réaction est malgré les apparences
en conformité avec les exemples du
Proche-Orient, puisque l’idée est de
dire que la démocratie ne s’exerce
pas dans la rue, mais se gagne dans
les urnes. Si l’opposition voulait
prendre le pouvoir, il lui
appartenait d’en passer par des
élections.
Au-delà de cette situation, la
Russie, à peine sortie d’une
agression en règle des milices
tchétchènes qui ont semé mort et
terreur sur son territoire avec le
soutien financier de certaines
monarchies du Golfe, défend
évidemment ses intérêts. Cela
explique la menace à peine voilée
faite par les Saoudiens consistant à
dire : « Nous pourrions vous
aider à éviter la menace terroriste
à Sotchi, si vous cédez sur la
question syrienne ». Une fin de
non-recevoir leur a évidemment été
opposée.
En tout état de cause, cela
démontre tant le rôle des monarchies
du Golfe que l’utilisation des
mouvements islamistes pour aider en
sous-main les politiques
états-uniennes qui, par la
déstabilisation de certains États,
croient créer des conditions qui
leur seraient plus favorables dans
la région.
L’axe Pékin-Beyrouth, passant par
Moscou, Téhéran et Damas, ne pourra
que se renforcer. Il s’agit pour
chacun d’une question de
quasi-survie. Selon un proverbe
oriental, « Il ne faut pas
acculer un chat dans un coin, au
risque de le voir se transformer en
tigre », mais que dire si l’on
veut à leur tour coincer des tigres
dans un coin ? Il est certain que
personne n’a envie de connaître la
réponse. André Chamy
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