Palestine
Israël utilise une combine juridique
pour expulser
un habitant de Jérusalem
Amira Hass
Dimanche 27 septembre 2020 En 2005,
Salah Hamouri a eu le choix : quitter
Israël pour 15 ans ou purger sept ans de
prison. Il a choisi la prison plutôt que
l’exil. Aujourd’hui, il risque à nouveau
d’être expulsé
Par Amira Hass, le
15 septembre 2020
Ce mois-ci, le
ministre de l’Intérieur Arye Dery a
informé Salah Hamouri, un Palestinien de
35 ans né à Jérusalem, de son intention
de révoquer son statut de résident. En
d’autres termes, Dery a l’intention
d’expulser Hamouri de son pays, de sa
patrie et de sa maison.
« Le mercredi 2
septembre, quelqu’un de la police m’a
appelé depuis le complexe russe », a
déclaré Hamouri à Haaretz, en faisant
référence au quartier général de la
police dans le centre de Jérusalem, « se
présentant comme Bahjat, qui est
responsable des minorités [les
Palestiniens dans la ville]. Il m’a dit
: « Venez demain. Un ordre a été donné
contre vous ». J’y suis allé. Il a lu
l’ordre » – c’est-à-dire la lettre
signée par Dery concernant l’intention
de l’expulser.
Puis, raconte
Hamouri, un officier du service de
sécurité du Shin Bet est entré et s’est
présenté comme le capitaine Gabi. « Lui
avez-vous expliqué l’ordre ? » demanda
Gabi à Bahjat, qui lui répondit que oui.
Le capitaine Gabi a dit, selon Hamouri,
« Vous nous avez forcés à faire ça. J’ai
répondu : « C’est donc vous qui êtes
derrière tout ça », et il a dit : « Vous
vous êtes enfoncés dans les ennuis. Vous
n’avez pas votre place ici ». Hamouri a
compris les mots, mais ils ne les a pas
complètement assimilés, même si
l’intention d’Israël de l’expulser
planait sur lui depuis un certain temps.
Hamouri, un avocat
fraîchement diplômé de l’université
d’Al-Quds, dans la banlieue de
Jérusalem-Est, représente les
Palestiniens au tribunal militaire
israélien d’Ofer au nom de
l’organisation palestinienne de défense
des droits des prisonniers Addameer.
Relativement récemment, a-t-il rappelé,
« des jeunes de Jérusalem qui venaient
d’être interrogés et libérés m’ont dit
que quelqu’un du Shin Bet leur avait dit
: ‘Dites à Hamouri que nous allons lui
retirer sa carte d’identité' ».
Hamouri lui-même
avait été jugé par un tribunal militaire
israélien en 2005, lorsqu’il avait été
reconnu coupable d’être membre du Front
populaire de libération de la Palestine
et d’avoir planifié de tuer le rabbin
Ovadia Yosef, l’ancien grand rabbin
d’Israël. Hamouri a déclaré qu’au cours
de son procès, deux options lui ont été
proposées : quitter le pays pendant 15
ans ou purger sept ans de prison. Il a
préféré la prison dans son pays
d’origine à l’exil.
Hamouri a également
la citoyenneté française. Sa mère est
française, et il parle français. Il y a
environ huit ans, à Jérusalem, il a
rencontré sa femme, Elsa, qui est
également française. Son père était un
député du parti communiste français. Ses
grands-parents maternels étaient des
Russes qui ont réussi à s’échapper d’un
camp de concentration nazi.
« Je lui ai fait
comprendre », a dit Hamouri, en parlant
de sa femme, « que je ne quitterais pas
la Palestine ». En avril 2016, alors
qu’elle était enceinte de leur fils,
Elsa est revenue d’une visite en France
et à l’aéroport Ben-Gourion, elle a été
arrêtée, détenue pendant trois jours
puis expulsée. Elle a été informée
qu’elle se verrait interdire l’entrée en
Israël pendant 10 ans.
« Ce furent les
jours les plus durs de ma vie », a
déclaré Salah Hamouri, qui est devenu
mari et père de famille par internet, en
zoomant ou en faisant du Whatsapping le
matin avant que son fils n’aille à la
maternelle et une autre fois le soir, en
plus de faire de petits voyages à Paris,
dont le dernier s’est terminé en mars.
Parce que c’est le
rêve de tant de jeunes Palestiniens
d’immigrer dans un pays occidental, le
refus de Hamouri de saisir l’opportunité
de vivre en France est d’autant plus
remarquable. « Ma place est ici »,
affirme-t-il. « Je suis lié à cet
endroit. Et d’ailleurs, je ne supporte
pas qu’on me force à faire quelque
chose. Ni l’occupation ni aucune autre
autorité ».
Hamouri a été
libéré de prison environ trois mois
avant la fin de son mandat, en 2011,
dans le cadre de l’échange de
prisonniers qui a suivi la libération du
soldat israélien Gilad Shalit. Ce
n’était ni la première ni la dernière
fois qu’il était emprisonné. En 2001, à
l’âge de 16 ans, il a purgé une peine de
5 mois pour « avoir fourni un service à
une association non autorisée ». En
2004, il a passé cinq mois en détention
administrative, c’est-à-dire sans subir
de procès, sans droit à la défense et
sans être accusé de quoi que ce soit.
En 2017, Hamouri a
été interrogé pendant 10 jours jusqu’à
ce que le parquet du district de
Jérusalem passe un accord avec lui pour
sa libération sous réserve du dépôt
d’une caution de 30 000 shekels (8 800
dollars au taux actuel), à condition
qu’il quitte Jérusalem et n’entre pas en
Cisjordanie pendant trois mois.
Il a été ramené du
tribunal à la prison du Russian Compound
pour être libéré, mais, dit-il, « une
heure après que nous ayons conclu
l’accord, ils sont venus m’informer que
le ministre de la défense Avigdor
Lieberman avait émis un ordre de
détention administrative contre moi »,
ce qui signifie qu’il serait de nouveau
détenu sans procès, sans preuves et sans
droit à un avocat. Il a été libéré en
septembre 2018. Il y a deux mois et
demi, fin juin, il a de nouveau été
détenu pendant une semaine. Il a été
interrogé à deux reprises par la police
et a été libéré.
Le nouveau plan
d’expulsion, selon la lettre du ministre
de l’intérieur Dery, est basé sur ces
mêmes arrestations et périodes de
détention, l’appartenance au Front
populaire de libération de la Palestine
et le fait que « vous poursuivez votre
activité hostile contre l’État
d’Israël ».
La lettre s’appuie
sur un amendement de 2018 à la loi sur
l’entrée en Israël, qui permet la
révocation du statut de résident des
Palestiniens qui ont commis des actes
« impliquant un abus de confiance
vis-à-vis de l’État d’Israël ».
Cet article modifié
a été rendu possible dès le départ parce
qu’Israël a appliqué de manière
scandaleuse et injuste la loi sur
l’entrée en Israël aux Palestiniens qui
sont natifs de Jérusalem et résident
dans la ville.
La loi s’applique
aux ressortissants étrangers non juifs
qui ont choisi de vivre en Israël et qui
sont devenus résidents permanents – un
statut qui est conditionnel et sujet à
révocation. Toutefois, contrairement à
ces ressortissants étrangers, les
Palestiniens de Jérusalem-Est n’ont pas
choisi d' »entrer » en Israël et d’y
devenir résidents. C’est plutôt Israël
qui a décidé, lors de la guerre de juin
1967, d’occuper et d’annexer
Jérusalem-Est, et d’adopter des lois et
des règlements qui abusent et dégradent
ses résidents palestiniens.
Ils ne vivent pas à
Jérusalem parce qu’ils ont prêté serment
d’allégeance à Israël. Ils vivent dans
la ville tout simplement parce qu’ils y
sont nés et que leurs familles y vivent,
ainsi que sur la terre située entre la
Méditerranée et le Jourdain depuis de
nombreuses générations.
Parallèlement, le
ministère français des affaires
étrangères a demandé des
éclaircissements à Israël (c’est-à-dire,
dans un langage moins diplomatique,
qu’il a exprimé son opposition à
l’expulsion de Hamouri). « M. Hamouri
doit pouvoir mener une vie normale à
Jérusalem, où il est né et où il
réside », a déclaré le ministère dans un
communiqué le 4 septembre. « Sa femme et
son fils doivent également avoir le
droit de lui rendre visite à
Jérusalem ».
Le ministre Dery a
donné 30 jours à Hamouri pour présenter
ses raisons de ne pas procéder à
l’expulsion.
Traduction : GD
pour l’Agence Media Palestine
Source:
Haaretz
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