Opinion
CPI : les criminels de guerre israéliens
semblent avoir le trouillomètre à zéro…
Amira Hass
Dimanche 21 août 2016
Il se présente comme “Abu Nabil”,
mais l’Arabe n’est pas sa langue
maternelle. Pourchasser des gens et les
menacer de mort, tel est son métier. On
peut supposer qu’il est payé pour ça. Il
travaille avec une équipe, dotée de
moyens technologiques avancés pour
localiser et surveiller des gens.
Le 25 février, Abu Nabil a téléphoné
en Suède, au domicile de la famille de
Nada Kiswanson, une
juriste palestinienne qui jouit de la
double nationalité jordanienne et
suédoise, et il a averti la famille que
si Nada Kiswanson ne
laissait pas tomber son emploi ils ne la
reverraient jamais.
Kiswanson, 31 ans,
vit en Hollande avec son mari et leur
petite fille. En tant qu’employée de
l’organisation palestinienne de défense
des droits humains Al-Haq,
elle assure la liaison permanente entre
l’organisation et la Cour Pénale
Internationale (CPI) de La Haye. Deux
semaines avant les menaces par
téléphone, Kiswanson et un membre de
l’équipe de l’association de défense des
droits Al Mezan, dont
le siège est à Gaza, avaient déposé à la
Cour un volumineux rapport à propos des
événements survenus à Rafah lors du
“Vendredi noir”, le 1er août
2014. Ce document fait partie du dossier
déposé pour un examen préliminaire par
la Cour, qui doit décider s’il y a lieu
d’enquêter à propos de possibles crimes
contre l’humanité commis durant
l’opération “Bordure protectrice”
(“Protective Edge”).
Quelques jours après l’appel
téléphonique à la famille, une femme a
téléphoné à Kiswanson, affirmant
travailler pour le Ministère hollandais
de la Santé, et lui a demandé de prendre
part à une enquête à propos du virus
Zika. Le signal d’alarme n’a pas retenti
immédiatement. Kiswanson a donné son
adresse, et ensuite Abu Nabil
a appelé sur la ligne fixe à son
domicile. Il lui a dit qu’elle
appartient aux services de renseignement
palestiniens, et que sa vie, ainsi que
la vie du directeur de Al-Haq,
Shawan Jabarin, était
en danger. Après enquête, il s’avère
qu’aucune enquête téléphonique
concernant le virus Zika n’a été menée.
Les appels téléphoniques et les
menaces ont continué, parfois de nuit.
Kiswanson a fait changer son numéro, et
le nouveau numéro a été placé sur “liste
rouge”, et elle a commencé à utiliser le
téléphone de son mari. Mais, alors
qu’elle appelait ses collègues à
Ramallah, son numéro de téléphone a été
identifié. Son adresse sur une
application de communication sécurisée a
aussi été identifiée, et elle a commencé
à recevoir des menaces et des
“avertissements” par cette voie
également. Son ordinateur a été piraté
et mis hors service. Un bouquet de
fleurs a été livré chez elle, avec une
carte signée Abu Nabil. Le bouquet avait
été envoyé d’Amsterdam. La police a
découvert que quelqu’un a tenté à sept
reprises de le payer avec une carte de
crédit, à partir de Luxembourg. Ces
tentatives avaient échoué, et finalement
l’acheteur s’était présenté au magasin.
Mais il n’a pas été filmé par les
caméras de sécurité.
Un tract a été distribué dans les
boites à lettres dans le voisinage, avec
le nom de Al-Haq,
sollicitant des dons de différents
objets pour les réfugiés en Hollande.
L’adresse mentionnée était celle de la
maison de Kiswanson, et des dons se sont
empilés devant sa porte. Les voisins
étaient furieux. Le 10 août, son
collègue de Al Mezan,
qui se trouvait en Europe, a reçu un
courrier électronique accompagné de six
photos de sa résidence en Europe, et
contenant des menaces de mort pour sa
famille et pour lui-même.
Les menaces de mort ont fait passer
au second plan d’autres agressions
contre les membres du personnel de
Al Mezan, de
Al-Haq et du “Palestinian
Center for Human Rights” qui
travaillent afin de faire comparaître
Israël devant la Cour Pénale
Internationale de La Haye. Leurs
messageries électroniques ont été
piratées et, depuis le mois de février,
ils ont reçu un flot de messages dont le
but était de créer des tensions entre
eux et leurs directeurs, ainsi que de
répandre de fausses rumeurs et de leur
faire de fausses propositions de travail
en Europe pour l’aide aux réfugiés. Des
coups de téléphone anonymes ont aussi
été adressés à des organisations
étrangères qui font des dons aux trois
organisations palestiniennes, leur
demandant de stopper leur soutien en
raison d’une prétendue corruption.
Le Procureur Simon Minks,
du Parquet de La Haye, dirige une
enquête à propos de l’affaire des
menaces adressées à Kiswanson. Selon le
journal néerlandais “NRC”, qui est le
premier à avoir révélé l’affaire, Minks est spécialisé
dans les affaires criminelles telles que
les crimes de guerre et le terrorisme.
Les premières conclusions de l’enquête
sont que le harcèlement ne trouve pas sa
source dans les agissements d’individus
isolés.
Les organisations palestiniennes en
concluent que les menaces sont la preuve
que les actions publiques et juridiques
qu’elles ont entreprises afin qu’Israël
soit jugé devant la Cour Pénale
Internationale inquiètent ceux qu’elles
devaient inquiéter.
Amira Hass
Amira
Hass est une journaliste
israélienne, travaillant pour le journal
Haaretz. Elle a été
pendant de longues années l’unique
journaliste israélienne à vivre à Gaza, et a notamment
écrit « Boire la mer à Gaza »
(Editions La Fabrique)
L’article ci-dessus a été
publié par Haaretz le 17 août 2016
et traduit par Luc Delval.
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