Palestine
La destruction des maisons des «agresseurs
palestiniens» en dissuade-t-elle
d’autres ?
Amira Hass
Une femme
palestinienne inspecte une maison rasée
par l’armée israélienne dans le camp de
réfugiés Qalandiya le 16 novembre 2015.
C’était la maison d’un Palestinien
soupçonné d’avoir abattu et tué un
Israélien. Photo AP
Jeudi 10 décembre 2015
C’est ce que
prétendent les dirigeants israéliens.
Qu’en est-il des faits ?
De jeunes Palestiniens assistent aux
funérailles de ceux qui ont été tués et
on peut les entendre chanter ce qui
suit : « Ô mère du martyr, quelle
chance tu as ! Si seulement ma mère
était à ta place ! » Ils mentent.
Ils savent pertinemment bien que la mère
du shahid, du martyr, est
anéantie de chagrin et que leurs propres
mères se sont pas disposées à échanger
leur place avec elle. Tout ce qu’il vous
reste à faire, c’est d’assister aux
sanglots des proches et des amis à
propos de leurs jeunes parents qui ont
été tués, si vous voulez comprendre à
quel point ces incantations sont
détachées de la réalité.
Il est malaisé d’évaluer la portée
réelle de l’effet des chants sur tous
les jeunes qui, ces dernières semaines,
ont décidé de chercher la mort en
attaquant des Israéliens. Une chose est
claire, toutefois, c’est qu’ils ne sont
en aucune façon influencés par les
déclarations officielles israéliennes,
dont les plus récentes émanent du
procureur de l’État, Shai Nitzan, sur
l’effet de la démolition par Israël des
maisons des terroristes en tant que
moyen de dissuasion. En d’autres termes,
l’affirmation selon laquelle la façon de
faire cesser de nouvelles agressions
consiste à démolir d’autres maisons
palestiniennes encore est un mensonge.
Le 6 octobre, les forces de sécurité
à Jérusalem ont détruit deux maisons et
ont posé les scellés sur une troisième
maison de Palestiniens qui avaient tué
des Israéliens en ville et avaient été
tués au cours des mêmes incidents. Ceux
qui souffrent des conséquences sont les
familles des Palestiniens. Les
démolitions, qui ont eu lieu sous le
seing approbateur de la Haute Cour de
justice israélienne, ont été opérées à
la hâte, dans le sillage de deux
agressions mortelles commises la semaine
précédente, et au cours desquelles
quatre Israéliens avaient été tués et un
autre blessé à coups de couteau.
Et que s’est-il passé, la semaine qui
a suivi cette action de dissuasion de la
Haute Cour ? Le début d’un processus au
cours duquel trois agressions ou
tentatives d’agression au couteau ont eu
lieu chaque jour. Le 7 octobre, il y a
eu trois attaques au couteau dans trois
villes à l’intérieur d’Israël. Le 8
octobre, il y en a eu quatre, suivies le
lendemain par une nouvelle à Jérusalem
et une autre encore dans la colonie
cisjordanienne de Kiryat Arba. (Et, à
Dimona, un Juif a poignardé un
Palestinien, alors qu’à Afula, la
police, sous la pression de l’hystérie
publique, abattait une jeune résidente
de Nazareth qui n’avait blessé
personne).
Le 10 octobre, il y a eu trois
agressions au couteau à Jérusalem. Le
lendemain, il y a eu une agression par
voiture et une autre au couteau à Gan
Shmuel (et un rapport israélien, réfuté
par les Palestiniens, fait état d’une
tentative d’agression à coups de
grenades lacrymogènes à Ma’aleh Adumim).
Le 12 octobre, il y a eu trois
agressions au couteau, dont deux ont
échoué, en une tentative de vol d’arme à
Jérusalem, suivies le lendemain de deux
nouvelles agressions au couteau à
Ra’anana, au cours desquelles plusieurs
personnes ont été blessées, et de deux
encore à Jérusalem se soldant par quatre
morts israéliens. Ces deux agressions
meurtrières avaient été commises par
deux résidents du quartier de Jabal
Mukkaber, à Jérusalem, le quartier même
où deux maisons avaient été démolies le
6 octobre, au cours d’une opération
prétendument dissuasive.
Le rythme quotidien des agressions et
des tentatives d’agression s’est
poursuivi jusqu’au 19 octobre. Dans
l’intervalle, l’épicentre des agressions
dans cette révolte de loups
solitaires s’est déplacé de
Jérusalem vers Hébron. Et, du fait que
la tactique de dissuasion a tellement
fait ses preuves, le 20 octobre, suite à
des instructions émanant du ministre
[israélien] de la Défense Moshe Ya’alon,
[les] forces [israéliennes] ont détruit
à Hébron la maison d’un individu qui
avait tué une Israélienne l’an dernier.
Et que s’est-il passé quelques heures
à peine après la démolition ? Il y a eu
trois attaques au poignard et une autre
impliquant un camion (bien que le
conducteur palestinien ait prétendu
qu’il s’agissait d’un accident).
Entre le 14 novembre et le 3
décembre, les juges et les commandants
militaires ont envoyé des troupes afin
de démolir sept autres maisons
palestiniennes : cinq à Naplouse, une à
Qalandiyah et une au camp de réfugiés de
Shoafat. Avez-vous entendu parler du
moindre arrêt des tentatives d’agression
au couteau ? Il est impossible de savoir
si les décès israéliens les plus récents
sont dus directement à l’approbation par
la Haute Cour de ces démolitions de
maisons. Tout ce que nous savons avec
certitude, c’est que la décision des
juges n’a pas empêché la mort de ces
Israéliens.
Dans un effort de dissimuler l’échec
de la tactique de dissuasion, Israël a
rebattu les oreilles avec les « incitations
palestiniennes ». Voilà où se situe
la responsabilité. À ce propos, les
porte-parole israéliens avec, tout en
tête, le Premier ministre Benjamin
Netanyahou, sont pareils au lobby des
compagnies pétrolières qui nie la
connexion entre le réchauffement
climatique et l’activité humaine. Ils
nient toute connexion entre la révolte
d’individus désespérés et en colère et
le pouvoir violent que nous leur avons
imposé.
Mais les dirigeants israéliens
excellent à démolir de plus en plus de
maisons dans le cadre de mesures
dissuasives qui, l’une après l’autre,
échouent dans leur but.
Publié le 9 décembre 2015 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
Amira Hass
Amira Hass est une
journaliste israélienne, travaillant
pour le journal Haaretz.
Elle a été pendant de longues années
l’unique journaliste à vivre à
Gaza, et a notamment écrit « Boire
la mer à Gaza » (Editions La
Fabrique)
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