Opinion
Chrétiens d'Orient ... entre l'enclume
de l'exil
et le marteau des Kurdes
Amer Naïm Élias
Samedi 4 avril 2015
Le 27 mars 2015,
un débat sur les violences ethniques et
religieuses a eu lieu au Conseil de
sécurité [1]. Il était présidé
par M. Laurent Fabius. Voici quelques
lignes extraites de son discours :
« …aux
minorités du Moyen-Orient, nous devons
montrer que nous sommes à leurs côtés –
et aux côtés des Etats respectueux de la
diversité…
Au cours des derniers mois, le monde a
tenté de répondre à l’urgence
humanitaire pour sauver ces minorités de
la mort. Ces efforts restent évidemment
indispensables, mais nous constatons
tous qu’ils ne suffisent pas. Les
minorités ne réclament pas des faveurs,
elles demandent tout simplement leurs
droits. Et notre mot d’ordre doit être
le retour des minorités déplacées sur
les terres dont elles ont été chassées…
nous savons ici
tous que c’est une solution politique
d’ensemble qui permettra le
réenracinement durable et pacifique des
minorités. C’est pourquoi il nous semble
que la communauté internationale doit
soutenir la consolidation d’Etats qui ne
soient pas les défenseurs d’une seule
communauté, mais les garants de la
coexistence de toutes les composantes de
la société… » [2].
On croit rêver !
Laurent Fabius parle au nom d’un
gouvernement qui n’a cessé de clamer sa
« lune de miel » avec l’Arabie saoudite,
l’état le plus sectaire et le plus
intolérant en ce bas monde ; celui-là
même qui a pris la tête d’une prétendue
alliance carbonisant du plus haut des
cieux les enfants du Yémen, après avoir
massacré par procuration ceux d’Irak, de
Libye et de Syrie, sans jamais broncher
devant le massacre des enfants de Gaza.
Et ce n’est pas
fini. Le 1er avril, BHL entre
en scène pour nous convaincre que
« La France doit aider militairement les
Kurdes pour sauver les Chrétiens
d'Orient…
C'est l'honneur de la diplomatie
française d'avoir compris que Daech et
Assad sont trop profondément complices »
[3][4].
M. Alain Marsaud a beau plaisanter sur
ce que « nous a coûté » cette honorable
diplomatie [5] sans plus trop
parler du « mal qu’on a fait », un
nouveau cycle de mensonges adapté à la
juste indignation des Français a bel et
bien démarré. [NdT].
Les Nations Unies,
par la voix de la France, ont lancé un
appel pour sauver les Chrétiens du
Levant, en Syrie et en Irak, de
l’extermination à grande échelle ciblant
leur patrimoine et leur existence depuis
des millénaires dans la région ; dossier
réactivé suite à l’invasion par Daech
des villages assyriens de la région du
Khabour en Syrie [6].
La Campagne
médiatique a plutôt bien fonctionné et
l’attention a immédiatement été portée
sur ces Assyriens syriens expatriés en
Occident, leur inévitable dernier refuge
sans espoir de retour. Ceci, alors qu’en
Irak, la situation n’est pas très
différente, le nombre des habitants
chrétiens de la plaine de Ninive et de
Mossoul s’étant effondré de 90% depuis
l'invasion américaine puis daechienne ;
tandis que 10% de Chaldéens sont restés
dans les zones dites du « Kurdistan
irakien ».
Un « Kurdistan »
présenté comme le modèle du pluralisme,
de la démocratie et de la tolérance ;
alors que des rapports en provenance
d'Irak indiquent que les Chrétiens y
sont traités comme des citoyens de
seconde catégorie.
Mais aujourd’hui que
la « carte kurde » est devenue
essentielle dans la guerre de la
Coalition d’Obama contre Daech en Syrie
et en Irak, la France mène une campagne
dont l’objectif est double :
-
Armer les kurdes
et faire pression sur l’Union
européenne.
-
Lier le dossier
des Irakiens chrétiens, puis celui de
certains Syriens chrétiens, au sort des
Kurdes et de leur rêve d’un foyer
national sur les territoires syrien et
irakien, pour parachever la
fragmentation de l’identité nationale
irakienne, quitte à mettre les Chrétiens
d’Irak sous tutelle des Kurdes.
C’est cela la
position officielle de la France et
c’est bien ce qu’a expliqué le
théoricien des « Printemps arabes »,
Bernard-Henri Levy, dans un entretien
avec «Le Figaro», sur la rencontre du
ministre irakien des Peshmergas
accompagné de responsables militaires
Kurdes avec le président français
François Hollande.
Selon BHL, « il
n’y a que les Kurdes, qui peuvent
concrètement venir en aide aux Chrétiens
d'Orient », et le meilleur moyen de
se débarrasser de Daech est de les
armer, car «
ce sont eux qui, sur le terrain,
résistent à l’État islamique. Et
parce que, s'il y a une chance de
reprendre Mossoul ce sera grâce à eux et
avec eux ».
Quant aux craintes exprimées par
certains états européens au cas où ces
armes tomberaient, une fois de plus,
dans de mauvaises mains, ils sont
balayés par l’aveu de son intime
conviction : « J'ai souvent, dans ma
vie, plaidé pour que l'on aide des
combattants qui étaient nos alliés, un
jour contre les Soviétiques, un autre
contre Kadhafi, un autre contre telle
autre dictature. Mais, même si je
n'avais aucun doute sur cette nécessité
de les aider, je ne savais jamais si les
armes que nous leur livrions n'allaient
pas, un jour, être réutilisées à de
mauvaises fins et au service de valeurs
qui ne seraient plus les nôtres. Là,
c'est la première fois que j'ai aussi
peu de doutes. C'est la première fois
que je me sens, que je nous sens, en
harmonie avec ce qui fait le fond de nos
croyances communes. Les Kurdes ne sont
pas seulement nos alliés. Ce sont des
gens qui ont les mêmes valeurs que nous.
La laïcité. Le goût de la démocratie.
L'exigence de l'égalité hommes-femmes.
La haine absolue de l'Islam
fondamentaliste, radical et fasciste ».
Pour nous, il est
donc parfaitement clair que si la
priorité des priorités de l’Union
européenne est le règlement du conflit
ukrainien, la France a d’autres
priorités et un autre point de vue.
Il est tout aussi
clair que la volonté d’armer les Kurdes,
malgré la réticence des pays européens
qui préfèrent éviter de mécontenter la
Turquie ainsi que les conséquences
désastreuses de la consécration de la
partition de l’Irak, est une volonté
française soutenue par les USA.
Et enfin, il est plus
que clair que prétendre aider les
Chrétiens d’Orient en armant les Kurdes
est un subterfuge censé renforcer le
projet kurde à leurs dépens. Si cette
décision était prise, elle aura pour
conséquences de les conforter dans
l’exil ou de les dissoudre au sein d’une
nouvelle entité nationale qui cherche à
disloquer la région par la création d’un
état d’une surface équivalente à l’Irak
avant son invasion par les USA.
Amer
Naïm
Élias
Écrivain et
traducteur syrien
02/04/2015
Source : New Orient
News
http://www.neworientnews.com/index.php/2013-08-24-22-19-26/9595-2015-04-02-06-19-44
Traduction de l’arabe
par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Chrétiens d’Orient et minorités
persécutées au Moyen-Orient (27 mars
2015)
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-a-l-onu-1032/evenements-et-actualites-lies-aux/presidence-francaise-du-conseil-de/presidence-francaise-du-conseil-de-23951/article/chretiens-d-orient-et-minorites
[3] Bernard-Henri Lévy : « La France
doit aider militairement les Kurdes pour
sauver les Chrétiens d'Orient»
http://www.lefigaro.fr/international/2015/03/31/01003-20150331ARTFIG00352-bernard-henri-levy-la-france-doit-aider-militairement-les-kurdes-pour-sauver-les-chretiens-d-orient.php
[4]
Bernard Henri-Levy à l'Elysée avec les
peshmerga Kurdes - 01/04
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=U40ZU0lC8TY
[5] François ça ne va
pas, encore une fois ! Par Alain Marsaud
http://alainmarsaud.fr/?p=3261
[6] Syrie / Irak :
Quoi d’autre après l’élimination des
Assyriens ?
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.nasser_kandil.190315.htm
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Les dernières mises à jour
|