Interludes
Moi, Jahvé
Aline de Diéguez
Mardi 4 septembre 2018 Les dieux naissent,
vivent et meurent. Il arrive même qu'ils
ressuscitent.
Depuis la nuit des
temps, l'histoire de la planète est
scandée par le rythme des apparitions et
des disparitions des dieux. Les jours
succèdent aux nuits, les saisons se
suivent en une ronde immuable et
toujours des dieux par dizaines ont
peuplé les continents. Tous ont connu
des cortèges de fidèles. Telle est la
dure loi par laquelle un dieu prouve son
existence.
Sans fidèles, pas
de dieu. Mardouk, Jupiter, Junon, Athéna
, Aphrodite, Isis, Osiris, Amon Râ,
Odin, Wotan, Frija, Camos, Melqart,
Hadad, Baal n'ont plus de fidèles, sans
compter les dieux incas, aztèques,
océaniens , asiatiques ou africains.
Tous ont disparu de la mémoire des
hommes.
Après des milliards
et des milliards de rotations sur
elle-même de notre boule sidérale, le
dieu Jahvé est enfin sorti des limbes et
a chu sur une minuscule et ingrate
écharpe de terre. Un petit groupe
d'humanoïdes y déambulait et rêvait d'en
expulser les premiers occupants.
Jahvé a alors pris
les choses en main. D'un coup de gomme
cosmique il a effacé le passé et il
s'est installé dans l'histoire en matin
du monde. Il s'est déclaré créateur et
maître du cosmos et, en même temps,
protecteur exclusif d'une tribu. La
logique divine est un mystère
impénétrable aux simples mortels.
Après quelques
secondes d'existence officielle au sein
des nations mesurées sur le cadran de
l'horloge cosmique, les fidèles du dieu
Jahvé furent relégués durant près de
deux millénaires dans les bas-fonds de
l'histoire.
Le dieu avait été
submergé par un premier, puis par un
second confrère qui avaient su capter
les faveurs de millions de partisans
enthousiastes. La forme olympique et
l'attrait de la nouveauté des nouveaux
collègues avaient fait du pauvre Jahvé
un éclopé parmi les divinités, un
infirme couturé de cicatrices et objet
de dérision.
Les nouveaux venus,
triomphants, prirent leurs aises dans
les territoires qu'ils s'étaient conquis
et, durant une vingtaine de siècles,
méprisèrent le dieu clopinant et devenu
errant. Ils s'imaginèrent même qu'ils
l'avaient définitivement vaincu.
Ils avaient tort.
La résurrection
d'un dieu est un phénomène aussi
miraculeux que celui de son apparition.
Jahvé n'était pas mort. Il dormait d'un
œil, mais l'autre veillait.
Il contemplait avec
dilection les guerriers khazars qu'il
s'était adjoints, une garde rapprochée
musclée, nombreuse et enthousiaste sans
laquelle il avait bien conscience que
son règne se serait étiolé, parce que sa
petite troupe originelle n'aurait pas eu
la force suffisante de le maintenir en
vie.
Disséminés dans les
plaines d'Ukraine, de Russie et de
Pologne, ces catéchumènes du
Talmud se languissaient d'une
terre qu'aucun de leurs ancêtres n'avait
connue. Une armée de Chevaliers à la
Triste Figure tendait des mains
suppliantes en direction de sa Dulcinée,
en direction de son rêve, en direction
de Sion. Vers la terre rêvée se
tournaient les âmes sionistes des
marches de l'Est et de l'Asie centrale.
"Celui qui ne
connaît pas l'histoire est condamné à la
revivre" . Karl Marx.
C'est pourquoi il
est important de rappeler les
principales étapes de la résurrection du
dieu Jahvé.
Première salve
: Un premier roulement de tambour
avait retenti en 1791 avec le Décret
d'émancipation des juifs voté par
l'Assemblée Constituante. Le dieu Jahvé
avait entr'ouvert un oeil. Les
révolutionnaires optimistes et
enthousiastes invitaient les fidèles du
dieu à se détourner des ratiocinations
des vieilles barbes rabbiniques, les
tenaces jardiniers d'une "haie de
lois talmudiques" qui interdisaient
à leurs ouailles toute intégration à la
nation sur la terre de France.
Deuxième salve
: Comme rien n'advenait, un roitelet qui
se prenait pour un empereur tout
puissant se crut assez convaincant pour
réussir ce que la Révolution n'avait pu
réaliser: fondre le peuple de Jahvé dans
le peuple de France et lui faire oublier
les préceptes ségrégationnistes qui lui
enjoignaient, menaces cruelles à
l'appui, de refuser toute intégration à
la nation dans laquelle ils s'étaient
établis. Finalement le Talmud
triompha des illusions de l'empereur des
Français et Jahvé maintint ses fidèles
derrière la clôture de la loi
talmudique.
Troisième salve
: Le 29 août 1897 lors du premier
congrès sioniste qui se tint dans la
bonne ville de Bâle, le dieu Jahvé
bondit officiellement hors du cercueil
dans lequel ses rivaux croyaient l'avoir
cantonné. Alors qu'ils se préparaient à
planter le dernier clou dans le
couvercle, il leur fit un pied de nez
cosmique. Un grand rire zébrait la nue
pendant qu'il se préparait à déployer la
grande aile du sionisme politique sur le
globe terrestre.
Quatrième salve
: La bombe atomique éclata le 27
novembre 1917 sous la forme de la
Déclaration Balfour, prélude à la
loi qui, aujourd'hui, définit
officiellement Israël comme "l'État-nation
du peuple juif ". La cloche des
victoires à venir sonnait à toute volée.
Le XXe siècle tout
entier raconte l'épopée de la
résurrection du dieu Jahvé et son retour
en majesté sur la terre de son rêve. Un
épisode de durs tourments en fit douter
plus d'un. Certains crurent même, une
fois encore, qu'il était mort.
Mais le dieu Jahvé
veillait, le dieu Jahvé jubilait
secrètement et attendait son heure. Il
attendait le moment propice pour revenir
en boomerang dans l'histoire. Il savait
que plus l'épreuve est cruelle, plus
éclatante sera la résurrection. C'est
ainsi que le dieu sortit renforcé d'un
temps de chagrin et de douleurs et il
bondit hors de son tombeau plus loin et
plus haut sur le trampoline de sa
mémoire et jusqu'à occuper la place dont
il avait rêvé trois millénaires plus
tôt, la première.
Depuis lors,
confortablement installé sur un cumulus,
le dieu Jahvé observe le succès de ses
troupes à l'Est, à l'Ouest, au Nord et
au Sud . Il sait que ses fidèles ne
pourront plus être exilés dans de
sordides ghettos et il se frotte les
mains en riant dans sa barbe.
Jahvé est un dieu
heureux.
Le 3 septembre 2018
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