El Watan
Election présidentielle en Algérie : ce
que dit Ali-Yahia Abdennour, président
d’honneur de la Ligue algérienne des
droits de l’homme
Photo :
D.R.
Mercredi 9 avril 2014
Revue de presse : El Watan
(8/4/14 - extraits)*
Paraphraser Rudyard Kipling,
c’est dire que «la Révolution
algérienne n’a pas appartenu aux
premiers qui l’ont déclenchée, mais aux
derniers qui l’ont terminée et l’ont
tirée à eux comme un butin».
L’indépendance du pays, en 1962, a
engendré des dirigeants qui ont confondu
nation, Etat, peuple, socialisme et
capitalisme d’Etat, socialisme national
et national-socialisme, droit du peuple
à disposer de lui-même et droit de
l’Etat à disposer de son peuple. Le
système politique instauré, toujours en
vigueur, conforté et consolidé par la
légitimité historique et la rente des
hydrocarbures, a confisqué la
souveraineté populaire et la citoyenneté
et dirigé le pays par les moyens de la
dictature. On fait une révolution pour
établir une dictature. Le problème de
l’Algérie résulte de ses dirigeants, qui
veulent rester à vie ou trop longtemps
au pouvoir auquel ils ont accédé par des
coups d’Etat, par les armes ou par les
urnes.
1re question : Algérie 2014,
état des lieux
L’armée, ses décideurs et en
particulier le DRS ont pris la grave
responsabilité, lourde de conséquences
néfastes, en portant à la magistrature
suprême, le 15 avril 1999, Abdelaziz
Bouteflika, et en le maintenant envers
et contre tous en 2004, le 9 avril 2009,
et peut-être le 17 avril 2014. Le bilan
de ses trois mandats est catastrophique,
compte tenu des ressources dont a
disposé le pays : 600 milliards de
dollars. Sa tendance à personnaliser et
à centraliser à l’excès le pouvoir, à
régner et gouverner à la fois, à
accumuler titres et fonctions, à tout
diriger, tout régenter, à faire du
gouvernement à sa dévotion le pouvoir
exécutant, du Parlement l’annexe de la
Présidence, de la justice qui a abdiqué
ses pouvoirs constitutionnels une simple
autorité à son service, à nommer ses
proches, des cadres de sa tribu, de son
douar d’origine, aux postes de
responsabilité de l’Etat, a réveillé les
vieux démons du tribalisme et du
régionalisme. Il a mis la main sur les
principaux leviers du pouvoir sans être
en mesure de les exercer. Malade, il ne
peut pas faire mais fait faire, délègue
ses pouvoirs à sa garde rapprochée, sa
fratrie, sa tribu, son clan,
l’état-major de l’armée. Son bilan est
un échec dans tous les secteurs,
notamment dans les domaines agricole et
industriel, celui de l’éducation, de
l’école primaire à l’université, de la
santé... L’Algérie n’est pas un pays
émergent, encore moins un pays
développé.
Le mécanisme habituel de notre
économie est le moteur à trois temps :
inflation galopante, cancer de la
société qui appauvrit les plus démunis,
hausse des prix des produits de première
nécessité au premier rang desquels
figure l’alimentation, dévaluation du
dinar, symbole de la monnaie qui reflète
l’économie, dont le niveau est fixé par
l’euro et le dollar.
Les richesses tirées du sous-sol ne sont
pas réinvesties sur le sol. L’Algérie
est coupée en deux, celle des riches
toujours plus riches, celle des pauvres
de plus en plus nombreux. Le chômage est
un drame humain, doublé du désastre
économique. Que sont devenus les
disparus ? Des morts sans sépulture, des
vivants sans existence. La revendication
identitaire s’oriente vers la
radicalité.
Le lobby de l’argent n’est pas
disposé à partager les richesses du
pays, particulièrement la rente
pétrolière. L’ultralibéralisme sauvage,
sans règles ni garde-fou, qui ouvre la
voie au marché informel qui fait la loi,
et la féodalité de l’argent vont doubler
l’armée et prendre la place qu’elle
occupe dans le système politique. La
corruption qui a atteint la cote
d’alerte, a un rôle politique car elle
est l’instrument majeur pour garder le
pouvoir. Sa puissance au sommet de
l’Etat est telle qu’elle menace la
cohésion nationale et la cohésion
sociale, et que c’est le système
politique tout entier qui porte le nom
de kleptocratie.
La justice protège «les copains et
les coquins» du pouvoir et leur assure
l’impunité. Il faut s’indigner de
l’impunité dont bénéficient les grands
corrompus. Il existe des pratiques qui
couvrent la fuite des capitaux vers
l’étranger de manière à satisfaire les
appétits des corrompus les plus voraces.
Les Algériens, qui ne tarissent pas
d’éloges sur l’homme providentiel, le
visionnaire politique qui préside aux
destinées du pays, scandent son nom,
l’ovationnent, mettent en relief la
profondeur de ses analyses, la justesse
de ses décisions. Ils copient la Corée
du Nord.
2e question : Le scrutin du
17 avril 2014, quel enjeu ?
Les Algériens, dans leur grande
majorité, ne veulent pas du maintien de
ce pouvoir aux commandes du pays. Ils
ont le choix des mots qui expriment leur
situation présente : aliénés, humiliés,
méprisés, rejetés, écrasés, floués,
marginalisés.
A la différence de l’Occident
respectueux du tryptique — l’avoir, le
savoir, le pouvoir — qui fait que la
bourgeoisie possède et, pour cette
raison, gouverne, en Algérie les
dirigeants gouvernent et, pour cette
raison, possèdent. Le système politique
algérien, sans aspiration démocratique,
a trois traits communs : la
concentration du pouvoir, l’irrégularité
de sa dévolution et l’anomalie de son
exercice. Il ne signifie ni circulation
du pouvoir et des richesses ni élections
libres, mais seulement la reproduction
de la caste fermée des dirigeants.
Bouteflika ne quittera pas le pouvoir
par le jeu de la démocratie, par
l’alternance, mais par le changement du
rapport de force à l’intérieur des
décideurs de l’armée. Il va se succéder
à lui-même, sans le peuple, malgré lui
et contre lui. Sa réélection est
annoncée pour éliminer ceux qui lui font
de l’ombre ou ne lui prêtent pas
allégeance.
A chaque élection, le pouvoir ne
cesse de dire et de répéter que le vote
sera régulier dans la forme avec
plusieurs candidats et dans le fond avec
un scrutin transparent et honnête. Quel
système politique qui ne cherche qu’à se
reproduire, fondé sur la dictature,
ferait des élections libres et
s’engagerait à céder le pouvoir au cas
où le suffrage universel ne serait pas
en sa faveur ? La fraude électorale,
vieille tradition coloniale, amplifiée
depuis l’indépendance du pays, bien
intégrée dans les mœurs politiques, est
au rendez-vous de toutes les élections.
Les Algériens ont en mémoire les fraudes
massives et généralisées constatées lors
de toutes les élections pour détourner
la volonté populaire et normaliser la
société.
Ne pas respecter les règles d’une
élection propre, c’est courir le risque
d’une grande désaffection populaire,
d’une abstention record. Le scrutin du
17 avril, s’il a lieu, sera marqué de la
grève du vote massivement suivie — moins
de 15% du corps électoral — sanction et
expression du désaveu du pouvoir. Tout
pouvoir issu d’élections truquées, qui
relèvent du hold-up électoral, qui est
du gangstérisme politique, est
illégitime, anticonstitutionnel.
Le vainqueur du scrutin du 17 avril
2014 sera l’électorat qui désertera les
urnes. Le scrutin, quand il est libre,
est une vitrine de la démocratie. Les
Algériens ont le droit de mener campagne
dans un cadre légal, pour ou contre la
participation au vote. Les partis
partisans du 4e mandat, qui fixent sur
eux les feux de l’actualité, ne sont que
le prolongement du pouvoir, les
auxiliaires zélés de la dictature. Ceux
qui participent à l’élection
présidentielle, sachant que le peuple
bouge, craque de partout, parce que
toutes les possibilités de se faire
entendre sont épuisées, jouent le rôle
de simples figurants et serviront de
caution, de faire-valoir, au candidat du
système politique.
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:
Le pouvoir au peuple, l’Armée
à la nation, l’Algérie à tous les
Algériens
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Publié le 9 avril 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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