Réseau Voltaire
Le secret des substances chimiques
associées
à la fracturation hydraulique
Alfredo Jalife-Rahme
Vendredi 6 juin 2014
Alors que la campagne médiatique en
faveur de l’exploitation des gaz de
schistes se poursuit dans le monde
anglo-saxon et ses alliés, un rapport
parlementaire états-unien de 2011, tenu
secret jusqu’à aujourd’hui, révèle les
prétendus « secrets commerciaux »
et autres « produits exclusifs »
de la fracturation hydraulique. Il
s’agit en réalité de substances
cancérigènes ou polluantes, presque
toutes interdites.
Toute l’industrie
pétrolière et gazière des États-Unis
s’est lancée dans une colossale
campagne publicitaire visant à
vanter les prétendus avantages de la
fracturation hydraulique, une
technique susceptible de faire de la
Roumanie « l’Arabie saoudite du
XXIe siècle ».
Ainsi, la récente livraison de la
revue bimestrielle Foreign
Affairs, porte-parole du très
influent Council on Foreign
Relations (Conseil des relations
étrangères, CFR en anglais),
considère sans détour la très
controversée technique de la
fracturation hydraulique comme la
nouvelle arme énergétique et
géostratégique des États-Unis [1].
En revanche, la critique de cette
technique nuisible —extraction de
grandes quantités de gaz de schiste
par injection massive d’eau et de
substances chimiques secrètes—
formulée en majeure partie par les
milieux scientifiques (géologues,
sismologues, chimistes, etc.) n’a pu
trouver un écho favorable ailleurs
que dans les publications
universitaires, comme les revues
Science et Proceedings of the
National Academy of Sciences,
dont les articles ne sont pas
adéquatement diffusés par les médias
contrôlés par les ploutocraties
états-uniennes du gaz et du pétrole.
La critique a reproché à
l’inquiétante fracturation
hydraulique d’être à l’origine de
tremblements de terre —ce que nie,
de façon absurde, la très
complaisante Commission nationale
(sic) des hydrocarbures mise sur
pied par le « Mexique néolibéral
d’obédience itamiste [2] »
sous la houlette des États-Unis—, de
causer l’épuisement et la pollution
de l’eau (alors que les États-Unis
vivent la pire sécheresse des cent
dernières années) et de favoriser le
réchauffement planétaire en raison
des émissions massives de méthane
que cette technique produit.
Il ne manque —ou plutôt manquait—
que l’identification de la centaine
de substances chimiques « secrètes »
qui sont injectées en même temps que
l’eau.
Un premier rapport dressant
l’inventaire à l’échelle nationale
des substances chimiques dont se
servent les entreprises du domaine
de la fracturation hydraulique a
pourtant été rédigé par le Congrès
des États-Unis et publié avec un
retard de trois ans.
Le mystère entourant
l’identification de ces substances
chimiques a finalement été élucidé
par un rapport rédigé en 2011 par
des députés démocrates de la Chambre
des représentants des États-Unis
siégeant à la commission de
l’Énergie et du Commerce, mais
révélé simplement maintenant.
La commission en question
brocarde l’« innocuité de la
fracturation hydraulique »,
ainsi que le secret qui entoure les
substances chimiques utilisées avec
les liquides : « aux États-Unis,
entre 2005 et 2009, les 14
principales entreprises du domaine
de la fracturation hydraulique ont
utilisé plus de 2 500 produits
chimiques contenant 750 composés
parmi lesquels 650 contenaient des
substances chimiques considérées
comme étant des agents cancérigènes
ou de dangereux polluants
atmosphériques ».
Où en est cette inquiétante
situation aujourd’hui, à cinq ans de
distance ?
La commission dénonce
l’utilisation d’une grande partie de
ces substances chimiques au motif
qu’elles « constituent un risque
considérable pour la santé humaine
et l’environnement ».
Les multinationales pétrolières
et gazières, comme Halliburton et
Schlumberger, utilisent pour la
fracturation hydraulique des
produits « contenant 29 substances
chimiques ayant trois
caractéristiques :
Elles
sont reconnues comme étant
cancérigènes pour les êtres
humains ;
Elles
sont assujetties à la Loi sur le
contrôle de la qualité de l’eau (Safe
Drinking Water Act en anglais)
en raison des risques qu’elles
comportent pour la santé publique ;
Elles
figurent sur la liste des polluants
atmosphériques établie par la Loi
sur l’air pur.
Par conséquent, pendant le laps
de temps susmentionné, les
entreprises du domaine de la
fracturation hydraulique ont utilisé
95 produits contenant 13 substances
cancérigènes différentes, dont le
naphtalène, le benzène et l’acrylamide.
Les entreprises qui « ont
utilisé le plus grand volume de
liquides contenant une substance
cancérigène ou plus sont celles du
Texas, du Colorado et de l’Oklahoma ».
Or, le Texas, tout comme le
Nouveau-Mexique, est frontalier avec
le « Mexique néolibéral
d’obédience itamiste » qui a
adopté la fracturation hydraulique
sans égard pour la santé des
habitants des États de Tamaulipas,
de Nuevo León, de Coahuila, de
Chihuahua et de Sonora en raison de
la couardise de ses gouverneurs qui
sont pris en otage par le budget
fédéral.
La majeure partie des substances
chimiques prétendument réglementées
en vertu de la Loi sur le contrôle
de la qualité de l’eau ont été les
composés connus sous le nom de BTEX
(benzène, toluène, xylène et
éthylbenzène).
Selon le département de la Santé
et des Services sociaux des
États-Unis, le Centre International
de Recherche sur le Cancer et
l’Agence pour la protection (sic) de
l’environnement (EPA en anglais), « le
benzène est une substance
cancérigène pour l’être humain »
et « l’exposition chronique au
toluène, à l’éthylbenzène ou au
xylène peut également endommager le
système nerveux central, le foie et
les reins ». Rien que cela !
Les multinationales du domaine de
la fracturation hydraulique « ont
injecté dans le sous-sol de 19 États
plus de 30 millions de gallons de
carburant diesel ou de liquide en
contenant » avant que l’EPA
publie en 2004 un rapport indiquant
que « l’utilisation de carburant
diesel dans les liquides servant à
la fracturation hydraulique
représentait la principale menace
des nappes phréatiques », dans
la mesure où il contient des
substances toxiques, dont les BTEX.
Dans le même laps de temps, les
multinationales ont utilisé « 595
produits contenant 24 polluants
atmosphériques différents, et
notamment le fluorure d’hydrogène,
le plomb et le méthanol ».
Le
fluorure d’hydrogène est « extrêmement
corrosif et il s’agit d’un poison
systémique » potentiellement
mortel.
Le
plomb est un métal lourd « particulièrement
nuisible au développement
neurologique des enfants » et
qui, en outre, « peut causer des
problèmes de santé chez les adultes,
comme des dérèglements du système
reproducteur, de l’hypertension et
des troubles nerveux ».
Le
méthanol est un polluant
atmosphérique toxique « présent
très souvent dans les produits de la
fracturation hydraulique ».
Ainsi, le fait que « diverses
substances chimiques présentes dans
les liquides de la fracturation
hydraulique utilisés par les
entreprises » aient été
considérées comme des « secrets
commerciaux » ou des « produits
exclusifs » est tout simplement
une aberration.
Bien sûr, la commission en
question a demandé aux
multinationales du domaine de la
fracturation hydraulique de lui
divulguer la composition de ses
produits pour s’informer sur « les
secrets commerciaux et les produits
exclusifs » utilisés, mais elles
ont puérilement déclaré être dans
l’impossibilité de le faire « faute
de ne pas connaître la composition
des produits pour les avoir achetés
tels quels aux fournisseurs ».
Ça se passe de commentaires !
Les membres de la commission en
ont conclu qu’il « semble que les
entreprises du domaine de la
fracturation hydraulique injectent
de liquides qui contiennent des
substances chimiques inconnues et
qu’il leur est difficile de
connaître les risques que ces
substances présentent pour la santé
humaine et l’environnement ».
Ces entreprises jouiraient-elles,
par hasard, d’un passe-droit
néolibéral texan ?
Paradoxalement, le dérangeant
rapport se révèle plein
d’enseignements pour des apprentis
sorciers comme les partisans du «
Mexique néolibéral d’obédience
itamiste » qui croient au mirage
de la pseudo « révolution
énergétique du XXIe siècle »
construit sur la très controversée
exploitation du gaz de schiste —à
mon sens, une vulgaire bulle
financière créée de toutes pièces
par Wall Street— qui porte atteinte
à l’intégrité de la biosphère,
l’espace où cohabitent l’ensemble
des êtres vivants de la planète.
Jusqu’ici, tout pays soucieux de
la santé de ses citoyens aurait
décrété un moratoire sur la
fracturation hydraulique en
attendant de déterminer si le jeu en
vaut la chandelle. En bioéthique,
cette façon de faire est légitimée
au nom du « principe de
précaution ».
Traduction
Arnaud Bréart
Source
La Jornada (México)
Document
joint:
"Chemicals used in hydraulic fracturing",
Report by US House of Representatives
Committee on Energy and Commerce
Minority Staff, April 2011
(PDF - 161.2 ko)
[1]
La livraison de mai/juin 2014 de
Foreign Affairs comporte un dossier
sur ce sujet : « Power to the People.
What Will Fuel the Future ? », par
Gideon Rose et Jonathan Tepperman ; « Welcome
to the Revolution. Why Shale Is the Next
Shale », par Edward L. Morse ; « The
United States of Gas. Why the Shale
Revolution Could Have Happened Only in
America », par Robert A. Hefner III ; « Don’t
Just Drill, Baby - Drill Carefully. How
to Making Fracking Safer for the
Environment », par Fred Krupp.
[2]
L’Instituto Tecnológico Autónomo de
México (ou Itam) est la plus
prestigieuse unité privée d’Amérique
latine. Elle fournit l’essentiel des
diplomates mexicains et une grande
partie des élites économiques. Son
influence au Mexique est comparable à
celle de l’École nationale
d’administration (Éna) en France.
Alfredo Jalife-Rahme
Professeur de Sciences politiques et
sociales à l’Université nationale
autonome du Mexique (UNAM). Il publie
des chroniques de politique
internationale dans le quotidien La
Jornada et l’hebdomadaire
Contralínea. Dernier ouvrage
publié : El Hibrido Mundo Multipolar :
un Enfoque Multidimensional (Orfila,
2010).
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