Tribune
Une alliance orange-brune ?
Alexandre Latsa
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Alexandre Latsa
Vendredi 31 janvier 2014
Source:
RIA Novosti
Il y a près de deux ans, j’écrivais
une tribune qui tentait d’expliquer
la naissance quasi-inévitable d’un
courant politique nouveau en Russie,
sorte de syncrétisme entre une version
modérée et occidentalisée du libéralisme
des années 90 et une version 2.0 moins
modérée du nationalisme russe, dans sa
version la moins impériale mais la plus
nationale, sur le modèle européen.
Ce courant politique nouveau a pris
la succession des nationalismes
préhistoriques et impériaux classiques
de Russie et aussi la succession des
courants ultra libéraux sans foi ni
morale des années 90, en créant une
nouvelle idéologie que l’on qualifie de
nationale-démocrate ou
nationale-libérale.
Ce courant sociopolitique a en
réalité surtout émergé à Moscou et Saint
Petersbourg, lors des grandes
manifestations de fin 2011 qui ont fait
suite aux élections nationales que ces
manifestants jugeaient truquées et
injustes. Cette idéologie est donc très
en vogue aujourd’hui chez les jeunes
russes des grandes villes modernes qui
souhaitent s'identifier culturellement,
moralement et politiquement à l’Europe
de l’Ouest et à l’occident en général.
On a majoritairement qualifié, à tort ou
à raison, de « classe créative » cette
fraction de l'opinion, en quelque
sorte
l’équivalent russe du Bobo Français.
Pourtant les tentatives d'entrée en
politique de ce mouvement créatif,
national et libéral ont jusqu'à
maintenant échoué. Les figures
marquantes de ce mouvement n’ont pas pu
passer le barrage des urnes lors des
échéances électorales qu’elles ont
affronté.
On pense bien sur à la très
brièvement médiatisée écologiste
Evguénia Tchirikova à Khimki (dont plus
personne ne parle depuis sa défaite aux
élections) ou à Alexeï Navalny, qui a
également
échoué dans sa tentative d'être élu
à la mairie de Moscou.
Hormis l’absence d’idées et de
programmes politiques réels, l'une des
raisons principales de ces échecs
électoraux est le fait que cette
nouvelle bourgeoisie occidentalisante
soit relativement libertaire, et
progressiste avant tout. Alexey Navalny
s’est par exemple prononcé en faveur de
la tenue d’une Gay-Pride à Moscou et
tous les visages médiatiques de la
classe créative se sont eux ouvertement
prononcés en faveur des
Pussy-Riot, avec lesquelles
l'occident a été plus
que complaisant. On comprend que les
différentes actions des Pussy Riot,
anarchistes d'extrême gauche,
s’inscrivent très bien dans ce contexte
libertaire et transgressif, dirigé
contre un ordre religieux et moral qui
est symbolisé par la figure très
paternaliste du président russe actuel.
L’oligarque Khodorkovski peut, cela
va surprendre, être également inclus
dans cette liste puisque ce dernier,
aujourd'hui libéré, reste le chouchou de
l’Occident sur le plan économique
(cliquer
ici pour comprendre pourquoi).
Pourtant certaines des idées de l'ex
oligarque sont inattendues, comme
cet article le montre en affirmant
que l’homme prônerait désormais «
l’Etat-nation à l’allemande » et
indirectement un « nationalisme » qui ne
serait pas du « chauvinisme ».
Encore plus surprenant, les Pussy-Riot
réaffirment qu’elles sont pour le
renversement de Poutine et imaginent
très bien l’ex oligarque
Khodorkovski comme président, lui qui
les a
soutenues depuis sa cellule de
Carélie. En lisant ces lignes, on peut
se demander quelle connexion mystérieuse
peut rapprocher un groupe de jeunes
anarchistes de 25 ans, d’extrême
gauche, et un oligarque qui a tenté de
détruire la Russie en bradant ses actifs
énergétiques (acquis au passage
illégalement) au principal concurrent
politique et historique de son propre
pays: les Etats-Unis d’Amérique.
En Russie, ces différents courants de
pensée occidentalistes, qu’ils soient
nationalistes ou libéraux/libertaires
ont souvent été de gauche un temps (tous
proches du parti communiste), libéraux
ensuite (Navalny était chez Iabloko et
proche de Maria Gaïdar au sein du
mouvement « Nous ») et sont donc
aujourd’hui plutôt reconvertis au
nationalisme dans sa variante
pro-occidentale, plausiblement aussi
pour des raisons électorales. Leurs
leaders se veulent les nouveaux managers
d’un courant politique mal maitrisé,
postsoviétique, et qui a émergé en
Europe de l’est au début des années 2000
dans les rues de Belgrade.
RETOUR EN ARRIERE : Pendant l’année
2000, des milliers de serbes ont en
effet manifesté contre un président
qu’ils estimaient sans doute à tort
responsable de la tragique situation
dans lequel leur pays s’était retrouvé,
après une décennie de guerre, de blocus
international, de pression médiatique,
et 78 jours de bombardements de l’Otan.
Parmi eux de nombreux jeunes
nationalistes qui souhaitaient mettre
fin à un régime soit disant « corrompu
et cryptocommuniste ».
En 2003 en Géorgie tout comme en 2004
et 2005 en Ukraine le même scénario
s'est reproduit: Une partie de la
jeunesse défile dans les rues pour se
sortir des pesanteurs politiques russes
/ postsoviétiques et montrer son souhait
d’un avenir meilleur au sein d’un espace
euro-atlantique qui pouvait encore faire
rêver à l’époque.
C’est l’émergence de ce qui prendra
le nom « d’Orangisme », un courant
prônant pour les pays concernés
l’indépendance nationale, tout du moins
à l’encontre de la Russie mais avant
d’intégrer de nouvelles structures
supranationales telles que l’Otan ou
l’UE, ainsi que la Voie vers l’Ouest. Ce
courant bénéficie en outre du soutien
logistique, politique, médiatique,
financier et moral du gigantesque
dispositif américano-centré.
Une grosse décennie plus tard, alors
que la Serbie est la plus avancée dans
le processus d’intégration et se
retrouve à la porte d’entrée de l’Union
Européenne, ces mêmes mouvements
patriotes serbes sont au contraire à la
pointe de la lutte contre leurs
gouvernements européistes, contre
l’entrée de leurs pays dans l’UE et
contre les lois libertaires que cela
implique.
Ce type de mouvement n’est pas propre
à la Russie ou la Serbie, on le voit
aujourd'hui se développer en
Ukraine ou les
manifestations violentes de ces
derniers jours, dirigées contre la
Voie-Russe de l’Ukraine, sont en partie
fomentées par des groupes radicaux et
nationalistes (on a parlé de «
révolution brune ») prêts au compromis
avec Bruxelles et hostiles à Moscou.
Là encore, la présence de
manifestants antisystème voire d’extrême
gauche ne semble pas poser de problème,
une alliance de circonstance qui peut
paraître surprenante mais qui ne l’est
pas tant que cela. Une enquête récente à
en effet prouvé que l’idéologie des
Femen était née à proximité de
mouvements
néo-nazis ukrainiens et que le
groupe avait longtemps bénéficié du
soutien direct de certains leaders
d'extrême droite. Ainsi, les Femen,
nationalistes chez elles en Ukraine mais
en lutte contre le Front National, les
catholiques et l’ordre moral en France
ont visiblement bien compris ce qui
était toléré et à la mode, tout autant
que ce qui ne l’était pas, en fonction
de l'endroit ou on se trouve.
C'est un fait: l’UE montre une
tolérance totale à l’égard des
mouvements radicaux ou nationalistes
lorsque ces derniers servent à renverser
des régimes hostiles à l’Otan. Par
contre Bruxelles ne tolère pas la
présence de groupes nationalistes au
sein de l'Union Européenne. Dans ce
domaine, tout observateur lucide aura
constaté notamment le double standard
existant entre le traitement réservé à
Aube Dorée en Grèce et celui réservé à
Svoboda en Ukraine par exemple.
Les mouvements contestataires
radicaux sont ils devenus au 21ième
siècle les alliés de l’extension du
dispositif occidental pour vaincre ses
adversaires en Europe de l’Est comme
l’ont été, à la fin du 20ième siècle,
les
mouvements islamistes au cœur de
l’Asie centrale pour lui permettre
vaincre l’URSS?
Pour Xavier Moreau c’est
bel et bien le cas puisque: « en
matière de politique étrangère, l’Union
européenne est une chambre
d’enregistrement des décisions prises
par Washington et Berlin. Le département
d'état américain sait parfaitement bien
que les leviers sur lesquelles il
s’appuie habituellement (médias, partis
libéraux ou sociaux-démocrates,
minorités sexuelles…) ne sont pas
suffisamment contrôlés ou influents pour
faire basculer politiquement l’Ukraine.
La solution est donc de lancer une
campagne de déstabilisation de type
révolutionnaire, et cela ne peut se
faire qu’au moyen de l’un des quatre
piliers traditionnels de l’influence
américaine (trotskisme, fascisme,
islamisme ou crime organisé). L’issue la
plus favorable pour les révolutionnaires
serait la mise en place d’un «
gouvernement fasciste de transition »,
sur le modèle de ce qui s’est fait en
Croatie, où un gouvernement
social-démocrate a succédé à l'ultra
nationaliste Franco Tudjman, et a fait
entrer le pays dans l’UE et dans l’OTAN
».
© 2014
RIA Novosti
Publié le 31 janvier 2014
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