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La guerre pour l’Eurasie va-t-elle
s’accentuer ?
Alexandre Latsa
© Flickr/
Caitlin Regan
Vendredi 24 avril 2015
George Friedman,
président du très célèbre « think-tank »
Stratfor, spécialisé dans le
renseignement et
employeur de
certains exécutants des
révolutions de couleurs,
a récemment donné une
longue interview
dans laquelle il a
expliqué sans langue de bois les
intentions stratégiques américaines en
Europe et en Eurasie.
L'intéressé nous
explique ce que les initiés en
géopolitique savaient déjà: à savoir que
l'Amérique souhaite conserver son statut
de première puissance mondiale et
continuer à régenter les affaires de la
planète. A ces fins, les Etats-Unis sont
déterminés à empêcher tout imprévu, y
compris en Eurasie, zone dans laquelle
ils ne sont pas en position de force.
Cette incapacité de
l'Amérique à exercer un contrôle sur le
cœur de l'Eurasie a au moins deux
raisons: l'existence de puissances
régionales déterminées et dont la
puissance militaire est en augmentation
(Chine, Russie…) mais aussi un
déséquilibre démographique qui mettrait
la puissance militaire américaine en
totale infériorité en cas d'affrontement
sur le terrain.
George Friedman
revient sur l'exemple historique de
l'alliance entre l'Allemagne (nazie) et
de la Russie (Soviétique), et rappelle
que seule une alliance entre ces deux
puissances continentales ayant une
complémentarité naturelle "risquerait"
de devenir un concurrent sérieux pour
les Etats-Unis.
Le développement
d'un corridor de sécurité américain (et
non de l'Otan, comme l'explique
clairement l'intéressé) au sein des
Etats de la nouvelle Europe (Roumanie,
Etats baltes, Bulgarie, etc.) peut être
perçu comme la traduction de la volonté
de Washington de ne pas miser uniquement
sur Berlin. L'explication du président
de Stratfor va plus loin: Washington
s'interroge sur la loyauté et sur les
intentions de l'Allemagne, et Washington
doit s'assurer qu'une alliance
Berlin-Moscou ne puisse pas voir le
jour.
De son côté, Berlin
fait face à une situation historique et
politique complexe. L'exaspération liée
à sa situation de soumission morale
post-1945 va s'atténuer avec les
nouvelles générations, tandis que le
pays est déjà dans une situation de
domination économique à l'ouest de
l'Eurasie, situation qu'il lui faudra
tenter de maintenir coûte que coûte.
Conscientes de la
nécessité de partenariats économiques
stables sur la longue durée, mais encore
influencées par la pression qu'exerce
Washington, les élites allemandes ont
néanmoins visiblement tenté de
déstabiliser ou du moins de ralentir
la progression du partenariat entre
Moscou et Pékin, dans le but probable de
maintenir autant que possible la
dépendance de Moscou envers l'Europe de
l'ouest.
Malheureusement
pour les élites allemandes, Chine et
Russie s'émancipent de plus en plus de
l'influence occidentale. Ironie de
l'histoire et des chiffres, alors que
ces deux pays ont signé il y a juste un
an un accord énergétique géant de 400
milliards de dollars, ce sont maintenant
des batteries S-400 (armes de défense
antiaérienne) qui vont être également
livrées à la Chine par la Russie.
Ce faisant, les
deux pays consolident la coopération
économique par une coopération militaire
extrêmement audacieuse et souveraine, si
on la compare par exemple avec les
frilosités françaises face à la
livraison de navires de type Mistral.
Ces relations
économico-politiques complexes
s'inscrivent dans un contexte plus
large, qui voit la Russie réaffirmer son
autorité dans une Eurasie clairement
définie comme sa zone d'influence et
d'action prioritaire, comme l'a confirmé
le président russe lors de sa
ligne directe.
Au même moment, la
stratégie américaine en Asie centrale
semble se diriger vers plus de
déstabilisation et d'immixtion, comme le
confirme le numéro un de Stratfor.
Cette stratégie
américaine devrait donc entrer en
confrontation directe avec le nouvel
ordre régional russo-centré. La Russie
se positionne en effet comme un acteur
clé dans l'avenir proche de la nouvelle
grande route de la soie qui reliera
l'Ouest et l'Est de l'Eurasie et verra
l'Union eurasiatique jouer un rôle
fondamental entre l'Europe et la Chine. Pour l'Allemagne, comme pour la France qui n'est même pas citée par
George Friedman, l'intégration
eurasiatique constituerait sans doute
une trajectoire géopolitique qui
donnerait un nouveau souffle stratégique
au couple franco-allemand, en
équilibrant les relations entre les
zones euro-atlantique et Asie-Pacifique.
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Publié le 28 avril 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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