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Chypre permet à la Russie de renforcer
sa présence en Méditerranée
Alexandre Latsa
© Sputnik. Mikhail
Klimentiev
Vendredi 13 mars 2015
Vladimir Poutine
remporte une nouvelle victoire
diplomatique qui lui permet de réaliser
un objectif russe à long terme, en
consolidant la présence russe en
Méditerranée. La réunification avec la
Crimée, le maintien d’Assad au pouvoir
et maintenant l’accord avec Chypre sont
autant d’évènements qui vont dans ce
sens.
En septembre 2012,
j'avais
esquissé l'idée que Chypre puisse
devenir à terme une sorte de tête de
pont russe en Méditerranée, peut-être
même avec l'installation d'une base
militaire russe au sein de l'Union
européenne.
Les liens entre
Chypre et la Russie sont apparus
principalement aux yeux du grand public
lors de la crise de 2013, au moment où
l'économie chypriote est devenue une
victime collatérale de la crise grecque.
A ce moment-là, le Mainstream médiatique
a propagé un tas de
mythes et de simplifications selon
lesquels l'économie de Chypre, Etat
membre de l'Union européenne, était
presque exclusivement une grande
lessiveuse pour l'argent sale des mafias
russes.
Chypre et Russie:
des liens anciens
Pourtant, les liens
entre le monde russe et Chypre, anciens
et même historiques, existaient bien
avant l'apparition des mafias russes.
Dès la Révolution
soviétique, des citoyens russes ont
émigré à Chypre pour y travailler dans
les mines d'amiante ou de pyrite
notamment.
Juste après la
disparition de l'URSS, au début des
années 90, une forte immigration de
russophones d'origine hellénique s'est
produite d'abord en Grèce puis à Chypre.
Ces immigrants russophones sont les
descendants de populations grecques qui
vivaient depuis des millénaires en
Anatolie, au bord de la mer Noire. Ces
Pontiques (Pontios pour les
hellénophones), pourchassés et massacrés
par les turcs, s'étaient réfugiés en
grand nombre en URSS, au début des
années 20.
Dans les années 90,
Chypre connaîtra une autre immigration
russe, celle des capitaux off-shore, des
nouveaux riches et de leurs familles,
une génération qui sans aucun doute
n'améliora en rien l'image de la Russie
sur l'île, mais contribua à fournir une
nouvelle dimension aux relations entre
la nouvelle Russie et Chypre: la
dimension financière.
Pendant les années
Poutine, l'île est devenue l'une des
destinations privilégiées des touristes
russes mais aussi d'une classe moyenne
supérieure vivant à cheval entre les
deux pays, souhaitant bénéficier d'un
contexte d'affaires attirant, du climat
et d'un environnement culturel orthodoxe
plutôt familier. Avec désormais plus de
50.000 russophones résidents dans le sud
de l'île sur 760.000 habitants et près
de 640.000 touristes en provenance de
Russie en 2014 (contre 146.000 en 2007)
le poids économique des Russes à Chypre
n'a cessé d'augmenter.
La crise de 2013 n'a
pas altéré les relations
russo-chypriotes
Pendant
l'été 2013, la presse avait laissé
entendre que Russie et Chypre
discutaient de l'implantation de
facilités militaires. Toutefois, la
crise financière que connaissait l'île,
qui était sans doute grandement destinée
à porter
un coup financier à la Russie (et au
projet de base militaire russe sur
l'île?) allait amener à des résultats
opposés.
18 mois plus tard,
soit début 2015, le silence des médias
français sur Chypre est plus
qu'étonnant. On dirait que les fantasmes
médiatiques du type « Chypre doit
choisir entre l'Europe et la Russie » ou
« Les Russes quittent Chypre » ne sont
plus que de lointains souvenirs.
Tout d'abord, la
crise des banques et les mesures de
perfusion de la Troïka se sont
finalement parfaitement articulées avec
le plan de
désoffshorisation voulu par les
autorités russes et qui concernait
notamment Chypre, mais pas exclusivement
et pas en priorité.
Ensuite, et du fait
des mesures de dilution des actionnaires
(effet pervers mais logique de la
redistribution des avoirs prélevés aux
titulaires des comptes en actions), les
déposants russes sont devenus
majoritaires dans le capital de la
Banque de Chypre qui pèse maintenant
environ 50% du secteur bancaire de
l'île. Un nouveau conseil
d'administration a été élu, avec des
citoyens russes au conseil
d'administration.
La seconde banque
de l'île (la Banque Hellénique) a été en
partie recapitalisée via une
société russe qui détient maintenant
30% des actions de la banque et qui a
installé de gigantesques bureaux à
Nicosie.
Sur le plan des
relations financières d'Etat à Etat, la
Russie a mis un coup de pouce au
redressement de l'économie de Chypre, en
diminuant le taux d'intérêt d'un prêt
qui avait été accordé à Chypre par la
Russie en 2011.
Sans trop de
surprises, le soutien financier russe
privé et les mesures prises par la
nouvelle élite politique chypriote
(issue des élections de février 2013)
sous le parrainage de la Troïka ont
permis à l'île d‘envisager une rapide
sortie de crise, de potentiellement
renouer avec la croissance dès 2015 et
d'obtenir les
félicitations du président de la
Banque centrale européenne (BCE), Mario
Draghi.
Bien entendu, la
crise du rouble devrait porter atteinte
au volume de touristes russes pour 2015
(qui pourrait diminuer de 25%) mais les
autorités chypriotes semblent décidées à
prendre en urgence les mesures
nécessaires pour limiter la casse. Des
discussions ont lieu par exemple pour
fournir aux touristes russes la
possibilité de
payer leurs séjours en roubles dans
les hôtels chypriotes ou d'utiliser la
Russie pour augmenter le volume de
touristes chinois sur l'île en
utilisant Moscou comme hub de transfert
vers Chypre pour les touristes en
provenance des grandes villes chinoises.
Chypre: un allié
plus affirmé qu'il n'y paraît pour la
Russie
A la fin du mois de
février 2015, le président chypriote
Nikos Anastasiadès est venu à Moscou
rencontrer le président Vladimir Poutine
ainsi que des membres du gouvernement
russe. Les deux pays ont ainsi signé un
certain nombre d'accords traduisant un
renforcement de leur coopération,
notamment économique, mais aussi et
surtout militaire. Sur ce dernier point,
les deux pays ont mis à jour et amélioré
un accord de coopération en matière de
défense qui permet à la flotte russe
d'utiliser les ports de Limassol et
Larnaca, mais également aux avions
russes d'utiliser la base militaire
aérienne Andreas Papandreou à Paphos
pour des raisons humanitaires comme
c'est du reste déjà le cas pour les
avions français et allemands.
Cette visite
pourtant amicale à Moscou a provoqué une
mini-crise diplomatique entre Chypre et
Washington. L'ambassadeur américain à
Chypre, John Koenig, a publiquement
critiqué la visite du président
chypriote à Moscou. En réponse, les
autorités chypriotes ont rappelé que: «
la République de Chypre est un Etat qui
décide de ses propres affaires, comme
tous les autres pays. »
En visite à
Washington la semaine suivante, le
ministre des Affaires étrangères de
Chypre a clairement
accusé les États-Unis et la
Grande-Bretagne d'ignorer les intérêts
de Chypre,
soulignant que la république a « ses
propres problèmes et ses exigences »
vis-à-vis de l'Europe et des États-Unis.
Il a également rappelé que Nicosie a
trouvé « plus de compréhension » de la
part de la Russie, de la France et de la
Chine que des Etats-Unis et de l'Union
européenne dans sa confrontation sans
fin avec la Turquie.
Un accord
fondamental?
Tout d'abord,
Chypre affirme sa diplomatie
pluri-orientée avec le renouvellement de
l'accord militaire russo-chypriote.
Tactiquement, il y a dans cette démarche
un moyen potentiel de se protéger de la
Turquie, tout en confirmant à Bruxelles
la relative souveraineté diplomatique de
Chypre, sur fond de bonne application
des mesures de la Troïka.
Pour la Russie,
l'accord est une démonstration de
l'efficacité de sa diplomatie et la
confirmation que Moscou est tout sauf
isolé, et ce même au sein de l'Union
européenne. Le niveau des négociations
bilatérales en cours avec Athènes,
Nicosie ou Budapest le démontre chaque
jour un peu plus.
Vladimir Poutine
remporte ainsi une nouvelle victoire
diplomatique qui lui permet de réaliser
un objectif russe à long terme, en
consolidant la présence russe en
Méditerranée. Au final, il assure à la
Russie des bases supplémentaires, ce qui
améliore la capacité de projection de la
marine russe. La
réunification avec la Crimée, le
maintien d'Assad au pouvoir (donc la
conservation de la base de Tartous) et
maintenant l'accord avec Chypre sont
autant d'évènements qui vont dans ce
sens.
Selon
Igor Delanoë, chercheur associé au
Harvard Ukrainian Research Institute: «
Située entre les détroits turcs et le
canal de Suez, Chypre peut servir
d'avant-poste à la Russie pour
intervenir dans cette zone hautement
stratégique et instable qu'est le
Moyen-Orient. Elle représente
parallèlement une étape de choix vers
les océans Atlantique et Indien,
autrement dit vers l'«océan mondial» que
vise également Moscou ».
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Publié le 14 mars 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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