Nouvelles d'Orient
« Charlie », la laïcité et la bicyclette
Alain Gresh
Photo: D.R
Dimanche 25 janvier 2015
Lire aussi « Aux
origines des controverses sur la laïcité »,
Le Monde diplomatique, août 2003. Décidément,
la laïcité est mise à toutes les sauces.
Quel est le rapport entre la laïcité et
les attentats contre Charlie Hebdo ?
En quoi un renforcement de
l’enseignement de la laïcité, qui n’est
synonyme ni de tolérance ni d’égalité
hommes-femmes, mais qui régit les
rapport des Eglises et de l’Etat (selon
la formulation de la loi de 1905),
résoudra-t-il le problème des quartiers
populaires ? Les mêmes qui piétinent
allègrement les principes de la
République, particulièrement celui
d’égalité, voudraient faire de la
laïcité un concept fondateur, mais dans
le seul but de justifier leur
islamophobie. Répétons-le, la laïcité
concerne la place de la religion et
garantit le droit de tous les fidèles à
exercer leur foi en toute liberté (y
compris dans l’espace public : la loi de
1905 n’a jamais aboli les processions
religieuses, par exemple).
Je publie ci-dessous de courts
extraits édités de mon livre La
République, l’islam et le monde
(Pluriel, Fayard), qui a été réédité
en 2014.
Il existe en France une
« mentalité laïque », selon la
formulation de Jean Boussinesq,
vieil adhérent de l’Union
rationaliste et auteur d’une
indispensable présentation des
textes officiels qui régissent la
laïcité : « Mentalité vague mais
prégnante chez la grande majorité
des Français, qui se disent
sincèrement attachés à la laïcité,
mais qui donnent à ce mot des
significations parfois assez
différentes des textes
institutionnels ou de la pratique
politique, parce qu’en fait très peu
de gens ont lu les textes. » Et
de conclure ironiquement :
« Autrefois, dans les examens pour
rire qu’on faisait passer aux
bizuths dans certaines classes, il y
avait un sujet de dissertation qui
revenait souvent : “Métaphysique
et bicyclette”. On sourit.
Pourtant, est-ce plus farfelu que
“Piscine et laïcité” ? » Et que
Charlie et laïcité ?
Comment s’étonner que le concept
de laïcité soit si souvent utilisé à
mauvais escient ? Quand le ministre
de l’intérieur français de l’époque,
Nicolas Sarkozy, proclame que les
femmes doivent paraître sur les
photos d’identité tête nue, il pose
un problème d’ordre public, pas de
laïcité… Quand on évoque la mixité à
l’école, il s’agit d’égalité entre
garçons et filles, pas de laïcité —
l’école laïque s’est bien
accommodée, jusqu’à la fin des
années 1960, de la séparation des
sexes, et la République laïque,
pendant des décennies, du refus du
droit de vote aux femmes… Et que
penser d’un quotidien du soir qui
titre sur toute une page « Le
principe de laïcité subit de
multiples entorses sur les
terrains » (de sport) ; quel rapport
entre le football ou la course à
pied et les religions ?
« En le votant [le projet
de loi de séparation des Eglises et
de l’Etat], vous ramènerez l’Etat
à une juste appréciation de son rôle
et de sa fonction : vous rendrez la
République à la véritable tradition
révolutionnaire et vous aurez
accordé à l’Eglise ce qu’elle a
seulement le droit d’exiger, à
savoir la pleine liberté de
s’organiser, de vivre, de se
développer selon ses règles et par
ses propres moyens, sans autre
restriction que le respect des lois
et de l’ordre public. »
(Aristide Briand, Rapport sur le
projet de loi de séparation de
l’Eglise et de l’Etat,
4 mars 1905). Un siècle et quelque
plus tard, il vaut mieux être avec
Aristide Briand et son mentor de
l’époque Jean Jaurès, qu’avec Manuel
Valls et Guéant (lire « Oui
à Briand et à Jaurès, non à Guéant
et à Valls (I) »)
A quoi sert
« Le Monde diplomatique » ?
A apprendre et à comprendre.
A donner un peu de cohérence
au fracas du monde là où
d’autres empilent des
informations.
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