Nouvelles d'Orient
Hollande-Fabius,
les errements de la diplomatie française
Alain Gresh
Photo:
D.R.
Mardi 15 juillet 2014
La manière dont François
Hollande et son ministre des
affaires étrangères Laurent
Fabius ont entériné l’assaut
israélien contre Gaza, avec ses
innombrables destructions et
victimes, a pu étonner ici ou
là. Couac de la communication ?
Benjamin Barthe, sur Lemonde.fr,
note que la première déclaration
de Hollande sur le droit
d’Israël à se défendre, sans
aucune mention des pertes
civiles palestiniennes, venait à
la suite d’un coup de téléphone
de Benyamin Netanyahou (« L’embarras
international face à l’escalade
à Gaza », 12 juillet). Le
lendemain, le président émettait
une nouvelle déclaration « plus
équilibrée ». Mais, comme le
note le journaliste du Monde,
« le cafouillage est
néanmoins emblématique de
l’embarras des chancelleries
européennes et américaine face à
la question de Gaza. Insister,
comme elles l’ont presque toutes
fait à des degrés divers, sur le
“droit d’Israël à l’autodéfense”
et sur la nécessité de la
“retenue”, ne suffit pas à leur
donner de prise sur le
terrain ». Cela équivaut, en
réalité, à une « carte blanche »
laissée au gouvernement
Netanyahou.
Selon un responsable de
l’Elysée, la position de la
France « reste fondée sur
l’équilibre ». Equilibre
entre l’occupant et l’occupé ?
Entre les quelque 200 morts
palestiniens et les
« zéro mort » côté israélien ?
Quand le général de Gaulle
critiquait l’agression
israélienne de juin 1967, il ne
faisait pas preuve d’équilibre.
Quand les Etats européens
réunis à Venise en 1980
demandaient le droit à
l’autodétermination des
Palestiniens et à un dialogue
avec l’Organisation de
libération de la Palestine
(OLP), ils ne faisaient pas
preuve d’équilibre. Quand
Jacques Chirac s’indignait, lors
de sa fameuse visite à Jérusalem
en 1996, du comportement des
troupes d’occupation, il ne
faisait pas preuve d’équilibre.
Cette notion d’équilibre est
souvent mise en avant par les
médias, mais il est curieux
qu’elle ne le soit que pour le
conflit israélo-palestinien : ni
sur l’Ukraine, ni sur la Syrie,
ni sur la plupart des autres
crises, les journalistes
n’invoquent l’équilibre ;
pourquoi le font-ils seulement
sur la Palestine ? Rappelons que
le rôle des journalistes n’est
pas d’être équilibrés, mais
d’expliquer les faits,
d’expliquer les réalités (lire
l’excellent article de Marwan
Bishara, « De
la responsabilité des
journalistes, des médias et de
la Palestine »,
Infopalestine, 9 juillet). Pour
reprendre, en la changeant, une
formule célèbre, l’objectivité
ce n’est pas « cinq minutes pour
les Noirs d’Afrique du Sud, cinq
minutes pour le régime de
l’apartheid ».
Revenons aux déclarations
françaises. Si elles
s’inscrivent dans la continuité
de celles que faisait naguère
Nicolas Sarkozy, elles sont en
rupture avec un demi-siècle de
diplomatie menée par Paris. On a
assisté depuis dix ans, dans le
plus grand silence, à un virage
de la diplomatie française.
Entamé à la fin du mandat de
Jacques Chirac, il a été
accentué par Nicolas Sarkozy et
par François Hollande. Et il
touche tous les domaines, pas
seulement le conflit
israélo-palestinien. Il s’est
accompagné d’un effacement de la
place de la France, qui ne fait
plus entendre de voix
singulière, si ce n’est,
parfois, pour critiquer, « sur
leur droite », les Etats-Unis.
Lire « Enquête
sur le virage de la diplomatie
française », Le Monde
diplomatique, mai 2008.
Comment définir ce virage ?
Certes, Paris n’est pas porteur
d’une doctrine totalement
élaborée (pas plus, d’ailleurs,
que ne l’est le néoconservatisme
américain) et des nuances
existent entre tel ou tel
responsable. D’autre part, cette
rupture discrète avec un
demi-siècle de diplomatie
française (1958-2003) doit tenir
compte des contraintes
politiques, notamment d’une
opinion publique peu sensible
aux sirènes de la droite
américaine.
Fondamentalement, les
responsables français refusent
l’idée que le monde serait
devenu moins dangereux depuis la
fin de la guerre froide. Au
contraire. Le terrorisme et
l’islamisme menaceraient nos
pays, les fondements de la
civilisation occidentale, et
nous serions engagés dans une
« guerre contre le terrorisme »
de longue durée. Et ces périls
sont accentués par la montée en
puissance de pays qui ne
partagent pas nos valeurs et qui
n’acceptent pas l’ordre
international occidental, l’Iran
d’abord, mais aussi la Russie et
la Chine.
Cette analyse repose en
particulier sur la conviction
que la France appartient au
monde occidental, par opposition
notamment au monde islamique. Et
le terrorisme représente une
menace d’autant plus grave qu’il
est relayé par un
ennemi intérieur clairement
identifié, des musulmans qui
se radicalisent — les autorités
surfent ainsi sur l’islamophobie
dominante, au risque, une fois
de plus, de renforcer le Front
national.
Cette ligne s’est affirmée
avec plus de force depuis
l’élection du président Barack
Obama, qui a tenté de tirer
quelques leçons des désastres
enclenchés par son prédécesseur,
George W. Bush, en Irak et en
Afghanistan. Depuis, la France
ne rate pas une occasion de
critiquer le manque de fermeté
de Barack Obama, que ce soit sur
le dossier du nucléaire iranien
ou sur l’intervention militaire
en Syrie, tout en lui laissant
le champ libre pour mener des
négociations sur la Palestine
(sujet sur lequel Paris sait
qu’il ne fera aucune pression
sérieuse sur Israël).
Une chose est rassurante :
les capacités de nuisance de la
France sont limitées. Et si les
Etats-Unis décident, par
exemple,
de signer un accord avec l’Iran,
ils ne demanderont pas la
permission de Paris. S’ils
décident de ne pas intervenir en
Syrie, la France est
impuissante. Jadis, la position
singulière de la France était
son meilleur atout ; ce n’est
plus le cas aujourd’hui.
Lire Olivier Zajec, « Cinglante
débâcle de la diplomatie
française »,Le Monde
diplomatique, octobre 2013. L’admiration
pour Israël est un autre des
piliers de cette diplomatie
française. Il ne s’agit pas
simplement de philosémitisme,
mais d’appui à un pays supposé
être à l’avant-garde de la lutte
contre le radicalisme islamiste,
une pointe avancée de
l’Occident. C’était d’ailleurs
l’idée centrale de Theodor
Herzl, fondateur du sionisme
politique, lequel voyait dans
l’Etat juif qu’il préconisait un
bastion européen face à la
« barbarie asiatique ». J’ai
rappelé ailleurs la solidarité
surprenante de l’Afrique du Sud
de l’apartheid — dirigée entre
1948 et 1991 par un parti dont
les fondements antisémites
étaient avérés — avec Israël :
les dirigeants de Pretoria
considéraient les Israéliens
comme des colons qu’ils
admiraient, non comme des juifs
qu’ils méprisaient [1].
Cela se confirme aujourd’hui,
alors que la plupart des grandes
forces politiques européennes
d’extrême droite ont rangé
l’antisémitisme au magasin des
accessoires périmés et l’ont
remplacé par une islamophobie
militante ainsi qu’une
solidarité inconditionnelle avec
Israël.
Cette inflexion entraîne, sur
ce conflit, une « indignation
sélective de François Hollande »,
comme l’écrit Armine Arefi sur
le site du Point
(11 juillet), ou comme en
témoignent
les visites de l’ambassadeur de
France dans le sud d’Israël
pour rassurer nos compatriotes
qui s’y trouvent — le même
ambassadeur qui avait salué
« l’engagement courageux »
de jeunes Français dans l’armée
israélienne.
Notons enfin la prise de
pouvoir, au sein des instances
de l’Etat, d’une nouvelle
génération de cinquantenaires
qui impulsent ce virage
politique : le futur conseiller
diplomatique de Hollande, le
chef de cabinet de Fabius, le
représentant de la France aux
Nations unies, le directeur des
affaires stratégiques du
ministère de la défense. Ni de
droite ni de gauche, admiratifs
des Etats-Unis, partisans des
interventions militaires et de
l’OTAN, obsédés par la « guerre
contre le terrorisme » et contre
l’islam, grands admirateurs
d’Israël, ils s’incrustent au
cœur de l’appareil d’Etat et
garantissent la continuité de la
diplomatie française, quel que
soit le parti au pouvoir.
Notes
[1]
Cf.
De quoi la Palestine est-elle le
nom ?, Les Liens qui
libèrent, 2010.
L’existence du
Monde diplomatique ne peut pas
uniquement dépendre du
travail de la petite équipe
qui le produit, aussi
enthousiaste soit-elle. Nous
savons que nous pouvons
compter sur vous.
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