Nouvelles
d'Orient
Ariel
Sharon, la fin d'un criminel de guerre
Alain Gresh
Alain
Gresh
Dimanche 12 janvier 2014
Le général
Ariel Sharon s’est donc éteint le
samedi 11 janvier 2014, après de longues
années de coma. Le président François
Hollande a publié un communiqué qualifié
par Le Point de « lapidaire » :
il « a été un acteur majeur dans
l’histoire de son pays. Après une longue
carrière militaire et politique, il a
fait le choix de se tourner vers le
dialogue avec les Palestiniens. Je
présente mes condoléances sincères à sa
famille et au peuple d’Israël ».
On a connu effectivement des textes
plus chaleureux, mais fallait-il
vraiment présenter ses condoléances au
peuple d’Israël ? Il aurait mieux valu
les offrir aux Palestiniens et aux
milliers de victimes dues aux actions
directes de cet officier.
Lire « Saint
Sharon », Le Monde diplomatique,
février 2006. La plus célèbre, si
l’on peut dire, est celle des camps de
Sabra et Chatila. Mais le parcours de
Sharon est jonché de cadavres et il
n’est pas inutile de rappeler
quelques-uns de ses exploits.
Le premier connu eut lieu le
14 octobre 1953 dans le village de Qibya,
en Cisjordanie (à l’époque sous
souveraineté jordanienne). En
représailles à une action de commandos
palestiniens qui avait fait plusieurs
victimes civiles, l’unité 101 de l’armée
israélienne, sous le commandement de
Sharon, pénètre dans le village et
dynamite une cinquantaine de maisons
avec leurs habitants. Bilan :
soixante-neuf morts palestiniens.
Lors de l’agression israélienne
contre l’Egypte en octobre 1956 (qui
fait suite à la nationalisation de la
compagnie du canal de Suez par Gamal
Abdel Nasser), une unité commandée par
Sharon s’empare de la passe de Mitla. On
devait apprendre en 1995 que plusieurs
dizaines de prisonniers égyptiens, mais
aussi une cinquantaine d’ouvriers
capturés par hasard ainsi qu’une
cinquantaine de fedayin palestiniens
avaient été tués lors de cette opération
(parmi d’autres massacres durant la
guerre de 1956 révélés dans les
années 1990 — lire la biographie de
Sharon dans Les 100 clés du
Proche-Orient, Alain Gresh et
Dominique Vidal, Fayard, Paris, 2011) ;
et aussi la magnifique bande dessinée de
Joe Sacco, Gaza 1956. En marge de
l’histoire, Futuropolis, Paris,
2010).
Il faudrait dire aussi un mot du
« rétablissement de l’ordre » à Gaza
en 1970-1971, une opération qui a duré
des mois et a abouti à la destruction de
centaines de maisons, et à la mort d’un
nombre incalculable de Palestiniens
(avez-vous remarqué que, dès qu’il
s’agit de morts palestiniens, on ne
connaît jamais les chiffres exacts ? Ils
forment toujours une masse sans noms et
sans visages).
Mais les exploits les plus éclatants
de Sharon sont les massacres de Sabra et
Chatila, qui ont lieu à la suite de
l’invasion israélienne du Liban à
l’été 1982, invasion qui en soit est
déjà un crime passible de la justice
internationale et qui provoquera des
milliers de morts.
Lire « Les
antécédents du général Sharon »,
Le Monde diplomatique, novembre
2001. Human Rights Watch rappelle,
dans un communiqué publié le
11 janvier 2014, « Israel :
Ariel Sharon’s Troubling Legacy. Evaded
Prosecution Over Sabra and Shatilla
Massacres » sa responsabilité dans
les massacres des (camps palestiniens)
Sabra et Chatila au Liban, durant
lesquels des centaines (là aussi les
chiffres varient, mais sans doute plus
d’un millier) de Palestiniens, hommes,
femmes, vieillards et enfants furent
sauvagement exterminés. Ces atrocités
ont été commises par les Phalanges
libanaises, alliées d’Israël, sous l’oeil
de l’armée israélienne qui encerclait
les camps palestiniens.
« En février 1983, la Commission
Kahane, commission officielle d’enquête
israélienne sur ces événements, note
HRW, a estimé que “Sharon n’a pas pris
sérieusement en considération… le fait
que les phalangistes étaient
susceptibles de commettre des
atrocités...” La commission a estimé que
le mépris que Sharon avait manifesté “à
l’égard de la possibilité d’un massacre”
était “impossible à justifier”. Elle a
recommandé sa destitution en tant que
ministre de la défense. Il est resté
dans le cabinet israélien en tant que
ministre sans portefeuille et est devenu
plus tard premier ministre en 2001,
poste qu’il a occupé jusqu’à son attaque
(cérébrale) en janvier 2006.
Les autorités judiciaires
israéliennes n’ont jamais mené une
enquête criminelle pour déterminer si
Sharon et d’autres responsables
militaires israéliens portaient une
responsabilité pénale. En 2001, les
survivants (des massacres de Sabra et
Chatila) ont porté plainte en Belgique
pour demander que Sharon soit poursuivi
en vertu de la “compétence universelle”
de la loi belge. Des pressions
politiques ont conduit le Parlement
belge à modifier la loi en avril 2003 et
à l’abroger purement et simplement en
août, ce qui amena le plus haut tribunal
de Belgique à abandonner l’affaire
contre Sharon au mois de septembre. »
Sur les changements de la loi en
Belgique, on pourra lire Pierre Péan, « La
bataille de Bruxelles », Le Monde
diplomatique, septembre 2002.
De nombreux témoignages montrent que
le rôle de l’armée israélienne ne fut
pas seulement « passif ». Le journaliste
israélien (et collaborateur du Monde
diplomatique Amnon Kapeliouk l’avait
montré dans un livre célèbre publié à
chaud, Sabra et Chatila, enquête sur
un massacre (Le Seuil, Paris, 1982).
Il allait y revenir à plusieurs
reprises, notamment dans un article
publié dans Le Monde diplomatique
(juin 1983), « Les
insuffisances de l’enquête israélienne
sur les massacres de Sabra et Chatila ».
« L’un des défauts les plus graves
du rapport Kahane est relatif à la
question de la responsabilité du
massacre. Sur ce point, les conclusions
de la commission sont en contradiction
avec les faits qu’elle-même rapporte.
L’armée israélienne a occupé
Beyrouth-Ouest ; elle était donc
responsable de la paix et de la sécurité
de sa population civile, aux termes des
lois internationales les plus
élémentaires. D’ailleurs, le prétexte
invoqué pour justifier son entrée à
Beyrouth-Ouest était bien la volonté
“d’éviter les risques de violences, les
effusions de sang et le chaos” (§ 41).
Le 16 septembre 1982, au lendemain de
l’occupation de Beyrouth-Ouest, le
bureau du ministre de la défense diffuse
un document où il est dit notamment :
“F) Un seul élément, et cet élément sera
l’armée israélienne, commandera les
forces sur le terrain. Quant à
l’opération dans les camps, ce sont les
Phalanges qui y seront envoyées” (§ 32).
Selon l’interprétation du chef du bureau
des renseignements militaires de
l’armée, “cela signifiait que toutes les
forces opérant sur le terrain, y compris
les Phalanges, se trouveraient sous
l’autorité de Tsahal et agiraient selon
ses directives” (ibid.). »
(…)
« Après quoi, les trois enquêteurs
(de la commission Kahane) affirment que
la responsabilité de MM. Begin, Sharon,
Eytan, etc. est indirecte. La meilleure
réponse à cette affirmation est venue de
la plume d’Amos Oz, le plus connu des
écrivains israéliens : “Celui qui invite
l’éventreur du Yorkshire à passer deux
nuits dans un orphelinat de jeunes
filles ne peut ensuite prétendre, en
voyant l’amoncellement de cadavres,
qu’il s’était entendu avec lui pour
qu’il se contente de laver la tête des
enfants.” Le romancier Izhar Smilansky a
lui aussi ironisé : “On a lâché des
lions affamés dans l’arène. Ils ont
dévoré des hommes. Donc les lions sont
coupables.” D’après le paragraphe 298 du
code pénal israélien de 1977, “sera
accusé de meurtre quiconque aura
provoqué par un acte ou par une incurie
la mort d’une personne”. Le
paragraphe 26 du même code définit les
complices d’un meurtre et les considère
comme des responsables directs. Comment
ne pas conclure alors que la
responsabilité israélienne était directe
avant le début du massacre, et à plus
forte raison après l’entrée des “forces
libanaises” dans les camps. »
Autant de crimes pour lesquels Sharon
ne sera jamais jugé. Et les pays
occidentaux, si prompts à envoyer devant
la Cour pénale internationale tel ou tel
dictateur africain, ont tout fait pour
éviter que le général ait des comptes à
rendre devant la justice (les
responsables israéliens en général, ceux
qui sont responsables de la guerre du
Liban de 2006 comme de l’invasion de
Gaza en 2008-2009, ont aussi échappé à
tout procès et ils sont accueillis à
bras ouverts en Europe ou aux
Etats-Unis). Comment une telle
partialité n’alimenterait pas les
discours complotistes et antisémites
tels que les véhicule Dieudonné ? Israël
(et les juifs à travers le monde, bien
sûr, puisqu’Israël se veut l’Etat du
peuple juif) dirigerait le monde. La
meilleure manière de combattre ces
dérives est d’affirmer clairement qu’un
crime contre l’humanité est un crime
contre l’humanité, qu’il soit commis par
un général israélien ou par un président
soudanais. On en est loin.
L’islamisme en Palestine
Université populaire, samedi
25 janvier 2014
Séance
1 (10h30-12h30)
Hamas : de l’Association des
Frères musulmans au titulaire de
l’Autorité d’autonomie, avec
Jean-François Legrain, chargé de
recherche au CNRS affecté à l’IREMAM
/ MMSH d’Aix-en-Provence (Institut
de Recherches et d’Etudes sur le
Monde Arabe et Musulman /Maison
Méditerranéenne des Sciences de
l’Homme).
Séance
2 (14h-16h)
Le Jihad Islamique palestinien,
avec Nicolas Dot-Pouillard,
Chercheur MAEE à l’IFPO (Institut
français du Proche-Orient) à
Beyrouth et co-administrateur des
Carnets de l’IFPO.
Séance
3 (16h15-18h)
L’islamisme chez les arabes
israéliens/ Palestiniens d’Israël,
avec Elisabeth Marteu, enseignante à
l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne et à Sciences Po.
Contact et inscription :
universite-populaire@iremmo.org
Participation : 20 euros pour la
journée (12 euros pour les étudiants
et les demandeurs d’emploi) ; carte
Intégrale 145/90€
Lieu : iReMMO 5, rue Basse des
Carmes, 75005 Paris (M° Maubert
Mutualité)
L’existence du Monde
diplomatique ne peut
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